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Pour l’initiative « AAC55 », la reprise passera par les industries créatives et culturelles

Pour « Action Africa Culture » (AAC55) la plateforme dédiée aux industries culturelles et créatives (ICC), cofondée par Seynabou Dia, CEO du cabinet Global Mind Consulting et par la journaliste Fatimata Wane, la culture reste l’un des meilleurs moyens de relancer l’économie tout en créant du sens.

Que recouvre l’Initiative AAC55 que vous avez cofondée en 2019 avec Seynabou Dia Sall ?

Fatimata Wane, co-fondatrice et présidente de AAC55 : L’initiative est née au Sénégal, de nos observations respectives. La structure porteuse de AAC55 [« 55 » pour les 54 pays africains, les membres des diasporas et les Caraïbes] est un GIE basé à Dakar. Nous avons également créé « Les Amis de AAC55 », une association de loi 1901 à Paris, pour gérer la partie promotion auprès de la diaspora et à l’international. […] En tant que journaliste depuis une quinzaine d’années, j’ai pu prendre la mesure de l’énorme potentiel du monde de la culture en Afrique, qui reste pourtant sous-financé et qui manque cruellement de promotion et de diffusion à l’international. Notre objectif est d’organiser un grand rendez-vous annuel, qui permettra aux acteurs des arts visuels, de la musique, du cinéma, du livre et du spectacle vivant d’être vus, reconnus et de se rencontrer. Nous y avons ajouté les médias, car les artistes ne les consultent que lorsqu’ils doivent assurer leur promotion, alors qu’il serait plus judicieux de les impliquer en amont.

Seynabou Dia Sall, co-fondatrice de AAC55 et CEO de Global Mind Consulting : En termes de diffusion, les médias sont indispensables, car ils contribuent à rendre la culture accessible au plus grand nombre. Par ailleurs, au-delà de la valorisation des acteurs des ICC, AAC55 cherche à les accompagner. Les défis qu’ils rencontrent sont nombreux et se concentrent souvent autour de la formation, de l’accès au financement, de la distribution et de la diffusion de leur travail. Nous voulons leur apporter des solutions concrètes, en favorisant les synergies avec différents acteurs et de potentiels partenaires stratégiques de l’écosystème [secteur privé, instituts, médias,…, ndlr].

Enfin, l’Afrique investit encore trop peu dans ses activités culturelles. Or il s’agit d’un levier économique stratégique à part entière, capable de contribuer largement au développement du PIB dans nos pays. Les activités et les industries culturelles s’imposent comme de véritables moteurs de croissance permettant ainsi la diversification des économies nationales, la génération de revenus et la création d’emplois. Il y a l’exemple du Nigéria qui a massivement investi dans ses ICC au point de se positionner parmi l’un des trois premiers producteurs de films au monde. Au premier trimestre 2019, Nollywood comptait pour 0,27% du PIB national, contribuant à la création de plus d’un million d’emplois.

La culture est-elle un sujet d’investissement à part entière en Afrique en dehors des locomotives sud-africaine et nigériane ?

Seynabou Dia Sall : Oui, c’est déjà un sujet dans de nombreux pays africains et au sein des diasporas africaines du monde entier. Le Maroc a, par exemple, lancé la stratégie « Maroc Culturel 2020 », qui vise d’une part à doter les collectivités locales d’infrastructures culturelles, et d’autre part à créer un fonds de soutien à la culture pour aider à la fois le créateur et l’entreprise. On parle d’un fonds qui s’élève à 40 millions de Dirhams (près de 3 800 000 euros). Il faut désormais se poser la question de structurer des écosystèmes pérennes à travers la construction de chaînes de valeur, qui viendront demain alimenter le développement économique du continent.

Comment faire émerger les ICC du continent, via notamment la technologie qui véhicule la créativité africaine auprès du plus grand nombre, sans tomber dans le piège de sa standardisation ?

Fatimata Wane : Dans une certaine mesure, la « survie » des ICC africaines passera par une plus large distribution et par une forme de « vulgarisation » des cultures africaines, donc par une forme de « globalisation ». Mais elle survivra aussi grâce à une dimension plus individualisée. C’est la raison pour laquelle, il nous faut accompagner les acteurs des ICC dans leur diversité, y compris linguistiques, car si nous ne le faisons pas, ils disparaîtront les uns après les autres, dès que les géants du secteur numérique débarqueront en Afrique. Ces acteurs sont d’ailleurs très utiles pour une partie des ICC, car ils apportent une réponse à des problématiques précises. Néanmoins, il n’est pas possible de déléguer l’intégralité de son industrie culturelle et créative à des acteurs étrangers, quels qu’ils soient, car c’est une question de souveraineté nationale.

Comment sortir de la « folklorisation » des cultures africaines, encore largement relayée dans les médias ou sur les réseaux sociaux ?

Fatimata Wane : La « folklorisation » permet de ranger la culture africaine dans une petite boite, de façon indifférenciée. Lorsqu’il s’agit de commencer à s’intéresser aux ICC africaines, il faut entrer dans des histoires multiples et parfois complexes. AAC55 s’est fixé comme objectif d’ouvrir des fenêtres qui permettront au plus grand nombre de découvrir le potentiel créatif du continent africain, dans toute sa subtilité.

Qui sont les membres du bureau de l’Initiative AAC55 ?

Seynabou Dia Sall : Notre équipe est composée de profils variés : Aminata Dramane Traoré, l’ancienne ministre de la Culture du Mali, le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly, l’actrice française Aïssa Maïga, l’entrepreneur sénégalais Mactar Sylla, l’universitaire camerounais Achille Mbembe, l’humoriste nigérien Mamane, l’écrivain marocain Mahi Binebine, mais aussi la conservatrice togolaise, Sarah Agbessi, la danseuse et chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny, la co-fondatrice sénégalaise d’agendakar.com, Aisha Dème, le rappeur burkinabè Smarty et enfin, l’entrepreneur franco-togolo-américain, fondateur de la plateforme TRUE Africa, Claude Grunitzky […] Nous sommes accompagnés par plusieurs partenaires comme l’UNESCO, les Rencontres de Bamako – La Biennale de la Photographie, France Media Monde, le Forum des diasporas africaines, la Fondation Zinsou…

Avec quels moyens AAC55 participera au renforcement des écosystèmes des ICC en Afrique ?

Seynabou Dia Sall : Il nous faut avant tout prendre le pouls du secteur en établissant un état des lieux. C’est un travail de longue haleine qui fera bientôt l’objet d’une enquête approfondie, destinée aux acteurs culturels, mais aussi aux amateurs de cultures africaines, pour connaître leurs attentes et définir leurs priorités. Nous lancerons d’ailleurs bientôt une campagne de crowdfunding à cet effet. […] En décembre, notre événement annuel qui se tiendra en 2021 à Paris, et qui réunira notamment des comités scientifiques, sera la synthèse de tout un travail de réflexion et de collecte d’informations, et présentera notre feuille de route. Nous sommes accompagnés par l’Unesco grâce à qui nous allons pouvoir toucher directement les Etats africains.

Si le grand public connaît les réussites mondiales des chanteurs sénégalais Akon et Ismaël Lo, de la voix d’or du Malien Salif Keita ou de la carrière de l’actrice kenyane oscarisée Lupita Nyong’o, selon vos observations, sur quelles bases repose la contribution des diasporas en matière d’ICC en Afrique ?

Fatimata Wane : Le lien entre un artiste de la diaspora et son pays d’origine est avant tout personnel. Tout dépend de chaque histoire. Certains ont conservé des liens ténus avec leur pays d’origine là où d’autres ont coupé les ponts, et il serait malvenu de juger un choix par rapport à un autre. Il existe certains profils disposés à s’impliquer sur le continent, mais qui ne savent pas comment s’y prendre. AAC55 est aussi une invitation lancée aux diasporas pour -à l’image du chanteur Akon ou de l’actrice Aïssa Maïga-, s’impliquer dans des projets à impact sur le continent.

Seynabou Dia Sall : Je citerai aussi Youssoupha en Côte d’Ivoire ou encore Mamane au Niger […] Cela dit, il faut arrêter d’attendre qu’un artiste africain ne devienne célèbre aux Etats-Unis pour être validé en Afrique. Nous perdons des artistes de talent qui ne se voient pas d’avenir artistique dans leur propre pays d’origine.

La présence de Marie-Cécile Zinsou, présidente de la Fondation Zinsou, au sein de votre advisory board est-elle le reflet d’un engagement de AAC55 en matière de restitution des œuvres africaines ?

Fatimata Wane : Elle est avant tout une femme entrepreneure, porteuse d’un projet culturel qui fonctionne bien au Bénin, porté par des financements mixtes. Son point de vue en matière d’art visuel est très précieux au regard de ses années d’implication dans le secteur des ICC en Afrique. L’impact qu’elle a obtenu dépasse largement les frontières du Bénin, en matière de promotion des productions artistiques africaines, mais aussi en termes d’accompagnement d’artistes. (…) La question de la restitution des œuvres sera posée au sein de AAC55. Au-delà de la légitimité de récupérer des œuvres qui leur ont été volées -et cela est documenté-, se pose régulièrement la question des capacités des Africains à les conserver. C’est un argument de nature raciste selon Marie-Cécile Zinsou, qui a rappelé que ces œuvres ont traversé les âges en dehors de toute vitre tamisée des musées occidentaux. […] Les recherches doivent se poursuivre pour documenter les œuvres du passé, mais il faut aussi établir une cartographie des œuvres du présent, dont certaines sont dilapidées dans la nature et disparaissent des circuits, faute d’accompagnement des artistes. D’ici 50 ans, on se posera encore la question de savoir où sont passées les œuvres contemporaines africaines ! La restitution doit dépasser la dimension symbolique d’un colonisateur coupable de s’être emparé des trésors de l’Afrique. […] A date, 26 œuvres ont été restituées au Dahomey, mais il en reste encore 90 000. C’est symbolique, mais c’est un début.

Que représentent les ICC en matière de contribution économique au PIB mondial ?

Fatimata Wane : Dans son ensemble, le secteur représentait 3,4 % du PIB mondial en 2007 et équivalait à près de 1,6 trillion de dollars, soit presque le double des recettes du tourisme international pour la même année. Autre exemple parlant : aujourd’hui, Hollywood pèse autant que l’agriculture américaine. Cela donne une idée des possibilités de développement économique de la culture en Afrique, qui est 10 fois moins élevée que dans la plupart des autres régions du monde. Les pays africains perçoivent ces opportunités, mais faute de synergie entre les acteurs, qui permettrait de poser les bases d’écosystèmes culturels en Afrique, le secteur n’évolue pas. C’est précisément à ce niveau que nous intervenons.

Seynabou Dia Sall : Au regard de leur contribution, il est primordial que ces acteurs culturels puissent être pleinement valorisés dans ce qu’ils font et dans l’impact qu’ils parviennent à avoir, tant sur l’économie que sur la société en général. Nous l’avons vu, les acteurs culturels ont brillé par leur capacité à se réinventer et à innover pendant la crise sanitaire, et ont été extrêmement solidaires, impliqués dans l’effort de sensibilisation, étant pourtant parmi les plus durement touchés économiquement par la pandémie. Ce lien tangible entre culture et économie est ce qui porte AAC55, avec une conviction forte, celle que la culture est l’un des meilleurs moyens de relancer l’économie tout en créant du sens.

(AFRIQUE LA TRIBUNE)

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