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Rémy Rioux (AFD) : « Un nouveau chapitre s’ouvre dans la relation entre l’Europe et l’Afrique »

Le directeur général de l’Agence française de développement (AFD) détaille les modalités de son action et cerne, à l’orée d’une nouvelle décennie, les grands enjeux auxquels fait face le continent.

C’est un Rémy Rioux affable, disponible et particulièrement au fait des enjeux économiques africains qui nous a reçus. Pendant deux heures, le patron de l’Agence française de développement (AFD) a défendu le rôle des institutions financières publiques dans la promotion de la croissance et de la stabilité sur le continent, de même que l’efficacité et la solidité de l’action française et européenne en Afrique. De la situation sécuritaire au Sahel au remplacement du franc CFA par l’eco, en passant par les enjeux climatiques et le futur de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée, l’ancien condisciple du Premier ministre français, Édouard Philippe, à l’École nationale d’administration a également passé en revue les sujets clés de l’économie africaine en 2020. C’est d’ailleurs le titre d’un nouvel ouvrage de « la plus ancienne institution de développement au monde », créée en 1941 et implantée à Dakar dès l’année suivante, et dont les engagements sur le continent ont atteint 14 milliards d’euros en 2019 (contre 11,4 milliards en 2018).

Jeune Afrique : L’AFD vient de publier L’économie africaine en 2020 aux éditions La Découverte. Dans quel but et quels sont les principaux enseignements de l’ouvrage ?

Rémy Rioux : C’était extravagant ! Il n’existait pas de publication annuelle, au format de poche, sur les grands enjeux économiques du continent. Cette publication annuelle sur les grands enjeux économiques de l’ensemble du continent fait partie de notre stratégie « Tout Afrique ».

L’AFRIQUE SUSCITE ENCORE DES RÉTICENCES, QUAND NUL INVESTISSEUR NE DOUTE DE L’INTÉRÊT DU MARCHÉ INDIEN

Dans son ensemble, sans fausse dichotomie Nord/Sud, avec son PIB de 2 500 milliards de dollars et sa population de 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique a le même poids que l’Inde ! Or elle suscite encore des réticences, quand nul investisseur ne doute de l’intérêt du marché indien. L’ouvrage bat en brèche nombre d’idées reçues. Par exemple, l’Afrique en « crise sécuritaire aiguë », c’est 5 % seulement de l’économie du continent ! Notre approche africaine se reflète dans les engagements du groupe AFD : ils ont atteint 14 milliards en 2019, dont la moitié en Afrique, comme nous nous y sommes engagés.

Parlons de ces engagements. L’AFD est très présente au Sahel, par exemple, où l’action de la France paraît loin de faire l’unanimité. Comment l’entendez-vous ?

Je comprends l’attente très forte sur les sujets de sécurité et suis solidaire des forces armées africaines, françaises et internationales qui combattent. Mais, contrairement aux idées reçues, le Sahel enregistre la plus forte croissance en Afrique (avec un taux de 5,4 % attendu en 2019), grâce à la bonne performance de l’or et du fer et à une pluviométrie favorable au secteur agricole. Méfions-nous des causalités trop simples. La partie est loin d’être jouée dans le Sahel. Faisons de la croissance et de l’emploi des forces de réconciliations. J’ajoute que, dans les activités quotidiennes de l’AFD, je ne perçois pas de sentiment antifrançais sur le terrain.

Existe-t-il une coordination entre l’AFD et le G5 Sahel [cadre de coopération pour la sécurité et le développement entre la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad] ?

Oui, nous appuyons nos collègues du G5 dans leurs actions de développement. C’est la mission de « l’Alliance Sahel », coalition d’institutions financières dont l’AFD est membre [créée en juillet 2017, elle réunit la France, l’Allemagne, l’UE, la Banque Mondiale, la BAD, le PNUD, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Luxembourg, le Danemark et les Pays-Bas]. Avec une obligation de résultats. De très nombreux projets sont en train de sortir de terre dans les zones de tension, pour redonner des perspectives. Je pense à la centrale hybride de Kiffa, que j’ai visitée avec Jean-Yves Le Drian, à ce que nous faisons à Menaka.

NOUS FINANÇONS DES PROJETS À DOUBLE DÉTENTE, AVEC DES COMPOSANTES RAPIDES POUR QUE LES POPULATIONS VOIENT DE PREMIERS RÉSULTATS ET REPRENNENT CONFIANCE

Ou bientôt au barrage de Kandadji [130 MW], au Niger, que nous finançons avec la Banque mondiale. Depuis le déclenchement de l’opération Serval, l’AFD a engagé plus de 2,5 milliards d’euros au Sahel. Nous avons désormais une direction régionale Sahel. Et, nous finançons des projets à double détente, avec des composantes rapides pour que les populations voient de premiers résultats et reprennent confiance.

Vu la situation, certains privilégient plutôt le règlement prioritaire de la question sécuritaire…

Il faut regarder le Sahel en « Vision 3D », avec la défense et la diplomatie mais sans oublier le développement. C’est le message du président Emmanuel Macron depuis son premier déplacement à Gao, en mai 2017, où je l’accompagnais. C’est l’ambition de la Coalition pour le Sahel, bâti à Pau le 13 janvier et dont l’Alliance Sahel est un pilier majeur.…

Vous étiez également à Abidjan, le 21 décembre, lors de l’annonce de la transition du franc CFA vers l’eco. Est-ce la fin d’une époque ?

J’étais effectivement dans la salle lorsque le président Alassane Ouattara a annoncé les réformes pour l’instauration de l’eco. J’ai été frappé par l’émotion de mes collègues ouest-africains – je pense au Gouverneur Tiémoko Meylet Koné [de la BCEAO] que je salue avec respect et amitié – et par la belle image de partenariat et de coopération entre les présidents français et ivoirien. Les changements annoncés marquent une évolution importante, qu’il s’agisse de la suppression du compte d’opération, du changement de dénomination ou du retrait de la France des conseils d’administration de la BCEAO que je connais bien pour y avoir souvent siégé. Un espace politique et technique s’est ouvert pour plus d’intégration régionale et pour mieux financer les économies de la CEDEAO.

Plusieurs critiques estiment qu’il ne s’agit que d’ajustements cosmétiques, vu le maintien de la parité avec l’euro…

Conserver la garantie de l’État français, qui est un élément fort de stabilité, et garder la parité fixe avec l’euro sont des décisions sages. On peut toujours débattre de l’ajustement d’une monnaie aux fondamentaux économiques, mais une monnaie forte est la garantie d’une inflation modérée, ce qui protège les populations les plus vulnérables. Au demeurant, la monnaie est un sujet d’abord politique, et il ne faut pas sous-estimer la force d’une union monétaire.

Dans le débat autour du franc CFA, personne n’a émis l’idée de revenir aux monnaies nationales ! On peut estimer que, ce qui a sauvé la Côte d’Ivoire en 2011, c’est le franc CFA, c’est la solidarité politique de ses sept voisins, qui ont reconnu la légitimité du gouvernement nommé par le président Ouattara. À cet égard, le rôle de feu Charles Koffi Diby [nommé ministre des Finances du gouvernement de Laurent Gbagbo, il avait rallié celui du président Ouattara], à l’époque, a été déterminant !

Vous évoquez la solidarité et l’intégration régionales. La Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) est entrée en vigueur. Quel regard portez-vous sur ce projet ?

C’est un signal incroyable que vient de nous envoyer l’Afrique, alors que d’autres régions du globe sont engagées dans une guerre commerciale. Et c’est un message que nous, en Europe, entendons clairement. Pour son premier voyage à l’étranger, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’est rendue en Éthiopie au début de décembre. Charles Michel, le président du Conseil européen, était présent au sommet de Pau. Je crois qu’il y a une nouvelle génération qui – comme le président Macron – ouvre un nouveau chapitre dans la relation entre l’Europe et l’Afrique. Les institutions européennes de financement du développement entendent ces messages politiques et travaillent collectivement pour coopérer avec l’Afrique et échanger sur nos trajectoires et solutions de développement respectives.

Comment cela cadre-t-il avec la fin, prévue en 2020, des accords de Cotonou entre l’UE et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) ?

Il y a une forte volonté d’avoir un pilier africain plus fort, avec un dialogue politique renforcé entre l’Union africaine et l’Union européenne. C’est très heureux et opportun.

Avec la sortie du Royaume-Uni de l’UE, n’y a-t-il pas un risque de concurrence exacerbée entre acteurs britanniques et européens sur le continent ?

Le Brexit ne doit pas nous empêcher de travailler ensemble. J’ai été récemment invité par Matthew Rycroft, le secrétaire permanent du Département du développement international (DFID), à m’exprimer devant l’ensemble des directeurs de leur réseau. Et je serai bientôt à Londres pour contribuer au succès indispensable de la COP 26 de novembre prochain.

Il faut accélérer notre coopération en Afrique et pour le climat. Il n’y a pas assez d’investissements dans ces domaines, encore moins un risque de surconcurrence. Et l’AFD veut être utile partout : il y a deux ans, nos deux premiers pays d’intervention dans le monde étaient le Nigeria et la Côte d’Ivoire ! Et nous avons investi plus de six milliards d’euros pour le climat l’année dernière, dont deux pour l’adaptation.

Le soutien au secteur public (souverain) représente encore 46 % des interventions africaines de l’AFD. Et ce dans un contexte d’inquiétude croissante sur l’endettement des pays africains, vis-à-vis de la Chine par exemple. Partagez-vous cette préoccupation ?

Le niveau de la dette publique s’est en effet accru dans de nombreux pays africains, qui ont investi dans leurs infrastructures. Et, compte tenu des besoins, il est difficile d’imaginer que ces États arrêteront d’investir. Le sujet est d’ailleurs moins la Chine que l’augmentation des émissions obligataires internationales à des taux d’intérêts élevés exigés par des investisseurs qui ont une faible connaissance de l’Afrique.

Il faut un surcroît de pédagogie et une explication des réformes menées pour arriver à une évaluation correcte du risque africain. Les marchés sont imparfaits, mais ce sont les marchés. Les États africains devraient aussi travailler sur la mobilisation des ressources domestiques, ce qui passe par la lutte contre les flux illicites de capitaux et une meilleure collecte fiscale. Historiquement, le développement est toujours allé de pair avec une évolution régulière de la collecte fiscale.


Un club élargi des institutions de financement du développement

À la fin d’octobre, Rémy Rioux a été réélu à la tête de l’International Development Finance Club (IDFC), qui réunit 26 banques publiques de développement, dont l’AFD, la KfW allemande, la China Development Bank, ainsi que la Banque ouest-africaine de développement (Boad), la Caisse de dépôts et de gestion (CDG) du Maroc et la Development Bank of Southern Africa (DBSA). Ce club revendique plus de 4 000 milliards de dollars d’actifs et investit dans la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat et des Objectifs du développement durable.

Au dernier trimestre de 2020, Rémy Rioux espère réunir à Paris l’ensemble des banques de développement, qui seraient plusieurs centaines et représenteraient au moins 10 % des investissements réalisés sur la planète. Une démonstration de force qui devrait contredire l’image négative de ces institutions véhiculée par le Consensus de Washington sur le retrait des États du secteur financier.

(JEUNE AFRIQUE)

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