Dans son avant-propos, la Banque mondiale souligne que l’objectif de ce rapport paru ce 21 juin 2023 est d’informer les autorités de la République du Sénégal, les groupes de réflexion, les chercheurs et universitaires, et le public dans un sens large sur l’état de l’économie sénégalaise, ses perspectives, ainsi que sur les défis immédiats auxquels elle fait face en matière de développement.
Le premier chapitre du rapport porte sur les développements économiques récents et les perspectives à moyen terme. Ce chapitre comprend des sections sur la croissance, la politique budgétaire de l’Etat, la dette publique, le secteur extérieur, l’évolution monétaire et enfin l’inflation. Il présente la situation économique du pays en 2022,
les perspectives économiques pour 2023-2025, ainsi qu’une évaluation des risques et des défis. Il a été principalement préparé par Hélène Aminatou Ba et Felix Oppong, avec Prospere Backiny- Yetna et Gabriela Inchauste.
Le deuxième chapitre identifie les facteurs qui accroissent la vulnérabilité à la pauvreté des différents ménages, décrit les sources de cette vulnérabilité et les caractéristiques de la population qui risque de tomber en situation de vulnérabilité, et propose des recommandations de politiques publiques pour réduire l’impact des chocs sur les groupes vulnérables. Ce chapitre a été préparé par Prospere R. Backiny-Yetna, Carlos-Rodriguez Castelan, Oscar Eduardo Barriga Cabanillas et Djibril Ndoye, avec les contributions de Gabriela Inchauste, Camila Mejia Giraldo, Felix Oppong, Hélène Aminatou Ba, Bernhard Bieri, Stephanie Brunelin et Alexandre Henry.
Maude Jean-Baptiste et Micky Ananth ont fourni un appui administratif.
Le rapport a été préparé par la division Macroéconomie, Commerce et Investissement de la Banque Mondiale en Afrique de l’Ouest et du Centre sous la supervision de Keiko Miwa et Theo David Thomas, et revu par Daniela Marotta, Edouard Al-Dahdah, Zeljko Bogetic et Ambar Narayan.
Développements récents et perspectives économiques.
La croissance économique du Sénégal s’est ralentie en 2022 dans un contexte complexe caractérisé par de fortes pressions inflationnistes, la hausse des prix mondiaux des produits de base, un régime pluviométrique défavorable et un ralentissement économique global lié à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Après une forte reprise de la croissance en 2021 pour atteindre 6,5 % du PIB, la croissance du PIB réel a ralenti en 2022 pour atteindre 4,2 %, à la suite
d’une baisse de l’investissement privé et des exportations, ainsi que d’une contraction de la production industrielle. L’inflation a atteint 9,6 % en 2022 et un niveau record de 14,1 % en novembre 2022, frappant plus durement les ménages à faible revenu qui consacrent plus de la moitié de leur revenu à l’alimentation, et les poussant à substituer les aliments de qualité supérieure par des aliments de moindre qualité. Les autorités n’ont pas été en mesure d’atteindre leur objectif d’assainissement budgétaire en 2022 en raison des fortes pressions budgétaires résultant de
chocs, mais elles ont adopté une règle budgétaire dans le cadre juridique des hydrocarbures et la feuille de route du secteur de l’énergie pour résoudre ce problème à moyen terme.
Les mesures contracycliques adoptées par le gouvernement pour limiter les effets de la guerre en Ukraine ont pesé sur le déficit budgétaire, qui s’élevait à 6,7 % du PIB en 2022, sous l’effet d’une augmentation des dépenses courantes, y compris des subventions énergétiques non ciblées
(4,4 % du PIB en 2022).
Pour contenir le déficit budgétaire, les dépenses d’investissement ont été réduites de 1,7 point de pourcentage, passant de 9,2 % du PIB en 2021 à 7,5 % du PIB en 2022,
ce qui a réduit le potentiel de croissance de l’économie. À moyen terme, la mise en oeuvre de la feuille de route visant à réduire les subventions énergétiques permettrait de réduire la charge fiscale sur le budget 2023 de 1,4 % du PIB. Le gain fiscal résultant de la réduction des subventions à l’énergie permettrait d’étendre la couverture sanitaire de 30 % à un coût de 0,2 % du PIB en 2023, tandis que l’ancrage du solde budgétaire sur le solde primaire hors ressources pourrait assurer une trajectoire vers la prudence budgétaire et la réalisation des critères de convergence de l’UEMOA, à savoir un déficit budgétaire de 3 %.
En conséquence, la dette publique a augmenté à un rythme accéléré, sous l’effet des mesures d’atténuation des chocs et des emprunts supplémentaires contractés par les entreprises publiques pour financer les investissements dans le secteur du pétrole et du gaz.
La dette publique a augmenté de manière significative depuis 2019. Elle a atteint 69,1 % du PIB en 2020, 73,3 % en 2021 et 76.6 % du PIB en 2022. La dette intérieure a augmenté très rapidement et devrait continuer sur cette trajectoire. Elle a été tirée par l’émission d’obligations du Trésor sur le marché régional. Toutefois, l’encours de la dette du Sénégal reste principalement composé de la dette extérieure contractée auprès de créanciers commerciaux et de la dette contractée auprès de créanciers multilatéraux et bilatéraux.
Le resserrement monétaire mondial, déclenché par l’inflation à la suite de l’invasion russe en Ukraine, a entraîné une augmentation des coûts d’emprunt sur les marchés nationaux et internationaux.
L’augmentation du taux directeur 2022 de la BCEAO de 2 % en juin à 2,75 % en décembre a entraîné une hausse des rendements dans la plupart des pays de l’UEMOA. La BCEAO a augmenté ses taux directeurs de 100 points de base au premier trimestre 2023, et s’est orientée vers un système de rationnement de la liquidité pour les banques régionales basé sur des enchères.
Ce changement a réduit la capacité du marché régional à absorber les émissions de dette publique. Le resserrement des politiques monétaires a entraîné une hausse des coûts d’emprunt dans de nombreux pays dont le Sénégal, où les rendements des obligations à 3 ans ont augmenté de près de 150 points de base entre la première adjudication en janvier 2023 et la dernière adjudication en février 2023. Le resserrement des conditions financières pourrait entraver la capacité du gouvernement à lever des ressources suffisantes pour financer l’économie et répondre aux chocs, compte tenu de l’accumulation rapide du niveau d’endettement au cours des trois dernières années.
Le compte courant s’est détérioré en 2022 sous l’effet de l’augmentation des coûts d’importation et du service de la dette extérieure. Le déficit du compte courant s’est creusé pour atteindre 19,5 % du PIB en 2022 contre 12,4 % du PIB en 2021, reflétant l’augmentation des importations.
Les valeurs des importations ont été affectées par la hausse des prix des importations de produits pétroliers et alimentaires, et des importations de services associés à l’industrie des hydrocarbures. Le déficit du compte courant a été financé par l’investissement direct étranger (IDE), les transferts de fonds (9,8 % du PIB en 2022), les crédits extérieurs et l’emprunt.
Les perspectives sont favorables car l’activité économique devrait être forte, reflétant le dynamisme du secteur secondaire, principalement la production industrielle.
En 2023, la croissance économique devrait atteindre 4,7 %, entrainée par un rebond du secteur secondaire grâce à la normalisation des cours internationaux des matières premières, à un environnement institutionnel favorable, au recours aux partenariats public-privé pour le financement des investissements publics et au renforcement des investissements directs étrangers pour l’exploitation des hydrocarbures. Stimulée par le démarrage de la production d’hydrocarbures, la croissance devrait ensuite s’accélérer pour atteindre 9,9 % en 2024, sous l’effet de la bonne tenue de la production industrielle.
Les pressions sur les comptes courants devraient s’atténuer à moyen terme grâce aux exportations d’hydrocarbures.
Le déficit du compte courant devrait se réduire à 15,3 % en 2023 et à 7,2 % en moyenne entre 2024 et 2025 grâce aux excédents des exportations d’hydrocarbures et aux recettes fiscales. Quant au taux de pauvreté, il devrait reculer à 33,6 % en 2023, contre 35 % en 2022, grâce à la forte croissance de l’agriculture et à la baisse de l’inflation. Les paiements d’aide sociale devraient augmenter et la couverture de la protection sociale devrait s’étendre, en partie grâce aux économies réalisées par l’élimination des subventions à l’énergie.
Les recettes des hydrocarbures et les efforts de mobilisation des recettes devraient contribuer à la réduction du déficit budgétaire à 3 % du PIB d’ici 2025. Cette convergence vers le critère de l’UEMOA devrait avoir lieu grâce à la mise en oeuvre de mesures visant à réduire progressivement les subventions à l’énergie, qui devraient être ramenées à 2,9 % du PIB d’ici 2023.
À moyen terme, les dépenses courantes devraient diminuer, sous l’effet de la baisse des subventions et des dons dans le secteur de l’énergie, ce qui permettra d’affecter les ressources financières à d’autres priorités urgentes du gouvernement. Les dépenses d’investissement devraient se stabiliser progressivement à 8,9 % du PIB en 2023-24. Les recettes fiscales devraient augmenter grâce aux revenus de l’exploitation des hydrocarbures et à la poursuite des efforts de mobilisation des recettes fiscales.
Les perspectives sont soumises à de fortes incertitudes et à des risques importants. Le ralentissement économique et l’inflation chez les principaux partenaires commerciaux du Sénégal pourraient réduire la consommation privée et aggraver les développements extérieurs.
À court terme, l’impact de la guerre en Ukraine continuera à se faire sentir sur les prix des denrées alimentaires de base, bien qu’il soit atténué par la baisse des prix des produits de base produits dans le pays. La hausse des prix du pétrole et des produits agricoles (en particulier des céréales importées comme le blé) pourrait encore freiner la demande intérieure en limitant la consommation privée.
La hausse des prix des transports et les difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction pourraient affecter les secteurs des transports et de la construction, notamment par le biais des activités portuaires et des réexportations vers les pays voisins.
Le report de la production d’hydrocarbures à 2024 et le resserrement des marchés du crédit sont susceptibles d’introduire des incertitudes majeures pour la croissance et les perspectives extérieures du Sénégal. L’impact de ces risques devrait se traduire par un ralentissement de la croissance économique et une augmentation des déficits commerciaux.