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[REPORTAGE] Vente de charbon de bois : Un business lucratif en décadence

Les journées sont noires pour les vendeurs de charbon de bois installés dans les quartiers. Malmenés par les boutiquiers et piégés par le développement de l’immobilier et les nouvelles techniques de cuisson, leurs revenus sont minimes. Le feu s’éteint petit à petit ; ce qui les expose à des lendemains sombres. La flamme ne sera pas vite ravivée. 

Il est fait frais ce matin. Le vent emporte avec lui les objets légers et soulève la poussière. Au quartier Tivaouane de Thiaroye, les rues sont presque désertes, même si l’horloge affiche déjà 9 heures 38 minutes. Les rares personnes rencontrées sont des mécaniciens sur le chemin du garage de Poste Thiaroye pour une journée d’opportunités. À côté de cet espace qui réussit toujours à résister aux opérations de déguerpissement, se trouve le magasin de fortune d’Ibrahima. Pour les voisins, c’est « Pakou keurigne de Soumah ». Ainsi, ils font allusion à son nom de famille. Son parc, de forme circulaire, est fait de bois tressé appelé « sakett ». À l’intérieur, un homme de petite taille assis sur un banc de moins d’un mètre. Il est de teint clair, mais son visage est ponctué de quelques taches noires. Ses mains se sont également noircies, tout comme sa chemise. C’est l’environnement qui parle puisqu’il est tout le temps au contact du charbon de bois. Pour cette semaine, il dispose d’un immense tas ce combustible, l’équivalent de 28 sacs. Il espère écouler le stock avant la semaine prochaine.

Pendant qu’il explique ce métier, une dame l’interpelle sur un ton familier. « Soumah, passe moi trois sachets, je n’ai pas de temps à perdre », lâche-t-elle. Souriant, le commerçant ne pipe mot. Il satisfait la demande et poursuit ses explications. « Le business se porte mieux en ce moment puisqu’il fait un peu frais ces derniers temps. Donc, je peux vendre deux à trois sacs en une ou deux journées ; ce qui équivaut à 20 000 ou 22 000 FCfa. Il y a un léger mieux par rapport aux dernières semaines », informe-t-il, très posé.

À quelques mètres, non loin de la route nationale, à hauteur du rond point Poste Thiaroye, Abdou Bâ propose la même marchandise. Il la vend à l’air libre et dans de petits sachets. « L’activité est au ralenti malgré le froid. Nous peinons à avoir des clients », estime-t-il à l’aise sur une chaise.

Un chiffre d’affaires en chute 

Abdou a de l’intérêt pour cette activité. Il y est depuis plus de 20 ans. Au début, il assistait son père dans un grand parc à Thiaroye-sur-Mer. Au fur et à mesure, armé d’une dizaine d’expériences, il décide de travailler pour son propre compte. Avec l’appui du daron, il s’installe à Guinaw Rails Nord, non loin du marché de Thiaroye Gare. Entre deux écoles et deux périodes, Abdou Bâ se sent en mesure d’établir un tableau comparatif. Ainsi, il déplore une chute du chiffre d’affaires. « Actuellement, rares sont les familles qui utilisent le charbon de bois pour la cuisine. La plupart cuisinent avec le gaz ou des cuisinières. Il y a 15 ou 20 ans, on pouvait vendre jusqu’à 10 sacs par jour et rentrer avec plus de 150 000 FCfa. Actuellement, on essaie d’être résilient », dit-il sous le brouhaha de l’arrêt Poste Thiaroye qui vibre au rythme du transport et du petit commerce.

Ibrahima Soumah est du même avis. Il constate l’effritement des bénéfices. Son diagnostic révèle l’impact de plusieurs facteurs parmi lesquels le transport des sacs de charbon des régions comme Kolda et Tambacounda vers Dakar. « On se cotise souvent entre commerçants pour convoyer les camions. Chacun peut débourser jusqu’à 1300 FCfa par sac. Ainsi, le bénéfice passe à moins de 1000 FCfa », se plaint-il. Serein, il y ajoute la rareté de la clientèle à cause du changement climatique. « Il n’y a pratiquement plus de période de froid comparée à la dernière décennie. Du coup, les clients ne viennent plus comme avant. Certaines femmes utilisent même des encensoirs électroniques. Dans ce cas, elles n’ont plus besoin d’acheter du charbon de bois », se plaint-il, la mine triste. Son calvaire est également celui de Baba Gallé Baldé. Dans une petite baraque à Hann, elle reçoit une cliente en cette matinée de mercredi. La dame, vêtue d’un ensemble orange, repart, le seau bien rempli. Malgré tout, Baba Gallé n’est pas satisfait. L’activité n’est plus lucrative. « Je vendais plus de cinq sacs par jour il y a cinq ans, mais actuellement, il m’est impossible d’en vendre deux en une journée », regrette-t-il, debout devant un tas de charbon. La flamme s’éteint petit à petit pour ces acteurs économiques.

Bousculés par les boutiquiers 

Les boutiquiers embrassent large. En dehors des denrées de première nécessité, ils proposent d’autres produits. Et le charbon n’est pas en reste. Installés dans presque tous les coins de rue, ils éteignent petit à petit les vendeurs de charbon de bois. Ce que déplore Baba Gallé. « Les boutiquiers nous dament le pion. Pour préparer le thé, les gens préfèrent aller à la boutique du coin plutôt que de marcher plusieurs minutes. Le marché est, aujourd’hui, ouvert à tous. Et c’est nous les vendeurs classiques qui en souffrons le plus », lâche-t-il. Une complainte partagée par Abdou Bâ. Pour lui, ce n’est pas demain la fin du calvaire. « La technologie ne nous offre plus de marge de manœuvre. Les fers à repasser électriques sont de plus en plus utilisés, les gaz et cuisinières aident les femmes au foyer. Maintenant, c’est au tour de certains boutiquiers de nous concurrencer », s’émeut notre interlocuteur, craignant des lendemains sombres pour son activité avec la baisse de ses revenus.

Victimes collatérales du boom de l’immobilier 

D’habitude, ils exploitent de grandes surfaces inoccupées dans les quartiers. Ce n’est plus la tendance. La terre est de plus en plus précieuse. Et les propriétaires n’hésitent pas à l’exploiter pour se faire des sous à travers la construction de maisons à louer. Abdou Bâ en est victime. De Guinaw Rails, il est passé à Poste Thiaroye, obligé de céder devant le projet immobilier de son bailleur. « Il m’avait prêté l’espace. À un moment donné, il a voulu l’exploiter. Et j’ai été obligé de céder. J’ai quitté un espace de presque 40 mètres carrés pour un petit coin », se désole-t-il.

Ibrahima Soumah a également vécu la même situation. Devant la pression du propriétaire du terrain, il a dû céder une importante quantité ; ce qui lui laisse une infime marge de manœuvre. « L’espace constitue notre plus grand souci. Nous sommes tout le temps déguerpis. Les terres que nous occupions sont transformées en maisons. Du coup, nous sommes obligés de déménager, de laisser derrière nous une clientèle acquise après plus de 10 années d’activité », indique-t-il. Baba Gallé craint aussi d’être déguerpi. Commerçant à Hann, son espace se rétrécit de jour en jour. Une partie de son parc est en train d’être exploitée par d’autres acteurs économiques. Ainsi, il est obligé de superposer les sacs. « Quand ton bailleur décide de céder une partie de son terrain, tu ne peux que constater et subir les conséquences économiques », déduit-il exaspéré.

(LESOLEIL)

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