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Propagation du COVID-19 : quels impacts sur l’économie africaine ?

Par Ibrahima Gassama, Economiste, Ph.D.

 

Introduction

Le coronavirus (COVID-19) a entraîné des arrêts de production en série et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement en raison de fermetures de ports en Chine et dans plusieurs pays du monde, provoquant des effets d’entraînement mondiaux dans tous les secteurs économiques.

Ces effets économiques se feront sentir sur plusieurs pays africains : diminution de la demande de matières premières et de produits de base ainsi que l’accès de l’Afrique aux facteurs de production industriels et aux produits manufacturés. L’épidémie de Covid-19 pourrait faire chuter la croissance mondiale à 2,4 % en 2020 contre 2,9 % en 2019 (source : OCDE). Ce sera le niveau de croissance économique le plus bas depuis la crise financière de 2008-2009.

Pour les pays africains, l’incertitude concernant la propagation du COVID-19 est élevée et ses impacts possibles sur l’Afrique pourraient être assez difficiles, compte tenu de la dépendance du continent à plusieurs pays occidentaux affectés. Jusqu’à présent 26 pays africains ont été touchés, et si la situation se continue de se répandre sur le continent, elle pourrait submerger nos systèmes de santé dont le plateau médical est assez faible à l’échelle du continent.

En début mars, la Banque a annoncé le programme de financement accéléré de la lutte contre le coronavirus devant permettre de décaisser 12 milliards de dollars pour les pays les plus à risque afin de les aider à faire face à l’impact du virus et à limiter sa propagation. Toutefois, cette annonce n’est pas encore suivie d’effets assez visibles sur le terrain.

Selon l’agence de notation Fitch, cette épidémie du coronavirus engendre un risque de baisse de la croissance économique des pays de l’Afrique subsaharienne à court terme.

L’impact mondial du virus sur le ralentissement de la croissance économique mondiale se traduit, de manière assez directe, par une baisse de la demande et du prix des produits de base offerts par les africains. Ainsi l’incertitude de l’impact du coronavirus sur les marchés africains devrait engendrer une méfiance de la part des investisseurs qui attendront de bien observer l’évolution de la situation.

Impacts possibles sur les infrastructures
Au courant de ces dernières décennies, la Chine est devenue un partenaire incontournable dans le développement des infrastructures en Afrique. La Chine et les pays de l’Afrique subsaharienne ont noué un partenariat dynamique dont la finalité est d’approvisionner la Chine en ressources naturelles contre la construction d’infrastructures sur le continent.

Entre 2005 à 2018, les investissements et les contrats chinois en Afrique subsaharienne ont totalisé 299 milliards de dollars (source : China Investment Global Tracker), et en 2018, le Président chinois Xi Jinping s’est engagé à investir 60 milliards de dollars supplémentaires dans les pays africains. Également, la plupart des pays occidentaux considèrent sérieusement l’économie africaine qui est désormais vue comme prometteuse en raison de la jeunesse de sa population, l’augmentation de sa classe moyenne et l’accroissement de son offre de formation.

Ainsi, on peut s’attendre à ce que dans le court terme les investissements de la Chine et des autres pays occidentaux affectés soient plus orientés à combattre le virus et à stabiliser son économie plutôt qu’à miser sur un investissement direct étranger à l’endroit de l’Afrique. Cela peut signifier une réduction des investissements dans des marchés de plus petite taille, où les impacts sur le marché mondial sont plus limités.

Dans ce contexte, l’Afrique devra miser davantage sur le renforcement de ses systèmes de santé en intensifiant la coopération et la mutualisation des forces financières, matérielles et immatérielles à l’intérieure du continent. Par exemple, quand la situation deviendra plus critique sur le continent, les africains pourront capitaliser sur l’expérience de la lutte chinoise contre le virus, comme cela se fait actuellement en Italie.

Impacts possibles sur le commerce

Le COVID-19 devrait avoir une incidence sur le commerce des autres pays du monde avec l’Afrique pendant plusieurs mois encore. On peut s’attendre à ce que la faible progression du PIB mondial affecte les africains, surtout en raison de la baisse de la demande de produits de base africains. Cela se matérialisera par une annulation de commandes de la part des importateurs occidentaux et chinois, en raison de la réduction de la consommation.

Cette situation sera de nature à réduire l’offre africaine et les prix de plusieurs produits de base.

Cette situation sera de nature à réduire l’offre africaine et les prix de plusieurs produits de base. Par exemple, il est important de savoir que plus de trois quarts des exportations africaines vers le reste du monde sont axées sur les ressources naturelles et toute réduction de la demande affecte les économies de la plupart des pays du continent.

Des pays comme le Nigéria et le Ghana seront considérablement exposés au risque d’exportation de matières premières industrielles, telles que le pétrole, le minerai de fer et le cuivre. Quant aux pays de l’Afrique de l’ouest, ils devront anticiper la baisse des prix de leurs produits de base comme le café, le cacao, le coton et l’arachide, en raison d’une insuffisance de la demande. Un autre impact du COVID-19 se fera également sentir dans les secteurs manufacturiers. Les fermetures d’usines perturberont la chaîne d’approvisionnement pour plusieurs usines, engendrant ainsi une augmentation des coûts et une réduction des commandes à l’endroit des pays africains et des autres pays du monde.

Impacts possibles sur l’exploitation minière et l’énergie

Avec la crise mondiale qui s’annonce, le secteur des ressources minières sera exposé. À elle seule, la Chine investit plus que toute autre grande économie du monde dans le secteur minier africain. Selon China Ming 2018, entre 2011 et 2018, les opérations minières des investisseurs chinois sur le continent africain sont passées d’une dizaine à plus de 24 opérations. L’intérêt de la Chine pour les ressources minérales du continent africain est motivé, d’une part, par sa forte croissance dans les secteurs de l’énergie, de la construction et de la fabrication industrielle et, d’autre part, par sa capacité de production minière interne en baisse d’une année sur l’autre.

Ainsi, l’intérêt grandissant de la Chine pour l’Afrique se justifie par la baisse de la teneur de ses sites en minerai, mais aussi par l’augmentation du coût de sa main-d’œuvre et son environnement réglementaire de plus en plus exigent. Également, ce pays possède l’une des capacités de construction d’infrastructures les plus solides au monde. De ce fait, il est sans doute le mieux placé pour aider l’Afrique à combler son immense déficit en infrastructures dans plusieurs domaines, y compris le secteur minier.

L’industrie minière africaine sera confrontée à un impact inévitable de l’épidémie de COVID-19, bien qu’il existe encore beaucoup d’incertitude quant à l’ampleur et à la durée de l’impact sur le secteur.

L’industrie minière africaine sera confrontée à un impact inévitable de l’épidémie de COVID-19, bien qu’il existe encore beaucoup d’incertitude quant à l’ampleur et à la durée de l’impact sur le secteur. Les sociétés minières africaines qui produisent du lithium, du cobalt, du cuivre et du minerai de fer enregistrent déjà une baisse de la demande en provenance de Chine causée par les arrêts de production et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

Par ailleurs, la consommation mondiale de pétrole et de gaz naturel liquéfié (GNL) risque également de connaître des réductions en raison de l’expansion du COVID-19 dans plusieurs pays importateurs. Ainsi, les fermetures de ports, les restrictions de voyage et les fermetures d’usines feront baisser la demande mondiale, obligeant les importateurs à annuler leurs achats de pétrole africain.

Impacts possibles sur l’industrie

Il est difficile de savoir quand les lignes de production des usines redémarreront dans les régions du monde touchées par le coronavirus, mais une fois cela fait, les importations et les exportations seront encore retardées par la congestion et les arriérés de stock qui en résulteront. De ce fait, les secteurs manufacturiers et industriels d’Afrique devraient être affectés par une baisse de l’offre de composantes clés en provenance des pays producteurs d’équipements.

En particulier, les entreprises de construction seront affectées en raison des retards dans la chaîne d’approvisionnement mondiale et de la pénurie de matériaux de construction qui en résulte. Également, les entreprises africaines de construction devront faire face à un déficit de conseils techniques dans le domaine à la suite de la mise en quarantaine de plusieurs régions du monde. Cette situation est de nature à rendre plusieurs projets critiques en raison des retards qui affecteront le temps nécessaire pour achever les chantiers.

Impacts possibles sur l’agriculture

Dans le secteur agricole, il faudrait s’attendre à une baisse des prix de plusieurs produits agricoles en raison d’une baisse de la demande dans plusieurs pays importateurs affectés par le coronavirus. À la suite du ralentissement de plusieurs unités de production industrielles dans les pays occidentaux, en raison des mesures de protection, la faiblesse de la production industrielle se fera sentir sur le prix des intrants qui servent à cette production, aussi bien pour les produits agricoles que pour les produits halieutiques.

Par ailleurs, la perturbation des filières d’approvisionnement internationales fera en sorte que les équipements agricoles disponibles sur le marché africain vont se raréfier et connaîtront une augmentation de leur prix. Ceci pourrait retarder plusieurs projets d’investissement agricole le temps que la situation revienne à la normale.
Impacts possibles sur les ventes au détail.

Le segment de marché de la filière du vêtement est actuellement touché par les fermetures en Chine et celles-ci devraient affecter la chaîne d’approvisionnement mondiale, entraînant une pénurie du commerce de détail, y compris en Afrique.

Dans le commerce de détail, les africains doivent se préparer à l’impact d’une baisse des ventes.

Au niveau du marché mondial, la vente en ligne pourrait être un bénéficiaire notable de l’impact de COVID-19. Les détaillants pourraient profiter de la situation actuelle pour accroître leur activité car les consommateurs sont incités à se tourner vers les achats en ligne pour éviter les magasins bondés ou parce qu’ils sont mis en quarantaine et incapables de quitter leur domicile. Avec la même situation en Afrique, les ventes de détail en ligne pourraient également connaître une bonne croissance.

Dans le commerce de détail, les africains doivent se préparer à l’impact d’une baisse des ventes, en raison de contraintes à la fois sur la disponibilité des produits et sur la demande des consommateurs. Cette demande sera affectée par les nombreux messages publics qui visent à éviter les rassemblements. Cette situation réduira sans aucun doute la liquidité des entreprises de cette filière et entraînera des pertes d’emplois. Une stratégie alternative peut consister à promouvoir les ventes au détail en ligne pour fournir une solution transitoire.

Impacts possibles sur l’industrie des NTIC

De plus en plus d’africains effectuent des investissements conséquents dans le secteur des NTIC. Dans ce domaine, de nombreuses sociétés de télécommunications cherchent à développer leurs infrastructures. Également, le secteur du commerce électronique est en plein essor et offre des opportunités d’expansion dans plusieurs pays. Cependant, l’incertitude autour de COVID-19 signifie que les dépenses attendues dans ce secteur pourraient être retardés car les investisseurs attendront que l’incertitude se dissipe pour entrevoir des investissements plus conséquents à court terme.

Dans le court terme, la pénurie pourrait engendrer des retards dans plusieurs projets à forte teneur technologique.

La plupart des grandes entreprises du secteur de la technologie sentiront les effets de la rupture de la chaîne d’approvisionnement des matériaux sur leur activité. Beaucoup seront obligés de fermer leurs entreprises et permettre aux employés de faire du télétravail. Dans le court terme, la pénurie pourrait engendrer des retards dans plusieurs projets à forte teneur technologique.

Il est important de noter que Wuhan, qui fut l’épicentre de l’épidémie en Chine, est le plus grand producteur de fibres optiques et de câbles au monde, représentant un quart du marché international. Pour cette raison, une rupture de la chaîne d’approvisionnement dans cette filière signifie que l’industrie africaine des télécommunications qui cherche à acquérir des infrastructures technologiques de quatrième génération pourrait être affectée.

Conclusion

À la lumière de ce qui précède, il devient évident que le continent africain, sur lequel les infections du coronavirus commencent à s’étendre, pourrait en subir de nombreuses conséquences économiques qui se traduiront par une baisse de sa croissance économique. Cette baisse appréhendée sera la résultante de la baisse de ses exportations de produits de base, mais également ses importations de produits manufacturiers nécessaires à ses usines pour la production de biens et de services.

Ainsi, pour les africains, l’enjeu majeur de la gestion des risques d’investissement réside dans la collaboration continentale pour contenir et endiguer le risque d’expansion du virus, mais également dans le renforcement du partenariat avec la Chine pour mieux relever le plateau médical dans plusieurs pays. Il est également nécessaire pour les africains de rendre opérationnels les mécanismes de protection sanitaire du continent pour entamer dès à présent le combat communautaire contre le virus.

Dr Ibrahima Gassama est un Economiste, titulaire d’un Ph.D. Son contact : igassama@gmail.com

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