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Taxation minimale des multinationales : Faible impact attendu sur les économies africaines

À l’image du Président Macky Sall qui a salué « un geste d’équité et de solidarité mondiale », plusieurs dirigeants et décideurs mondiaux se sont félicités de la décision du G7, le 5 juin dernier, de fixer un impôt minimum de 15 % pour les multinationales. Mais, pour les experts, cette mesure aura un effet limité sur les économies africaines si elle ne s’accompagne d’autres leviers comme la taxation des grandes fortunes.

La décision du G7 de fixer un impôt minimum de 15 % pour les multinationales a suscité des réactions enthousiastes. Certes, la décision est historique, mais les retombées seront-elles à la hauteur des attentes ? Tout d’abord, il faut préciser qu’au départ, l’Administration Biden proposait le taux minimum de 21 % ; ce qui aurait été « un progrès sensible », là où la France et l’Europe défendaient un taux minimal de 12 % « qui ne changerait rien », selon l’économiste Thomas Piketty contacté par « Le Soleil ». C’est donc un peu le verre à moitié vide ou à moitié plein. Mais, c’est assurément un jalon « historique ».

« Il est quand même acceptable de fixer d’un commun accord, au sein du G7, un taux minimal de 15 %, même si le niveau est faible par rapport aux différents taux d’imposition pratiques dans le G7 », commente Mamadou Ngom, économiste fiscaliste et enseignant à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg-Ucad) et au Centre africain d’études supérieures en gestion (Cesag) de Dakar. Il rappelle que le taux moyen d’imposition sur les sociétés est de 28 % dans le G7, avec la France qui occupe le haut du pavé pour un taux de 34,4 %. Le taux le plus faible est pratiqué par le Royaume-Uni avec une moyenne de 19 %.

En théorie, le modus operandi consiste à ajuster les taux faibles pratiqués dans les pays à faible fiscalité et reverser l’excédent aux pays d’enregistrement de ces firmes multinationales.

Pour M. Piketty qui a fait de la question des inégalités le fil conducteur de ses travaux, la pandémie de la Covid-19, plus grave crise sanitaire mondiale depuis un siècle, oblige à « repenser fondamentalement la notion de solidarité internationale ».

Thomas Picketty rappelle sa position sur le débat déjà développée dans une tribune publiée récemment et intitulée : « Des droits pour les pays pauvres ». « C’est toute la question du droit des pays pauvres à se développer et à percevoir une partie des recettes fiscales des multinationales et des milliardaires de la planète qui doit être posée. Il faut sortir de la notion néocoloniale d’aide internationale, versée au bon vouloir des pays riches, sous leur contrôle, et passer enfin à une logique de droits », y écrit-il.

Taxer également les plus riches

Il est vrai que la décision du G7 est « historique »– c’est une première en fiscalité que des États souverains fiscalement vont s’accorder à un minimum d’imposition– mais qu’est-ce que l’Afrique, souvent victime des multinationales, y gagnera ? « L’impact de cet accord sur les économies africaines sera faible, pour ne pas dire insignifiant », répond Mamadou Ngom. La raison est simple : les pays pratiquant les taux d’imposition faibles, qu’on appelle communément paradis fiscaux, ne se trouvent pas en Afrique. Il s’agit notamment, pour ne citer que les plus connus, de Chypre, Îles Caïman, Irlande, Malte… En revanche, comme le rapporte l’Observatoire européen de la fiscalité, l’Union européenne pourrait, elle, gagner 50 milliards d’euros de cette  mesure.

Le fiscaliste invite plutôt le continent à renforcer ses instruments de lutte contre les multinationales en révisant ses conventions fiscales « trop léonines » et à donner la priorité à la règlementation des prix de transferts, car vu la complexité de la fiscalité internationale et l’inexistence d’instance internationale de règlement des conflits fiscaux, « il est plus judicieux pour le continent d’aller de plus en plus vers l’harmonisation de ses législations fiscales afin de consolider ses avantages comparatifs en matière fiscale ».

Pour Thomas Piketty, il faut également inscrire le débat dans la perspective plus large de l’impôt progressif sur les plus hauts revenus et patrimoines, et pas uniquement d’un impôt minimal sur les profits des multinationales. En effet, dit-il, celui-ci reste « très insuffisant s’il ne s’inscrit pas dans une perspective plus ambitieuse visant à rétablir la progressivité de l’impôt au niveau individuel ». Il propose ainsi un impôt mondial de 2 % sur les fortunes supérieures à 10 millions d’euros (6,55 milliards de FCfa).

L’économiste défend l’idée d’un « droit irrévocable » des pays pauvres à se développer et à bâtir leur État. Autrement dit, chaque pays a droit à une part des recettes prélevées sur les multinationales et les milliardaires de la planète. « D’abord, parce que chaque être humain devrait avoir un droit minimal égal à la santé, à l’éducation, au développement. Ensuite, parce que la prospérité des pays riches n’existerait pas sans les pays pauvres : l’enrichissement occidental s’appuie, depuis toujours, sur la division internationale du travail et sur l’exploitation effrénée des ressources naturelles et humaines planétaires ».

Limiter les pratiques d’optimisation fiscale

Ces dernières années, les paradis fiscaux ont défrayé la chronique médiatique avec l’éclatement de plusieurs scandales (Panama Papers, LuxLeaks, etc.). Ces régimes fiscaux favorables poussent plus de 100 entreprises multinationales les plus influentes dans le monde à ne pas payer leur juste part d’impôt. « L’avantage à tirer de cette mesure est que le jeu d’optimisation fiscale démesurée sera maitrisé et affaibli », analyse Mamadou Ngom. Ces soi-disant paradis fiscaux qui dérèglementent la fiscalité au niveau international auront à s’aligner aux normes du G7. Même si ce ne sera pas facile à appliquer dans l’immédiat, car, précise le spécialiste, il faut prévoir l’accord du G20 en intégrant d’autres puissances comme la Chine, le Brésil ou encore, de façon plus élargie, les économies de l’Ocde (Organisation de coopération et de développement économiques).

Ce qui a infléchi la position américaine

Pendant longtemps, les États-Unis se sont opposés à la taxation des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), symboles de la toute-puissance des multinationales qui échappent au contrôle des États. Or l’Administration Biden a été à l’avant-garde de cette décision du G7. Le fiscaliste Mamadou Ngom explique le fléchissement de la position américaine par le fait qu’actuellement, les États-Unis « ont intérêt à s’aligner sur ces accords, à aller même vers un taux qui avoisine les 20 % pour restaurer leurs grands équilibres fiscaux ». Les États auront-ils une marge de manœuvre pour faire appliquer cette décision ? « Mettre un terme à l’évasion fiscale relève de l’utopie, car tant qu’il y a imposition, il y aura fraude. L’importance est de les réduire à leur plus faible niveau », conclut M. Ngom.

(AGENCE ECOFIN)

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