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Pr Abdoulaye Bathily : ‘’Le débat sur l’emploi des jeunes est une opportunité pour la renaissance africaine’’

L’ancien ministre d’Etat chargé des Affaires africaines a été l’hôte d’un débat d’intellectuels, dans le cadre d’une série de conférences en ligne organisées par le Collectif pour le renouveau africain (Cora).

A côté des conflits et tensions politiques, une Afrique, intellectuelle, cherche à s’éveiller face à un ordre mondial préétabli. A travers une série de débats lancée lundi dernier par le Collectif pour le renouveau africain (Cora), des spécialistes se penchent sur ces liens invisibles, mais si ancrés pour maintenir le continent noir dans le sous-développement.

Hier, la rencontre en ligne a compté parmi ses intervenants le Pr. Abdoulaye Bathily. Et avec le thème ‘’L’Afrique dans le désordre global’’, l’historien a revisité la marche du monde qui n’a pas toujours été défavorable au continent noir. Le chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar a surtout disséqué les causes de ce déséquilibre si défavorable à l’Afrique et mis la jeunesse face à ses responsabilités dans la renaissance future du continent berceau de l’Humanité.

Au Sénégal, cette tranche de la société s’est fait entendre au début du mois de mars 2021, dans une série de violentes manifestations ayant occasionné au moins 13 morts. A des revendications démocratiques, se sont accolées des demandes sociales dont la plus pressante est l’emploi des jeunes. Au lieu de la craindre, le Pr. Bathily exhorte les dirigeants africains et sénégalais à en faire une arme. Car ‘’le débat sur la jeunesse et son manque d’emploi, souffle le membre du Cora, est une opportunité, un instrument de renaissance africaine. Nos dirigeants doivent renverser les perspectives avec une nouvelle politique d’industrialisation, une nouvelle politique agricole, des entreprises africaines grandes et petites’’.

Pour le Pr. Bathily, le désordre actuel du monde n’est pas spontané. ‘’Il est provoqué, entretenu par ceux que j’appelle les ‘seigneurs du monde’ pour leurs intérêts. Ces seigneurs représentent le marché mondial capitaliste. Ils se réfèrent à tout un réseau inextricable de domination sur le plan politique, économique, financier, militaire, sécuritaire et culturel. Ils soumettent une partie de l’humanité à leurs intérêts’’, assure l’historien.

‘’La poursuite de la Conférence de Berlin de manière silencieuse et permanente’’

Ancien représentant spécial de l’ONU pour l’Afrique centrale et chef du Bureau régional pour l’Afrique centrale, le Pr. Bathily se dit toujours ébahi de constater, lorsqu’il participe aux réunions des Nations Unies, que chacune des puissances mondiales se présente comme le meilleur partenaire de l’Afrique : non seulement les anciennes puissances coloniales, mais aussi les Etats-Unis, le Japon, la Chine, la Russie et même les puissances émergentes comme l’Inde et le Brésil. Or, ajoute-t-il, ‘’tout le monde sait que, comme j’en ai déjà parlé, c’est la poursuite de la Conférence de Berlin de manière silencieuse et permanente, à travers tous ces partenariats que l’Afrique noue avec les autres pays et régions du monde’’.

Pour étayer ses propos, l’ex-chef de file de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) fait remarquer que ‘’nous avons les drapeaux et les hymnes nationaux, mais nous n’avons pas eu l’indépendance. Le pacte colonial, symbolique de ce désordre, est encore là. L’extraversion de l’économie africaine, productrice durable de matières premières qu’elle ne transforme pas, le symbolise. Regorgeant de toutes les richesses du monde, elle dépend du reste du monde de la transformation de ses produits qui lui reviennent à des coûts exorbitants’’.

Cette Afrique dans le désordre global est entretenue avec la complicité de ses propres dirigeants. Ces derniers, qui participent aux sommets Chine-Afrique, France-Afrique, etc., en désordre, avec, à chaque fois, ‘’un pays hôte qui définit l’ordre du jour et le contenu du partenariat. Il n’y a pas une voix africaine qui vient avec des intérêts africains’’.

Le résultat, visible dans tous les secteurs d’activité, se traduit par exemple par le manque de souveraineté monétaire de certains pays, notamment de la zone CFA, la suprématie du dollar et de l’euro dans les échanges internationaux, les partenariats illégaux entre l’Afrique et le reste du monde. D’ailleurs, des travaux sur les flux financiers illicites révèlent que plus de 50 milliards de dollars sont perdus chaque année dans le continent sur ces transactions opaques.

La pandémie du coronavirus a aussi montré l’aspect insoutenable de ce désordre mondial et la place que l’Afrique occupe aujourd’hui. ‘’Nous avons pourtant des chercheurs émérites sur le continent et dans la diaspora. Pourquoi ne sont-ils pas organisés pour faire face à ce genre de situation, n’eût été la résilience extraordinaire dont les peuples africains, à qui l’on prédisait le pire, ont fait preuve ?’’, s’interroge l’ancien ministre de l’Environnement dans le gouvernement du Premier ministre socialiste Habib Thiam.

Soixante ans après les indépendances, ‘’les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs’’ 

Toujours enclin à faire un clin d’œil à l’histoire, l’ex-enseignant au Département d’histoire à l’Ucad a rappelé la vision du nationalisme africain des années 50 de mettre fin à ce désordre et de reconstruire le continent à travers les mouvements d’indépendance. ‘’De bâtir une Afrique nouvelle, maîtresse de son destin. Soixante ans après, nous voyons que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs’’, se désole-t-il.

Pour renverser cette tendance, il conseille de mettre en place des sociétés démocratiques appliquant ‘’une gouvernance des citoyens par des élus au service des citoyens pour le bien de la communauté. Que chaque citoyen soit considéré comme un individu à part entière’’.

Il est primordial, ajoute le Pr. Bathily, de mettre fin à la crise de leadership pour réaliser l’unité du continent et mettre fin à ce désordre. ‘’Mettre fin au pacte colonial que symbolise tous ces partenariats dans lesquels l’Afrique est engagée. La mise en synergie des ressources naturelles et humaines dans tous les domaines, pourrait créer une nouvelle ère d’autonomie pour le continent. Il y a de quoi nourrir les Africains et le potentiel énergétique est suffisant pour porter la croissance du continent’’, assure-t-il.

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), entrée en vigueur en janvier dernier, est, selon le spécialiste des questions africaines et internationales, un petit pas dans la bonne direction. ‘’Mais cela ne suffit pas. L’intégration commerciale doit suppléer l’intégration de la production. Il nous faut créer une classe d’entrepreneurs transfrontaliers qui vont construire les petites et moyennes entreprises pour stopper la dépendance vers l’extérieur’’, analyse-t-il.

Avec Enquête 

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