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Tribune : «En Afrique, la stratégie sanitaire devra tenir compte des contextes et des réalités socio-économiques et culturelles»

Par Omar Thiam, Docteur en sciences économiques et directeur de l’École de Management du Groupe ISM.

Le continent africain risque à son tour d’être violemment frappé par la pandémie. Le docteur en sciences économiques Omar Thiam fait le point sur les défis spécifiques qui l’attendent et s’interroge sur la prévention à y mettre en œuvre.

La pandémie de COVID-19 continue de gagner du terrain. Plus de 184 066 personnes sont mortes dans le Monde, dont 1 246 en Afrique pour l’instant. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lançait, il y a quelques semaines, un appel sur RFI et France 24 pour un sursaut mondial dans la lutte contre la propagation du virus en Afrique. Il disait qu’il n’était pas trop tard pour éviter «des millions de morts».

Ces «millions de morts» peuvent en effet être évités si les mesures adoptées prennent en compte les différences de contextes ainsi que de réalités socio-économiques et surtout culturelles des pays africains.

Si nous empruntons la même voie que les grands pays développés, nous irons droit vers la catastrophe.

Si nous empruntons la même voie que les grands pays développés, à savoir les États-Unis, la France, la Chine et l’Italie – aujourd’hui dépassés malgré leurs moyens financiers et leurs équipements impressionnants – nous irons droit vers l’hypothèse catastrophique évoquée par le Secrétaire général des Nations unies.

Le continent africain, de par sa population et les systèmes de santé des pays qui le composent, se distingue des autres régions du Monde contaminées par le COVID-19. Il est important de prendre en compte trois facteurs qui concernent la population africaine.

Tout d’abord, la structure démographique du continent est différente des autres régions du monde. L’âge médian des 1,3 milliard d’Africains est de 19,7 ans. En revanche, l’âge médian en Chine est de 38,4 ans, tandis qu’il est de 43,1 en Europe.

Les expériences en Asie et en Europe ont montré que les personnes de plus de 60 ans et celles ayant des problèmes de santé importants sont les plus vulnérables aux cas graves de COVID-19. Bien que la jeunesse africaine puisse être considérée comme un facteur de protection important face à la pandémie, la manière dont le virus évoluera et se manifestera sur le continent demeure inconnue.

Les pics de paludisme en 2020 pourraient coïncider avec la pandémie de COVID-19 en cours.
Le deuxième facteur à prendre en compte au sein de la population est la forte prévalence de la malnutrition, de l’anémie, du paludisme, du sida et de la tuberculose dans certains pays.

Par exemple, le Burundi et le Libéria ont un taux de retard de croissance parmi les plus élevés au monde ; un enfant de moins de cinq ans sur trois souffre d’un retard de croissance. On peut envisager une accélération de cette pandémie en Afrique subsaharienne en raison d’une incidence plus forte de la malnutrition dans des pays comme le Soudan.

De plus, la saison des pluies est arrivée dans différentes zones, ce qui signifie que les cas de paludisme augmenteront rapidement et que les pics de paludisme en 2020 pourraient coïncider avec la pandémie de COVID-19 en cours.

Nous devons donc prévoir en Afrique une incidence plus élevée de formes sévères de COVID-19 chez les malades jeunes en raison de la démographie et des conditions endémiques associées qui affectent le système immunitaire. La malnutrition, l’anémie, le paludisme, le sida et la tuberculose sont susceptibles d’augmenter la gravité du COVID-19. Le risque est bel et bien significatif!

Troisièmement, la cohésion sociale et les rassemblements sociaux sont d’une grande importance en Afrique. Par exemple, la fréquentation hebdomadaire des lieux de culte est forte. Par conséquent, les mesures visant à imposer une distanciation sociale et physique peuvent s’avérer plus difficiles à mettre en œuvre, comme l’ont démontré certaines contestations au Sénégal à la suite de la fermeture des mosquées ayant elles-mêmes suivi l’apparition des premiers cas de COVID-19.

Depuis, des efforts ont été consentis, en concertation avec les autorités et les associations religieuses. Cependant, la situation diffère d’un pays à l’autre. Le chef d’État tanzanien, au cours d’une messe dimanche dernier, a proclamé le refus de son pays de fermer les lieux de culte parce que c’est là qu’on trouve «la vraie salvation».

La capacité de l’Afrique à fournir des soins intensifs est la plus faible au monde

Deux facteurs majeurs liés aux systèmes de santé africains rendront en outre la réponse au COVID-19 plus difficile. Premièrement, le continent connaît le double fardeau des maladies: en plus de faire face à ces maladies infectieuses endémiques, les systèmes de santé africains n’ont pas les moyens d’absorber la pandémie de COVID-19.

Deuxièmement, la capacité de l’Afrique à fournir des soins intensifs est la plus faible au monde. Les formes sévères de COVID-19 entraînent une insuffisance respiratoire nécessitant une assistance ventilatoire. La possibilité de traiter les formes sévères de COVID-19 dépendra de la disponibilité des ventilateurs, de l’électricité et de l’oxygène.

Une analyse récente des pays ayant le plus grand nombre de lits de soins intensifs par habitant n’inclut aucun pays d’Afrique. Par exemple dans certains pays africains, à l’image du Libéria, il n’y a pas d’unités de soins intensifs avec des ventilateurs.

L’Ouganda compte 0,1 lit de soins intensifs pour 100 000 habitants. En revanche, les États-Unis comptent 34,7 lits pour 100 000 habitants.
Les leçons apprises en Italie et en Chine sont extrêmement précieuses. Cependant, elles ne peuvent pas être directement plaquées sur l’Afrique en raison des différences démographiques et des contraintes liées au système de santé que nous avons évoquées.

Les systèmes de santé en Afrique sont en difficulté et ont une capacité très limitée à absorber la pandémie. L’approche stratégique globale devra donc se concentrer sur des mesures préventives agressives et sur un confinement très ciblé et limité. En effet, le confinement généralisé de la population, réponse privilégiée dans de nombreux pays du monde, n’est pas adapté à l’Afrique subsaharienne.

En effet, sur un continent où la majorité de la population vit avec moins de deux dollars par jour, le poids de l’économie informelle est considérable. En 2018, le secteur employait 85,8 % des travailleurs, d’après une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT). Dans ce contexte, il est donc difficile de demander aux individus de rester chez eux.

Le leadership et l’engagement des jeunes seront essentiels dans les activités de prévention

Une distanciation physique précoce et agressive et un lavage fréquent des mains prévaudront comme les moyens d’intervention les plus efficaces et les plus abordables pour le continent, avec des tests parallèles, la recherche des contacts et l’isolement des cas. Pour que les mesures préventives agressives fonctionnent, il faudra le soutien total des populations.

L’appui de ces dernières ne peut être obtenu qu’avec un engagement communautaire et un sursaut citoyen. De plus, le leadership et l’engagement des jeunes seront essentiels dans les activités de prévention. Enfin, compte tenu de l’importance des activités religieuses, les guides devront participer activement à la réponse au COVID-19, par la sensibilisation et la conscientisation.

En ce qui concerne le système de santé, les salles d’opération et les équipes pourraient être réorganisées et réaffectées pour renforcer les capacités de soins intensifs dans les hôpitaux.

Le contexte africain est unique. Il existe des différences dans la structure de la population, une prévalence élevée de maladies endémiques et la double charge de morbidité, avec des systèmes de santé affaiblis et présentant une capacité limitée de soins critiques.

Il est difficile d’anticiper l’avenir de l’Afrique du point de vue de la santé publique.

Que dire donc des enjeux à venir? Il est difficile d’anticiper l’avenir du point de vue de la santé publique. Une épidémie ou une pandémie peut toujours émerger. La forte croissance de la densité démographique, l’urbanisation, la promiscuité, la pauvreté et le changement climatique représentent à ce titre d’importants facteurs de risques.

De plus, d’autres défis majeurs attendent l’Afrique. La croissance démographique du continent est sans précédent dans l’histoire de l’humanité, tant par son ampleur que par son rythme: la population du continent va doubler en moins de trois décennies, passant de 1 milliard d’habitants à 2 milliards d’ici à 2050, pendant que le continent africain est le dernier de la terre à amorcer sa transition démographique.

Enfin, les conséquences économiques et sociales des phénomènes migratoires à l’intérieur et en dehors du continent ne semblent pas davantage anticipées en matière de besoins en nourriture, en éducation, en soins, en assurance maladie, en protection sociale et enfin en emplois.

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