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Théorie monétaire moderne : Des économistes dissèquent les limites des pays sans leur propre devise

La théorie monétaire moderne (TMM) ou ‘’Modern Monetary Theory’’ (MMT) peut être une des solutions pour les objectifs de politiques économiques des Etats en développement, notamment le plein emploi, et complète la capacité d’utilisation des capacités disponibles sur leur territoire. C’est ce qu’a soutenu l’ancien comptable public du ministère français des Finances, Robert Cauneau, lors de l’édition de ce mois des ‘’Samedis de l’économie’’.

La théorie monétaire moderne (MMT) présente deux aspects. Le premier est, selon l’ancien comptable public du ministère français des Finances, celui ‘’descriptif’’, fondé sur l’observation des opérations comptables. La seconde concerne l’aspect normatif fournissant des instruments de politique économique, notamment pour le plein emploi et la maximisation et la stabilité des prix.

‘’La monnaie touche tous les aspects de la société. Comprendre la monnaie n’est pas suffisant, mais c’est nécessaire pour avoir une vision claire du monde dans lequel nous vivons. (…) Dans la MMT, l’élément le plus important, c’est d’expliquer comment un pays qui maitrise sa devise peut définir des politiques pour parvenir au plein emploi et le maintenir. Le point de départ de la MMT est le constat factuel que les devises sont des créations publiques et en particuliers des monopoles publics. La MMT ne parle pas de monnaie en général, mais de devise spécifique à un pays donné’’, explique Robert Cauneau.

Le comptable français, qui s’exprimait ce week-end lors de l’édition de ce mois des ‘’Samedis de l’économie’’, a soutenu que la MMT parvient à ‘’aider à l’élaboration de solutions’’ pour les objectifs de politiques économiques, notamment le plein emploi et la complète capacité d’utilisation des capacités disponibles sur leur territoire. ‘’Et cela doit mener logiquement à l’éradication de la pauvreté. Tout ce qui est techniquement possible l’est financièrement. (…) Les devises sont des créations publiques, étatiques des monopoles. Ce qui veut dire qu’une devise ne peut être créée par une autorité publique, en l’occurrence l’Etat. Il faut bien comprendre qu’il y a l’Etat d’un côté qui, dans la mesure où il crée sa propre devise, a un rôle totalement différent des autres acteurs, ceux du secteur privé. C’est l’Etat qui a le monopole de la force sur son territoire. Il est le seul créateur de la devise. Le secteur privé en général, utilisateur de la devise, est fondamental, pour bien comprendre le processus’’, dit M. Cauneau.

L’objectif premier de la devise, note-t-il, ‘’n’est pas de donner un moyen de change’’ aux agents du secteur privé. La seule finalité, c’est de fournir du travail et des biens réels à l’Etat, de l’approvisionner en travail et en biens et services. ‘’Le marché est d’abord un système généralisé d’échanges de services. La fiscalité joue un rôle bien différent par rapport aux autres systèmes. Dans la vision MMT, la fiscalité, c’est le moteur du système. Par contre, il existe bien une limite qui est celle de la disponibilité des ressources réelles de l’Etat ; limites naturelles, technologiques, personnes à employer, donc en réalité de l’inflation. Il n’y aura pas de limites nominales, financières dans la création de la devise’’, compare-t-il.

‘’Le crédit bancaire ne crée que du pouvoir d’achat’’

L’ex-comptable français détaché pendant huit ans auprès du trésorier général du Sénégal à Dakar, précise ainsi que l’impôt ‘’ne finance pas’’ la dépense publique. A ce stade, Robert Cauneau indique que l’Etat crée sa propre devise. Il n’a pas besoin d’impôts. ‘’Cela signifie d’une manière logique que la dépense publique précède l’encaissement des impôts. En effet, toute la devise qui a été utilisée pour payer les taxes a été nécessairement, au préalable, fournie au secteur privé dans la dépense publique.  Seule la dépense publique permet de créer de la richesse financière nette au profit des agents du secteur privé. Le crédit bancaire ne crée que du pouvoir d’achat. Il ne crée pas de richesse financière nette’’, fait-il savoir.

Pour sa part, l’économiste italien et cofondateur de Rete MMT Italia, ainsi que de MMT France, estime que reconnaître la puissance financière et la responsabilité de l’Etat, c’est reconnaître son vrai potentiel sur la contribution au progrès, au développement. ‘’L’Etat est celui qui arrive à faire les investissements-clés pour le progrès de la société. L’Etat a la capacité d’apporter le plein d’emploi, d’activer la capacité productive qui existe déjà sur le territoire. Il y a une limite réelle qui peut être exploitée complètement, seulement si on connait la monnaie. Si on est un pays pauvre sans ingénieurs, sans capacités techniques, sans ressources, si on met tout le monde au travail, on va rester probablement pauvre’’, affirme Ivan Invernizzi.

Le chômage signifiant qu’il y a des personnes qui cherchent de la devise en essayant de vendre leur force de travail, mais n’y parvient pas, Robert Cauneau souligne que la devise, c’est aussi un instrument d’exportation, d’extraction de ressources au profil. ‘’On impose des limites aussi bien en termes de déficit que de dette publique aux pays qui ne disposent pas de leur propre devise. Ces limites sont des contraintes institutionnelles, fondées sur absolument aucune logique technique, économique. C’est purement politique. Il est clair que l’Union européenne a l’austérité dans son ADN’’, renchérit par ailleurs le comptable français.

La devise, un instrument au service du colon

A ce propos, M. Invernizzi a relevé, lors de son intervention que quand on colonise un pays, on impose la devise. On a des mécanismes pour extraire de la production de ces pays, des biens réels. ‘’C’est pour cela que les Français et les Anglais imposent leur devise. C’est leur instrument pour arriver à extraire la production réelle et de faire en sorte qu’il y ait plus de biens exportés et moins de biens importés de ces pays. Ce qu’il faudrait faire, c’est maximiser les termes de l’échange avec l’étranger, obtenir le maximum d’exportations. On peut mettre des barrières à certaines importations, parce qu’on veut développer domestiquement la capacité de faire démarrer des secteurs qui ne sont pas existants. On peut décider de protéger l’industrie naissante’’, ajoute-t-il.

Le cofondateur de mouvement MMT en Italie signale également qu’on ‘’ne parle jamais’’ du problème de la dette publique, du déficit, de l’humeur des marchés, quand ‘’il y a à faire la guerre’’. ‘’La guerre c’est, en fait, un investissement énorme où il y a plein de ressources financières qui sont débloquées. La peur du financement, du déficit, de la dette est sortie quand le discours va vers des objectifs qui ne sont pas dans l’intérêt de la classe dirigeante du pays colonisateur’’, regrette Ivan Invernizzi.

Le déficit public d’une année représentant l’épargne privée de cette année et la somme des déficits publics représentant la dette publique, l’ancien comptable public du ministère français des Finances souligne que la dette publique, c’est, en fait, l’épargne financière du secteur privé. ‘’C’est la raison pour laquelle les pays qui ont la plus grande dette publique comme le Japon qui est à 240 % de dette publique par rapport à son produit intérieur brut (PIB) ont le taux d’épargne le plus important. Tout ce que l’on peut attendre dans les prises de position des politiques et dans les médias sur le fait qu’un Etat doit gérer son budget, avoir un déficit le plus petit possible ou bien le fardeau de la dette publique ; tout ceci est infondé’’, défend Robert Cauneau.

(ENQUETE)

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