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Sénégal : La riziculture et le maraîchage dans la tourmente

Les paysans du Ferlo dans la région de Matam ne savent plus à quel saint se vouer. La décrue du fleuve rend presque impossibles la culture du riz et celle en décrue. De plus, les machines mises à disposition sont de faible capacité pour pomper le maximum d’eau. Une situation qui risque d’accentuer la pauvreté dans la zone. Secs et sans eau. Tel est le décor que présentent les champs qui bordent le fleuve Sénégal.

La situation que vivent les riziculteurs du village de Tikiré dans la commune de Nabadji Civol est dramatique. Assoiffés d’eau et de fraîcheur, leurs champs ont fini d’être envahis par les herbes sauvages. D’ailleurs pour y accéder, il faut faire preuve de tact et de patience, user de stratégie pour traverser la route serpentée et chaotique qui mène au fleuve. Ici, seules les motos-Jakarta prennent le risque. Une fois au débarcadère, le vieux Yaya Diallo qui assure la traversée du fleuve démarre par des consignes. «Restez tranquilles et évitez les mouvements inutiles sinon la traversée risque d’être compliquée.» Assis sur la queue de la pirogue, rame en bois bien maîtrisée, le vieux Yaya donne le tempo de la traversée provoquant de petites ridules sur la surface de l’eau. La chanson « Kalajo » de l’artiste Baba Maal égaie la traversée qui est bouclée au bout de 10 minutes. Sur la terre ferme, les champs secs laissent parfois deviner des traces argileuses, vestiges du dernier hivernage. Ici, le désespoir des paysans est perceptible dès les premiers pas. Cette année, le niveau de l’eau du fleuve, trop bas, inquiète les paysans. Et la saison chaude qui commence au mois de janvier accuse un retard inquiétant. La mine triste, le regard évasif, Sidy Baïla Sall, riziculteur et président du GIE Tikéré Ciré 1, est inquiet. Parce que jusqu’à présent, ils n’arrivent pas à arroser le sol avant de semer les graines de riz du fait du bas niveau du fleuve, mais également de la faible capacité des machines de pompage. «Actuellement, nous souffrons parce que le niveau de l’eau du fleuve est très bas. Par conséquent, nos machines n’arrivent plus à tirer l’eau du fleuve du fait de leur faiblesse. Durant la période chaude, on arrosait les champs avec l’eau du fleuve avant de semer les graines parce que les champs sont très secs». Ce système d’arrosage permet de faciliter le désherbage des champs car les mauvaises herbes ne facilitent pas la croissance des plants de riz. Pour le président du GIE Tikéré Ciré 1, c’est la première fois qu’il vit une situation aussi chaotique. Depuis sa tendre enfance, les eaux du fleuve ont toujours débordé, arrosant ainsi les hectares de champs.
« Avec le bas niveau du fleuve, beaucoup de familles vont se retrouver dans des situations inhumaines »
Le bas niveau du fleuve est la résultante de la faible pluviométrie dans le Ferlo. Regroupés sur la place publique du village, les sages du village sont dans l’angoisse. La famine frappe à leur porte, selon Abdoulaye Sow. « Si les autorités ne réagissent pas à temps, beaucoup de familles vont se retrouver dans des situations inhumaines. Nos petites machines n’ont pas assez de puissance pour tirer le maximum d’eau, vu la profondeur des eaux», poursuit-il. Pour Abdoulaye Sow, le bas niveau du fleuve va naturellement augmenter les dépenses. Parce qu’il faut un long raccordement pour pomper les eaux du fleuve. En temps normal, les riziculteurs du Ferlo avaient juste besoin de 3 mètres de tuyaux. Maintenant, il leur en faut 6. Conséquence, ces hommes qui vivent de la terre, n’ont que leurs yeux pour pleurer. Leur GIE est composé de 40 personnes qui cultivent 20 hectares, à raison de 0,5 hectare pour chacun. Et pour pouvoir acquérir un lopin de terre, il faut débourser 120 000 Fcfa. L’autre problème que rencontrent ces cultivateurs est lié à celui des semences et à la survie de leurs bêtes. Aussi, ces paysans réclament-ils un soutien financier pour sauver leurs vies.
La culture de décrue menacée
La région de Matam est connue pour sa culture maraîchère au bord du fleuve Sénégal. Le plus souvent, ces cultivateurs pratiquent le système de la culture de la décrue. Qui leur permet, avec un bon hivernage, de bien irriguer leurs champs. Mais vu le niveau faible des eaux du fleuve, cette méthode de culture ne peut pas être pratiquée cette année. Cheikh Sy, un jeune cultivateur de 28 ans, est désemparé. «Je suis un soutien de famille, père de deux enfants, mais j’ai également à ma charge mes parents. Jusqu’à présent, nous n’avons pas commencé à cultiver, car le bas niveau du fleuve plombe drastiquement nos plans.»
L’autre technique de culture dans le Ferlo est le système d’irrigation. Cette méthode consiste à brancher les tuyaux dans le fleuve afin de tirer les eaux. Mais vu la faible pluviométrie, les maraîchers du Ferlo, démunis, ont réduit leurs champs de compétence. Abdourahmane Diaw, cultivateur : «Nos petites machines nous permettaient de pomper facilement les eaux du fleuve. Mais ma machine tire à peine, par conséquent, je suis obligé de réduire mon champ.» Pour réduire les dégâts, les cultivateurs d’oignons ont très tôt placé leurs plans de culture. «Dès que le niveau de l’eau commence à baisser, nous plaçons nos plans de culture. Nous avons commencé à cultiver depuis le mois d’octobre.» Une méthode alternative qui, sur le long terme, peut être payante.
Le mauvais aménagement des champs de culture, l’autre problème
Le mauvais nivelage des champs de culture dans le Ferlo est aussi source de problème pour les cultivateurs du village de Tikéré et des villages environnants. Le vieux Alassane Hamadi Sall, responsable du GIE Ciré 2 du village de Tikéré, déplore ce mauvais aménagement, cause de la disparition de 5 Gie. «La zone en comptait 10, mais aujourd’hui, il n’en reste que 5 encore en activité. Le problème, c’est le mauvais aménagement des surfaces cultivables. Et ce mauvais aménagement des surfaces cultivables ne facilite pas la bonne circulation du système d’irrigation.» Dans ces champs, le relief est accidenté. Il s’y ajoute le niveau très faible du fleuve. Malick Sow, un jeune pompiste qui a fait son stage à l’Organisation pour la Mise en valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), explique : « Il y a un branchement qui est fait depuis le fleuve pour pomper les eaux. Mais le mauvais nivellement est un obstacle majeur pour ce système de pompage ». Vu la situation du fleuve, le jeune technicien est d’avis qu’il urge de relever le niveau de l’eau au risque de voir la famine faire des ravages dans le Ferlo. Sous peu.

«Le bas niveau du fleuve risque d’impacter sur la production céréalière de cette année»
«La culture de décrue fait partie des systèmes de culture de la région. En période d’hivernage, quand le fleuve est à son plus haut niveau, les cuvettes sont remplies d’eau. Et à la fin de l’hivernage, les eaux se retirent. Mais il faut que ces cuvettes se remplissent pendant 45 jours. Quand l’hivernage est bonne, ce système de culture peut donner jusqu’à 25% des produits céréaliers de la région. Ici, la côte d’alerte est de 8 mètres. C’est le niveau maximal que le fleuve peut atteindre sans causer de dommages. Cette année, le niveau du fleuve est très bas et par conséquent, cela risque d’impacter la production céréalière. Les cultures de décrue sont en train de mourir parce que le niveau de la pluviométrie était très faible. J’ai avisé l’autorité sur le faible niveau du fleuve. Maintenant, l’augmentation du niveau de fleuve relève de la responsabilité de l’OMVS.»

(L’OBSERVATEUR)

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