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Tribune : Une Afrique résiliente et agile annonce son essor dans cette crise

Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de JCGA
Enseignant à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Avant la fin de ce siècle, l’Afrique va jouer un rôle considérable, à la mesure de ses incroyables potentiels. Or, si bien des oracles de malheur continuent à condamner le Continent à un destin funeste, en réalité il n’y a pas de fatalité. Par exemple, sur la catastrophe démographique prophétisée par certains, les prévisions bougent beaucoup en fonction des évolutions des taux de fécondité, et de l’accélération de l’accès à l’éducation des filles.

Car plus les filles seront éduquées, moins la population africaine augmentera. L’autre défi majeur, c’est l’agriculture. Il faut faire de l’agriculture le cœur battant de la nouvelle économie africaine.

L’Afrique sera-t-elle la prochaine Asie ? Comme d’autres acteurs des mouvements géopolitiques et économiques, je pense que c’est plus que probable. Et la terrible crise venue de Chine qui frappe toutes les géographies sans exception ou presque va accélérer ce mouvement inéluctable. Avant la fin de ce siècle, dans un Monde qui va renforcer sa dimension multipolaire, l’Afrique jouera un rôle considérable, à la mesure de ses incroyables potentiels. Les blocs de puissances et d’ambitions aujourd’hui à l’œuvre seront vite rejoints par le bloc africain.

Pourtant des oracles de malheurs continuent de condamner le Continent à un destin funeste qui serait l’oeuvre d’élites corrompues et prévaricatrices, de conflits inter-ethniques indépassables, de la vampirisation sans limite des ressources par les autres blocs… on va même jusqu’à affirmer une fatalité sociétale ou culturelle. D’autres prophétisent une catastrophe démographique.

L’ONU prévoit qu’en 2050, un être humain sur qautre serait africain. En 2100, un sur trois ! Le nombre de bouches à nourrir dépassera la croissance de la production alimentaire et les gens mourront de faim ou migreront… Je suis persuadé qu’il n’y a pas de fatalité. Ces prévisions de surpopulation fatale peuvent être contredites à notre bénéfice à tous.

Plus les filles seront éduquées, moins la population africaine augmentera

C’est dans la seconde moitié de ce siècle que se jouera la véritable partie. Et les prévisions bougent beaucoup en fonction des évolutions des taux de fécondité. Entre moins de 2,5 milliards et 6 milliards d’Africains en 2100. La prévision de l’ONU, doublement de la population entre 2050 et 2100, est fondée sur la conviction que le nombre d’enfants qui naîtront de chaque femme ne diminuera que très lentement.

Ce scénario moyen sous-estime l’impact de l’éducation et en particulier l’accès des filles à l’éducation qui progresse rapidement, même si parfois des forces politiques et religieuses poussent dans le sens contraire.

Défi vital, la maîtrise de la natalité passe donc par la réussite de la diffusion de l’éducation ! En 2050, la moitié des 2,5 milliards d’Africains aura moins de 25 ans, 1 milliard aura même moins de 18 ans ! Comme partout ailleurs dans le Monde, l’accès à la connaissance et à l’éducation a une grande influence sur l’évolution des taux de fécondité. Une femme africaine sans éducation formelle aura 6 enfants ou plus, 4 si elle va à l’école primaire et autour de 2 si elle achève ses études secondaires.

Si le taux d’éducation des filles, ne change pas, la population de l’Afrique sera aussi élevée que le prévoit l’ONU. S’il y a au moins une amélioration médiane, le scénario de projection ralentit de façon spectaculaire et la population n’atteint alors que 3 milliards en 2100. Et mieux encore, s’il y a une augmentation rapide dans l’accès à l’éducation, alors, la population du Continent diminuera !

L’Agriculture sera le cœur battant de la nouvelle économie africaine

C’est avec l’éducation l’autre défi majeur. Il ne peut y avoir de futur africain si l’alimentation des populations demeure incertaine et fragile. Il faut faire de l’agriculture le cœur battant de la nouvelle économie africaine. Une économie qui doit se libérer partout de ce qui demeure d’« économie coloniale ». Un modèle dans lequel, on crée des matières premières qui sont transformées et valorisées ailleurs.

Plus de la moitié des Africains vivent de l’agriculture, pourtant ils ne génèrent que 15% du PIB du Continent ! La modernisation de l’agriculture africaine va augmenter les rendements mais elle doit aussi s’orienter vers des stratégies de qualité, de diversification, de structuration des filières et des marchés de proximité et régionaux.

L’Afrique doit fermement résister aux sirènes venues d’ailleurs avec leurs produits tueurs d’une terre africaine souvent naturellement fertile et nourrissante. Lorsqu’elle ne l’est pas, ou qu’elle n’existe pas comme dans les métropoles urbaines, il lui faut miser sur la modernité des innovations agricoles durables et respectueuses de la nature et des êtres.

Les formidables richesses agricoles et des produits de la transformation agroalimentaire, sont créateurs d’autonomie alimentaire mais aussi de revenus et d’emplois. Comme dans un cercle vertueux, les enfants de cette moitié rurale d’Afrique vont pouvoir aller de plus en plus à l’école et eux aussi participer au miracle africain.

Le continent de l’énergie verte

La nouvelle ère africaine a besoin d’énergie et de l’électrification généralisée. La plupart des pays sont toujours en proie à des pénuries chroniques d’électricité. Comment est-ce possible quand le soleil est permanent, les vents réguliers et les cours d’eau si puissants ?

L’Afrique doit être et sera le Continent de l’énergie verte. Il s’agit de créer un mix énergétique ambitieux dont l’objectif est la conquête progressive de l’autonomie locale et continentale avec l’intégration des nouveaux modèles de production, de stockage et de distribution adaptés aux besoins du Continent. Et avant tout créer de l’électricité là où elle est nécessaire, au plus près, avec la meilleure empreinte environnementale et le prix le plus bas.

Le potentiel géophysique de développement d’un mix africain combinant durablement éolien et micro-éolien, hydraulique et micro-hydraulique, photovoltaïque, cogénération, méthanisation, … est considérable tant les surfaces disponibles, les taux d’ensoleillement, les façades maritimes, le débit des cours d’eaux … sont prometteurs.

Ces développements sont disponibles. Ils sont essentiels pour permettre de faire baisser le coût de l’énergie et assurer l’autonomie énergétique du Continent. Les pays africains seront des acteurs centraux pour gagner la bataille pour le changement climatique.

Une économie du 21e siècle, humaine, durable et inclusive

Certains pensent encore que le chemin le plus rapide vers le développement est de copier la Chine, usine du Monde d’avant, pour industrialiser rapidement en donnant aux travailleurs emplois et salaires. Je pense qu’il faut écrire une histoire spécifiquement africaine, celle d’une économie réellement du 21é siècle, humaine, durable et qui partage la prospérité avec les citoyens.

Pour prospérer sur une base large, l’Afrique doit créer toutes sortes d’emplois pour des personnes certes de plus en plus qualifiées mais plus encore pour les moins ou non qualifiées. L’industrialisation de l’Afrique n’est pas un rêve mais une réalité qui s’installe petit à petit avec ses emplois liés.

Le développement d’usines de produits manufacturés créent déjà les conditions d’une prochaine révolution directement liée à la valorisation sur le sol africain des incroyables ressources naturelles. Au delà, dans le désordre, il y a déjà les vibrations conquérante d’un digital africain qui invente ses propres modèles, l’eldorado à venir de l’économie maritime, les réussites engagées de l’économie circulaire en lien fort avec la résilience naturelle de l’Afrique … autant de trésors de croissance, de richesse et d’emplois à venir.

D’autres secteurs « industriels » stratégiques me paraissent tout aussi prometteurs. Au cœur de cette nouvelle expérience africaine le développement d’un mix innovant de réseaux de
mobilités d’abord routiers et ferroviaires … puis aériens et maritime comme la continuité territoriale numérique du Continent sont des garanties de prospérité.

Même dans cet après COVID-19, le tourisme est un formidable gisement de croissance et d’emploi pour chaque région, chaque pays du Continent. Les cultures africaines vivent déjà au rythme des moyens de communication 2.0 et s’exportent partout sur les marchés de l’entertainment continental et globalisé. Dans tous ces secteurs il faut pousser plus loin les efforts et investissements pour encore bonifier le réel du moment.

Un continent en route vers la Paix et la sécurité

Une des plus belles conquête africaine de ces dernières années, c’est que la paix et la sécurité ne constituent plus une fiction futuriste pour les africains. Les niveaux de conflits et de guerres de haute intensité sont en baisse constante.

L’Afrique n’est plus la région la plus violente du monde. Si la tendance pacifique se maintient, malgré les menaces toujours vivantes du terrorisme islamique et le développement international des activités et donc de la puissance des gangs made in Africa, le Continent parviendra à l’horizon 2030 à « faire taire les armes » sur une grande partie de son sol. La paix apporte concrètement la sécurité pour les personnes et les biens.

Une monnaie commune ?

Le débat sur une monnaie communautaire à l’échelle du Continent conçue comme une devise acceptée par les marchés internationaux, comme l’euro, doit devenir une priorité des leaders africains. Et peut-être des autres aussi. Emmanuel Macron l’a par exemple bien compris. Ce serait une révolution. Mais elle ouvrirait des chances équitables pour la compétitivité commerciale du Continent à l’échelle internationale.

On pourrait intégrer, dans ce débat, comme pour d’autres zones économiques, l’annulation de la dette des États Africains. Je pense en particulier à celle venue, comme le covid-19, de Chine avec ses taux presqu’usuriers. Dans un contexte où l’Europe révolutionne sa doxa financière et monétaire, et où la Reserve Fédérale américaine ne se donne plus de limite d’injection de liquidité pour soutenir l’économie.

Diplomatie collective et middle powers

Autre bonne nouvelle, on sent monter dans de nombreux pays, comme une volonté, de plus en plus partagée pendant l’attaque du covid-19, celle de reprendre le contrôle sur son destin propre mais aussi sur celui de l’ensemble collectif africain. Quitter les errements du chacun pour soi et créer et développer les espaces où la solidarité collective fabrique aussi la puissance.

La nouvelle génération des gouvernants doit inventer une nouvelle forme d’intégration continentale. Il s’agit de quitter le rapport de force bilatéral du faible pour activer le levier du multilatéral des nouvelles puissances moyennes qui s’unissent pour refuser les dépendances castratrices aux grands blocs et aux institutions supranationales pour notamment calibrer une diplomatie économique et financière d’équilibre.

En finir avec les faux gourous mercenaires venus recycler leurs propres échecs

Enfin les leaders africains ne doivent plus écouter les faux gourous mercenaires venus recycler les recettes de leurs propres échecs politiques et économiques répétés depuis plus de 30 ans en Europe ou ailleurs en Afrique et dans le monde. Une seule évaluation : le résultat … et en Afrique comme ailleurs y compris en Europe : il n’est pas très souvent en faveur du pays … à piller.

Nouvelle gouvernance politique et administrative

Rien de tout cela ne peut exister sans la poursuite, l’accélération même, de la libéralisation des espaces publics africains. Dans les années 80, la plupart des pays africains étaient des autocraties, au mieux des démocratures. 30 ans plus tard, la plupart sont devenus sensiblement plus démocratiques et les Africains ont beaucoup plus de choix politiques. Et côté corruption elle aussi en baisse, elle n’est pas l’exclusivité des fonctionnaires ou politiques africains, loin s’en faut.

Le renforcement juridique et culturel de la démocratisation et du contrôle populaire de l’espace politique et de celui de l’administration sont vitaux pour que la confiance partagée fluidifie toutes les énergies africaines dans la stabilité de la durée. Il faut lui ajouter l’invention et le déploiement de nouvelles formes africaines d’organisation de l’action publique adaptées à la diversité des territoires entre nécessaire centralisation et décentralisation.

Mon propos n’est pas ici d’opposer l’Afrique aux autres continents, en particulier au mien, l’Europe. Il ne s’agit pas non plus d’inventer l’impossible. Je veux simplement saisir ce qui nous tend les bras. L’Afrique et ses territoires sont de formidables réservoirs d’avenir pour les africains et pour nous tous !

Ils sont des alliés de notre futur collectif. Ils nous offrent même une certitude de réussite pour les siècles qui viennent. Il s’agit d’un vrai pole de stabilisation géopolitique et économique mais aussi climatique pour la planète. Une réserve de croissance verte et bienfaisante.

Le siècle prochain pourrait être le siècle africain

Plus de jeunes gens et en pariculier plus de filles vont à l’école, la paix et la sécurité avancent comme la démocratie, les économies se diversifient et se structurent, l’innovation irrigue les territoires, … un vent nouveau souffle qui va effacer la crise du covid-19.

Dans le moyen et long terme, l’optimisme est réaliste. Mais pour égaler le succès économique de l’Asie sans en payer les prix humains et environnementaux voire démocratiques, l’Afrique et ses peuples ne peuvent pas simplement copier les expériences des autres ou se laisser porter par les conseils ou investissements étrangers.

Ils ont besoin d’inventer leur modèle. Ils ont besoin de libérer les énergies d’une nouvelle génération. Ils ont besoin de développer plus encore l’accès aux services de base nécessaires pour éduquer et faire croître les talents, défendre l’état de droit et maîtriser et valoriser les formidables richesses du Continent. Si c’est le cas, le siècle prochain pourrait être le siècle africain.

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