L’affrontement qui a fait cinq morts fin janvier ne semble pas lié à une embuscade du MFDC, un mouvement rebelle en sommeil, ni à une offensive militaire des autorités sénégalaises.
Le bilan de l’accrochage meurtrier qui a opposé, lundi 24 janvier, des militaires sénégalais à des rebelles indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) pouvait faire redouter une rupture de la trêve armée prévalant entre les deux parties. Selon l’état-major des armées, « deux sous-officiers et deux soldats de rang ont été tués et sept [militaires] vivants et bien portants sont retenus en otages par le MFDC. Un rebelle a été tué et deux autres faits prisonniers ».
« C’est clairement l’accrochage le plus sanglant depuis la trêve unilatérale décrétée en 2012 par le MFDC. Tout le monde a été surpris », note un responsable de la communauté catholique de Sant’Egidio, investie depuis des années dans le règlement de la plus vieille rébellion d’Afrique toujours en activité. Mais si « par le passé, le gouvernement et l’armée sénégalais ont souvent répondu par la force à ce genre d’événement, il semble que tout le monde veuille aujourd’hui faire retomber la pression », rassure cette source.
Cette volonté partagée de désescalade est à rattacher aux causes du drame, qui semblent davantage tenir de l’enchaînement malheureux d’événements liés au trafic de bois plutôt qu’à une résurgence du mouvement rebelle en sommeil ou à une offensive militaire sénégalaise. Les résultats de l’enquête officielle ne sont pas encore connus. Mais plusieurs témoignages – ceux d’un officier de l’armée sénégalaise et de civils proches du dossier préférant conserver l’anonymat sur cette affaire sensible à Dakar – permettent de reconstituer la scène à grands traits.
« Un trait dans le sable »
Ainsi, des éléments du 5e détachement sénégalais (5e DetSen) au sein de la force internationale Micega, déployée par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en Gambie depuis 2017, ont tenté d’intercepter un camion de trafiquants de bois. Dans leur poursuite, les hommes du 5e DetSen ont franchi, peut-être sans le savoir, la frontière avec le Sénégal – « un trait dans le sable », décrit un habitué des lieux. Ils seraient alors entrés dans une des zones de cantonnement du MFDC, dirigé dans le nord de la Casamance par Salif Sadio, chef rebelle historique.
Les soldats ont alors essuyé des tirs d’armes légères et de lance-roquette, ont répliqué puis de se sont repliés en Gambie. Les corps de deux militaires sénégalais demeurés sur les lieux de l’affrontement ont ensuite été remis à la Micega grâce à la médiation de Sant’Egidio. Les militaires retenus ont quant à eux pu être visités par une équipe de la Croix-Rouge internationale (CICR). « L’enquête déterminera s’il s’agit d’une embuscade, mais pas grand monde y croit », explique un connaisseur du dossier. « Personne n’avait intérêt à de tels événements », estime un responsable de Sant’Egidio.
D’une part, l’armée sénégalaise a montré sa relative impuissance à éliminer militairement une rébellion évoluant chez elle en terrain forestier, couvert et difficile d’accès. « L’indépendance de la Casamance n’est plus un thème porteur, mais le MFDC n’est pas impopulaire pour autant. Chaque village a – ou a eu – son combattant dans les rangs de la rébellion et on constate que ceux qui déposent les armes retournent tranquillement habiter chez eux », explique un négociateur.
De son côté, le MFDC a « besoin de tranquillité pour mener ses trafics de bois de rose ou de chanvre indien, ses principaux revenus », explique un officier sénégalais. Or les forces de sécurité sénégalaises, depuis plusieurs mois, intensifient leurs opérations de destruction de cultures de chanvre. Elles multiplient également les interceptions de camions transportant des grumes coupées illégalement en Casamance avant de gagner la Gambie pour y être exportées.
Rencontres informelles
Les derniers événements rappellent tout au moins que cette rébellion rurale est toujours active dans la partie septentrionale de la Casamance, frontalière de la Gambie, pays enclavé. Même si elle est très affaiblie, notamment par des divisions internes entre l’aile militante de Salif Sadio – fermement orientée vers l’indépendance de la Casamance – et les groupes présents dans le sud de cette région, à la frontière avec la Guinée-Bissau.
Depuis 2012, la communauté de Sant’Egidio a organisé plusieurs rencontres informelles, à Rome notamment, entre le MFDC de Salif Sadio et des représentants des autorités sénégalaises. Des contacts qui seraient très en amont d’un éventuel accord de paix. « Tout est négociable sauf l’indépendance », rappelle fermement Robert Sagna, né en Casamance, ancien maire de Ziguinchor, la capitale régionale, et plusieurs fois ministres. Ce coordonnateur du Groupe de recherche pour la paix en Casamance (GRPC) – mandaté par la présidence, qui gère le dossier – rappelle par ailleurs que le MFDC n’a établi aucun « calendrier de revendications ».
« Les contacts informels ont permis d’établir un cessez-le-feu, d’arrêter les braquages, les attaques contre les militaires, les actions des coupeurs de route. Il y a une véritable accalmie, pas encore la paix, mais il faut à tout prix éviter une résurgence de la guerre », plaide Robert Sagna. Cette guerre de très faible intensité végète sur le terreau empoisonné des frustrations des populations du sud du Sénégal, qui se sont longtemps senties oubliées et discriminées. Eclose il y a environ quarante ans, elle a fait de 3 000 à 5 000 morts, souvent des civils victimes des mines antipersonnel disséminées par la rébellion, et provoqué le déplacement de dizaines de milliers d’autres.
(Lemonde.fr)