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Thierno Seydou N. Sy, Dg de la Bnde : «Nous nous préparons à la digitalisation»

Le changement de visuel de la Banque nationale de développement économique est intervenu juste après l’annonce d’un résultat positif de plus de 2,5 milliards de francs Cfa. Le Directeur général de la banque, M. Thierno Sy, en a profité pour faire un large tour d’horizon de la vision de sa société, et des perspectives qu’offrent les développements économiques dans le pays. Il donne l’image d’une entreprise épanouie, optimiste et résolument préparée à affronter les défis du présent et du futur.

La Bnde change de look après avoir annoncé des résultats particulièrement brillants dans un contexte de marasme. Relation de cause à effet ?
Merci pour cette question qui nous permet de faire une rétrospective de la situation de la Bnde depuis son démarrage. La Bnde a commencé ses activités en 2014 avec un agrément obtenu en 2013. Nous avons durant les débuts, peiné à progresser sur le marché bancaire sénégalais. Mais nous nous sommes accrochés sur une stratégie, qui était de mieux connaître la Pme, mieux la comprendre et proposer des produits adaptés à ses besoins. Et c’est là que nous nous sommes rendu compte que le véritable besoin pour la Pme, était de survivre dans un contexte où elle arrive à gagner des marchés, à fonctionner, mais dans lequel elle n’arrive pas à trouver les moyens de financer son exploitation. Donc, on a accompagné toutes sortes de Pme, aussi bien les Pme structurées que non structurées, et même celles qui sont en création. Et grâce à cette phase, nous avons appris à mieux connaître les Pme, même celles qui n’ont pas d’états financiers.
Trois années importantes, durant lesquelles nous étions seuls, nous n’avions pas de soutiens. Les institutions financières nous regardaient et attendaient de voir. Mais on y croyait, parce que nous avions la mission d’accompagner les entreprises sénégalaises. Et les statistiques montraient que ces entreprises avaient un rôle important dans l’activité économique du Sénégal, dans sa croissance et dans la constitution du Pib. Mais n’étaient pas accompagnées convenablement. Nous étions convaincus que le pays doit être soutenu par les acteurs financiers implantés au Sénégal. Et nous étions là pour montrer que malgré tout ce qui se disait sur les banques de développement dans les années 1980, on peut effectivement créer un mécanisme de financement inclusif, durable et rentable.
Nous nous sommes rendu également compte que les Pme avaient beaucoup besoin de grandir et de croître, mais n’en avaient pas les moyens. Sur beaucoup d’entre elles, nous avons identifié des besoins de croissance forte, et des produits d’accompagnement leur ont été proposés, cela a été un déclic pour elles et leur a permis d’abord, de renouveler leur équipement pour augmenter leur capacité de production, et d’investir dans des activités annexes.
Durant les 2 années qui ont suivi les 3 années que j’appelle «la période start-up», nous avons accompagné les Pme dans la phase d’investissement. C’est à ce moment que beaucoup d’entreprises sénégalaises ont commencé à croire en la Bnde, aussi les partenaires financiers à s’intéresser à la banque, à nous accompagner sur des lignes de financement ? Et c’est durant cette période que nous nous sommes forgé une expertise qui nous a permis d’attaquer des marchés qui étaient jusque-là réputés inattaquables, du fait de leur organisation, comme les chaînes de valeur agricole et industrielle.
Nous avons aussi, au cours de cette phase, subi une situation qui a affecté tout le monde, à savoir la pandémie. Elle est arrivée lorsque l’on a commencé à accompagner les entreprises dans leur croissance. Il fallait soit regarder la pandémie nous battre, soit la contrecarrer. La volonté de se battre était déjà là à la Bnde, mais elle a été appuyée par les actions menées par les autorités sénégalaises et par la Banque centrale, qui ont chacune, pris une responsabilité historique, pour les autorités sénégalaises, en mettant en place un fonds de résilience, et pour la Banque centrale, en optant pour un allègement du dispositif bancaire et en facilitant l’accès au marché monétaire. Cela nous a permis à nous, qui avons la volonté de mieux accompagner les Pme sénégalaises, de le faire de manière très organisée, et d’intervenir dans le Fonds de résilience à des montants très élevés, de l’ordre de 10 milliards, et de pouvoir, durant cette période, sauver des entreprises, en leur permettant de continuer à fonctionner et à payer leurs salaires.
Nous avons aussi, durant cette période, accompagné les autorités dans des secteurs aussi stratégiques que celui du tourisme et de l’hôtellerie, ainsi que celui du transport aérien. Nous avons injecté plus de 12 milliards dans ce secteur, qui bénéficie déjà d’un plan de relance spécifique.
C’est dire que la Bnde a aujourd’hui gagné en expertise. Il y a plus de 220 personnes qui y travaillent. Elle a mis en place des agences un peu partout au Sénégal. Nous avons 16 agences, dont une agence mobile. Et nous continuons d’en créer, dont 3 pour cette année. La Bnde a grandi. Elle a un total bilan qui la place parmi les banques moyennes, sinon celles de grande taille. Nous avons atteint une taille qui nous permet de viser encore plus haut et plus grand. D’avoir l’audace d’intervenir dans des secteurs stratégiques forts, et de pouvoir faire bénéficier l’économie du Sénégal de notre expertise, surtout en matière de financement. Notre pays va être producteur de pétrole et de gaz ; il a défini un plan d’actions prioritaire accéléré et ajusté (Pap2A) sur des secteurs de souveraineté. Nous pensons que c’est le moment de faire le grand saut avec tous ses projets et avec l’appui des autorités, ainsi que de nos partenaires, qui nous accompagnent dans les lignes de financement. Nous le ferons également avec notre personnel qualifié, prêt à engager ce grand défi du développement.

Ce qui veut dire, si je comprends bien, que vos résultats de 2020 ne sont pas un hasard, et que vous êtes déterminés à faire encore mieux cette année… ?
Exactement, nous avons la volonté de faire plus et mieux, même si 2021 est une année de vérité, en ce sens que personne ne pensait que la pandémie allait se poursuivre jusqu’à présent. Mais, même si elle a été un choc pour tout le monde, on doit considérer cette pandémie comme une opportunité. Et en 2021, l’opportunité va être pour nous, le Plan de relance économique, qui est doté d’une enveloppe globale de 300 milliards, que l’Etat du Sénégal va injecter dans le secteur bancaire, et qui doit nous permettre d’intervenir davantage dans le financement des secteurs stratégiques, comme la santé, le numérique, les Btp, les infrastructures, l’agrobusiness. Nous avons des clients dans ces secteurs, qui vont tenter de développer leurs activités, et nous allons les y accompagner. L’autre opportunité que nous avons, est que les entreprises vont commencer à investir dans leurs secteurs d’activités, et des secteurs comme celui du tourisme, du transport aérien et de l’hôtellerie, vont être mieux accompagnés. Nous avons signé dernièrement, deux conventions avec 2AS et LAS, pour capter le maximum de flux d’affaires qui tournent autour de l’aéroport de Diass et qui va devenir un grand hub.
Nous nous sommes aussi impliqués sur les grands projets liés à l’exploitation pétrolière en prospérant au-delà du niveau 2 de l’exploitation du pétrole, à savoir, le financement de l’exploitation du pétrole brut et du gaz, de leur distribution en passant par leur transformation.
Donc, de l’Aval…
Oui, de l’Aval en amont, pour capter un peu toutes les activités tournant autour des grandes structures qui vont travailler dans le pétrole comme Woodside ou autres. Nous ne pourrons pas pour le moment avoir directement des entreprises comme Woodside, mais nous pourrons avoir leurs partenaires sénégalais, qui ont des besoins énormes de financement, que nous allons essayer de capter, avec la loi sur le contenu local. Donc, nous souhaitons être sur la chaîne de valeur du pétrole et du gaz. Cela va nécessiter des interventions assez fortes, et nous pensons que, si tout se passe bien, nous allons encore davantage progresser…

Cela va nécessiter aussi des ressources humaines
Des ressources humaines et de la capacitation. Il faut d’abord avoir une expertise dans ce domaine, et nous sommes en train d’investir dessus. Je salue sur ce point, l’apport de nos autorités, qui nous aident à mettre à niveau nos ressources humaines. Nous allons bientôt faire une formation sur la gestion pétrolière, une formation assez pointue dans le domaine financier de ce secteur et qui va impliquer toutes les parties internes de la Bnde, pour leur permettre de connaître les produits que l’on doit mettre en place dans le cadre du financement du pétrole. Car il faudra mettre en place des financements structurés, en crédits de trésorerie mais aussi, en engagements de signature, avec des partenaires extérieurs qui pourront accorder leur garantie à la Bnde,….

Vous êtes une banque née il y a moins de 10 ans, et à vous entendre, vous donnez l’impression de grandir un peu trop vite, et d’embrasser trop de choses. Ne craignez-vous pas de connaître le sort des banques de développement qui vous ont précédés ?
Je pense qu’il n’y a pas une banque de l’Etat au Sénégal et dans le monde qui a progressé comme nous le faisons et qui a connu dans son parcours des déboires. Il y a eu, bien avant, des structures étatiques qui, il faut dire, étaient dans un environnement non règlementé, non contrôlé, où l’autorité monétaire n’avait pas la fonction de contrôle et de sanction. Avant les années 90, la Banque centrale n’était qu’une autorité d’émission de monnaie. Aujourd’hui, la Banque centrale est l’entité émettrice de monnaie, et en même temps, une entité de contrôle et de supervision des banques. Elle fait aussi de la prospection économique.
En tant que banque, nous sommes contrôlés, vérifiés tous les ans par la Commission bancaire. Nous faisons des reporting mensuels qui permettent à la Banque centrale de savoir si nous ne sommes pas en train de dériver, de faire autre chose que ce que nous devons faire. A ce moment-là, la Commission bancaire a le pouvoir de descendre quand elle veut au niveau des banques. La Banque est plus régulée qu’avant, le contexte a changé. Nous avons l’avantage d’être dans des pays où il y a une importante marge de progression. Sortez de Dakar, pour voir, à partir de Thiès, le vide qu’il y a. Ce vide, si nous ne le comblons pas, personne ne le fera à notre place. Dans ce «vide», peut-être un jour y trouvera-t-on des minerais ou des matières premières, on n’en sait encore rien. Mais ce «vide» doit aujourd’hui être occupé par des industriels, par des populations. A ce moment-là il faudra une institution bancaire pour l’accompagnement des entreprises, de l’Etat et des populations. Tout cela nécessite de l’ambition. Et nous avons cette ambition.

Vous êtes une banque étatique, dans un environnement où il existe d’autres structures de financement de l’Etat, dont les missions chevauchent un tout petit peu les vôtres. N’y a-t-il pas doublon, ou bien des structures qui mériteraient de laisser la place à d’autres ? Pour ne pas les citer, la Bnde, la Der, le Fongip ou la Lba ?
D’abord, s’agissant de la notion de banque étatique, je préfère dire banque de Sénégalais, l’Etat en est certes le fondateur, mais il opère avec d’autres partenaires.
Au Brésil, en Afrique du Sud, vous avez des banques nationales de développement qui jouent le même rôle que nous. D’autres pays, comme la Rdc, le Rwanda, et d’autres encore, sont en train de créer leurs banques de développement. De plus, la pandémie a montré que les banques de développement sont indispensables dans nos écosystèmes financiers.
Maintenant, par rapport à votre question, je pense qu’il n’y a pas de doublon. Si vous prenez les cas que vous avez cités, le Fongip apporte la garantie dans un financement. Il nous assure un complément. Maintenant, il y a d’autres banques sur le marché, qui sont à participation majoritaire de l’Etat, comme la Lba, la Banque de l’Habitat. Même si ces deux banques ont pris l’option stratégique de devenir des banques universelles, elles ont quand même des métiers de base. Il faudrait donc essayer d’optimiser les choses, voire harmoniser les actions. Il faudrait éviter que ces trois banques ne se marchent sur les pieds. Il faudrait un appui fort de l’Etat, qui doit laisser chacune dans son secteur d’activités et leur donner les ressources nécessaires pour accompagner les entreprises. Les avoir ainsi de manière séparée ne sert à rien. Ces trois banques ont individuellement un poids faible sur le marché. Par contre, réunies, elles peuvent être parmi les 4 premières banques du Sénégal avec une taille systémique.

L’Etat avait engagé une réflexion sur cette harmonisation des structures de financement. Où en est-elle ?
Je ne suis pas dans le secret des stratégies de l’Etat. J’avais appris cette réflexion, comme tous les Sénégalais et je n’en sais pas plus. Mais je crois que c’est une décision impérieuse, à prendre rapidement. Sinon, nous risquons, toutes les trois banques, d’être bloquées par le niveau de fonds propres dans notre recherche de croissance. Prenons le cas du programme des 100 mille logements. Aucune d’entre nous ne peut porter ce projet. Par contre, si on se syndique et qu’on trouve des mécanismes autour de nous, on pourrait faire un grand pas dans cet immense programme. Je pense que l’Etat a bien compris cela et veut prendre les bonnes décisions. Mais il faudrait le faire rapidement. Lorsque l’on annonce une décision pareille, sa mise en œuvre doit être rapide.

Votre ancien partenaire, Bridge Bank, s’installe à Dakar et devient un peu votre concurrent. Quelles relations allez-vous entretenir avec elle aujourd’hui ?
Je voudrais profiter de l’occasion pour remercier le promoteur de Bridge Bank Group West Africa, M. Yérim Sow. Lorsque je suis arrivé ici en 2012 pour rechercher un agrément bancaire, le premier écueil que j’avais pour l’obtenir, était de constituer un tour de table crédible. Personne ne voulait être actionnaire de la Bnde, parce que peu de gens y croyaient. C’est lorsque M. Yerim Sow a donné son accord pour être actionnaire que beaucoup d’opérateurs ont accepté de rejoindre le projet. Nous avons travaillé, depuis 2014, dans une ambiance qui a des hauts et des bas. Mais qui nous a permis à tous, de nous mesurer et de nous apprécier. S’il s’installe aujourd’hui au Sénégal, c’est qu’il sait qu’il y a des opportunités dans notre pays. Il sait que la Bnde ou toute autre banque, ne peut accompagner l’économie de manière totale à elle seule. Il faut plusieurs banques pour le faire. Nous l’accueillons comme un partenaire et lui souhaitons Akwaba, ou comme on le dit au Sénégal, «Yeksil ak jamm». Nous sommes sûrs que nous travaillerons en bonne intelligence.

Quelles perspectives dans l’immédiat, pour la Bnde ?
C’est préparer la banque de demain. Tout ce que l’on fait, si l’on ne transforme pas notre approche commerciale et clientèle, est voué à l’échec. Le monde de demain est celui de la digitalisation. Nous ne pourrons pas continuer à faire de la banque physique…

Vous craignez les Fintechs ?
Il y a des Fintechs qui existent déjà. Nous allons nous appuyer sur eux pour pouvoir proposer des produits digitaux. Nous allons faire de la digitalisation de manière progressive car nous sommes avant tout des Africains, des Sénégalais. Nous avons besoin de nous voir et de nous parler. La digitalisation totale n’est pas encore une réalité forte, bien qu’il faille déjà se préparer à cela. On a déjà les sociétés de télécoms, qui ont leurs produits de digitalisation, parce qu’elles ont les infrastructures, les connaissances et le background nécessaires. Elles ont lancé des produits digitaux, comme les systèmes de paiement, qui concurrencent les banques. Il y en a même parmi elles qui ont obtenu un agrément bancaire, et sont devenues des banques. Mais, à mon avis, ce ne sont pas les sociétés de télécoms qui constituent le danger pour le système bancaire. Ce sont les Gafa (Google Amazone Face­book Apple. Ndlr). Ces Gafa vont venir balayer tout le monde, aussi bien les sociétés de télécoms que les banques. Si on n’y prend garde. Donc, tout le monde doit se préparer dès à présent, aussi bien les banques, les sociétés de télécoms que les régulateurs. Car, demain, le système bancaire sera difficile à réguler. Les opérations vont aller dans tous les sens et l’on risque de connaître une dérégulation et une dérèglementation qui vont perturber le système financier en général Donc, il faut le préparer. Et pour cela, il faut être déjà dans la digitalisation. Offrir au client des produits qui puissent lui permettre partout où qu’il se trouve, d’accéder à la banque. C’est ainsi que nous avons lancé un projet de digitalisation, qui est en cours. C’est un point qui va nécessiter une urgence forte dans sa mise en œuvre. La digitalisation concernera aussi bien les clients particuliers que les entreprises. Ces dernières n’auront plus besoin de se déplacer. Elles pourront faire leurs opérations à partir de chez elles. La seconde perspective sera de créer des structures de financement alternatif comme la micro-finance islamique.
L’autre perspective est de lancer les agences, et couvrir tout le Sénégal. Nous allons aussi développer le mécanisme d’Agency Banking, par de petites agences créées par le biais d’un intermédiaire en opérations bancaires, à qui nous donnons un agrément pour qu’il puisse offrir les produits bancaires classiques à des populations qui n’avaient pas de banque dans leur localité. Nous avons aujourd’hui une quinzaine points de vente à Dakar et dans les régions. Nous comptons, d’ici 2022-23, avoir 80 points de vente partout dans le Sénégal.

(LEQUOTIDIEN)

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