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Okonjo-Iweala : “L’OMC doit devenir une organisation performante” (vidéo)

Qu’est-ce que le nouveau multilatéralisme ? Et qu’est-il arrivé à l’ordre mondial pendant la pandémie de Covid-19 ? De quelle manière cette crise sanitaire sans précédent a-t-elle fait évoluer tous les secteurs bien au-delà de celui de la santé publique ? Pour répondre à ces questions et évoquer quelques-uns des sujets mondiaux les plus brûlants, nous avons interrogé à l’occasion de la récente conférence sur l’état de l’Union de l’Institut universitaire européen de Florence, la directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala qui est entrée en fonction le 1er mars dernier.

Sasha Vakulina, journaliste économique à Euronews : “Commençons par quelques-unes des dernières annonces entendues lors de la conférence sur l’état de l’Union. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a déclaré que l’Union européenne était prête à discuter de la proposition, précédemment soutenue par les États-Unis, de lever les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre le Covid-19. Mais en même temps, certains pays ont exprimé leurs inquiétudes : ils ne sont peut-être pas prêts à le faire maintenant. Quel est votre point de vue sur ces annonces et estimez-vous que cela pourrait éventuellement prolonger encore d’autres négociations alors que justement, le temps est compté ?”

Les membres de l’OMC, comme vous l’avez noté à juste titre, sont partisans de la dérogation en matière de propriété intellectuelle. Plus de 100 pays en développement se sont joints à l’Afrique du Sud et à l’Inde pour demander cette dérogation car ils estiment qu’elle est essentielle pour permettre aux pays en développement de résoudre le problème de l’inégalité d’accès aux vaccins. Mais il y a aussi ceux qui pensent que la dérogation à la propriété intellectuelle n’est peut-être pas la question essentielle pour augmenter les volumes. Mon travail consiste donc à m’assurer que je rassemble les membres pour qu’ils s’assoient autour d’une table et négocient un texte qui conduise à une solution pragmatique permettant de lutter contre l’inégalité d’accès aux vaccins pour les pays en développement tout en veillant à ne pas décourager la recherche et l’innovation. Les récentes déclarations des États-Unis, entre autres, donneront, j’en suis sûre, un élan aux négociations avec des personnes et des membres désireux de se mettre autour de la table pour négocier le texte. Il n’y a que comme cela que nous pourrons progresser.

Mais selon moi, il y a plusieurs facteurs sur lesquels il faut agir pour résoudre le problème de l’inégalité d’accès aux vaccins, traitements et produits de diagnostic. L’OMC peut jouer un rôle dans chacun d’entre eux et elle le fait déjà. L’un d’eux, c’est le fait de réduire les restrictions et interdictions d’exportations pour que les chaînes d’approvisionnement puissent fonctionner aisément tant pour les produits finaux que pour les matières premières et les fournitures. Nous avons également besoin de personnel qualifié pour la fabrication. Ensuite, nous devons augmenter la capacité de fabrication. 80% des exportations mondiales de vaccins sont concentrées sur 10 pays en Amérique du Nord, en Asie du Sud et en Europe. Nous avons vu les problèmes posés par cette concentration. Nous devons donc utiliser à la fois, les capacités des marchés émergents et des pays en développement qui sont aujourd’hui disponibles et qui peuvent être transformées dans les 6 à 9 prochains mois et mettre en place de nouvelles capacités. Par exemple, l’Afrique, un continent de 1,3 milliard d’habitants, importe 99% de ses vaccins. Selon moi, il faut agir pour améliorer la fabrication de ce côté-là. Ensuite, il y a le problème de la propriété intellectuelle. Et avec elle, se pose aussi la question de l’accès aux technologies et aux savoir-faire. Sans cela, vous ne serez pas capables de fabriquer les produits. C’est donc d’un problème complexe en trois volets. Et j’espère que les membres se réuniront pour avancer sur ces trois aspects et ainsi, contribuer à l’augmentation des volumes.

“Trouver une solution pragmatique pour lutter contre l’inégalité d’accès aux vaccins”
La pandémie de Covid-19 et la crise mondiale qu’elle a déclenchée ont débuté il y a un peu plus d’un an. Quelles leçons en tirez-vous à l’OMC ?

Les leçons qui émanent de la crise sont nombreuses. L’une des plus importantes que nous avons d’ailleurs tous tirée, c’est l’interconnexion mondiale, à quel point notre monde n’était pas préparé à cette crise, que ce soit les pays riches ou les pays pauvres, et ils doivent tous s’assurer que leurs systèmes de santé dans chaque pays soient renforcés pour faire face à la prochaine crise. Mais je pense qu’une autre leçon concerne le rôle du commerce. Même si le commerce s’est contracté l’an dernier de 5,3% en volume et de 7% en valeur, il a joué un rôle très important dans l’amélioration de l’accès aux fournitures et aux équipements médicaux. Donc, même si le commerce de manière générale s’est contracté, nous avons constaté une augmentation de 16% au niveau de la valeur des fournitures et équipements médicaux et de 50% dans le cas des équipements de protection individuelle. Cela montre donc que le système commercial multilatéral a contribué à résoudre le problème de l’approvisionnement en fournitures médicales. C’est un facteur qui, je pense, est important et c’est une bonne leçon qui nous montre que nous devons renforcer et maintenir le système commercial multilatéral.

Je pense qu’une autre chose que nous avons apprise, c’est que les chaînes d’approvisionnement ont été très résilientes, bien plus que ce que les gens pensent. On parle beaucoup de délocalisation et de relocalisation à cause des problèmes que nous avons rencontrés. Mais vous avez vu que la circulation des produits agricoles et alimentaires a été très résistante et stable… Pareil pour les fournitures médicales. Dans l’ensemble, nous constatons que les chaînes d’approvisionnement ont en grande partie fonctionné, pas parfaitement, mais elles ont fonctionné. C’est donc une autre leçon fondamentale que nous avons apprise.

Enfin, je dirais que le rôle du commerce – en s’assurant de traiter les problèmes d’inégalité dans l’accès aux vaccins – est également crucial. Et c’est là que les chaînes d’approvisionnement ont une grande importance tout comme les questions de transfert de technologie et d’accès aux brevets et à la propriété intellectuelle.

“Le système commercial multilatéral a contribué à résoudre le problème de l’approvisionnement en fournitures médicales”
Au cours de l’année écoulée, nous avons également entendu des appels à restaurer la production et à mettre en place une plus grande autonomie, voire une autosuffisance. Devons-nous repenser le commerce mondial et ce nouveau multilatéralisme ? Et si oui, comment ?

Je pense que le multilatéralisme a pris des coups en quantité et bien sûr, nous avons assisté à une recrudescence du protectionnisme qui découle également de certaines lacunes de la mondialisation. Comme on le sait, la mondialisation a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté, mais elle a également laissé des personnes de côté. Il s’agit des personnes pauvres qui vivent dans les pays riches ou dans les pays pauvres qui n’ont pas bénéficié de la mondialisation. Cela étant dit, je pense que le nouveau multilatéralisme, si vous voulez l’appeler ainsi, doit être géré et soutenu de manière à ce qu’il puisse contribuer à résoudre les problèmes que la mondialisation n’a pas traités et même renforcer la solidarité et la coopération dont nous avons besoin pour résoudre aujourd’hui, les problèmes des biens communs. Mais permettez-moi de dire une chose : les gens parlent de protectionnisme, de démondialisation, du mauvais fonctionnement de la mondialisation. Je préfère envisager cela comme à une “re-mondialisation” : la façon dont la mondialisation fonctionne est en train d’être réorganisée.

Nous avons vu la première vague de mondialisation au cours de laquelle des pays comme la Chine et ceux de l’Est de l’Europe ont été intégrés au système. Ce qui a entraîné des gains importants pour les économies mondiales et pour ces pays. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une deuxième vague de mondialisation dans laquelle les pays africains et d’autres pays à revenu intermédiaire ou faible en Asie et en Amérique latine soient intégrés et réintégrés dans le système mondial. Je crois que cela donnera un second élan à la mondialisation qui contribuera à corriger les inégalités résultant à la fois, des évolutions technologiques et de la première vague de mondialisation. Donc voyons cela comme une re-mondialisation accompagnée d’un renforcement du multilatéralisme. C’est ce que j’aime à considérer comme le nouveau multilatéralisme.

“Nous avons besoin d’une re-mondialisation accompagnée d’un renforcement du multilatéralisme”
Et quelles sont exactement les actions nécessaires à mener pour ne pas aller vers une démondialisation, mais vers cette “re-mondialisation” avec une vision différente ?

Tout d’abord, nous devons nous assurer que les aspects positifs des systèmes multilatéraux, du système commercial soient maintenus et renforcés : ce sont les règles du jeu équitables, l’équité, la non-discrimination, la stabilité du système, tous les principes… C’est absolument nécessaire. De plus, nous devons voir comment faire participer les micro-, moyennes et petites entreprises qui dans la plupart des pays du monde, sont véritablement les moteurs de la croissance économique. Elles créent les emplois, elles font circuler les marchandises. Et pourtant, vous constatez dans de nombreux pays qu’elles ne participent pas au système commercial multilatéral. Elles ne sont pas présentes dans les chaînes d’approvisionnement nationales, régionales et mondiales. Donc l’une des questions clés auxquelles nous devons réfléchir dans le cadre de la mondialisation, c’est de savoir comment intégrer les petites et moyennes entreprises dans ces chaînes de valeur, dans les chaînes d’approvisionnement qui livrent des marchandises dans le monde entier. Un autre domaine concerne les femmes : les femmes et le commerce. Vous constaterez dans la plupart des pays que 50% ou plus de ces PME sont détenues par des femmes. Comment les impliquer et les faire participer à toutes ces actions ? Comment établir de nouvelles règles commerciales qui soutiendront ces pans de notre économie mondiale ? Ce sont les questions que nous examinons au sein de l’OMC pour voir comment la nouvelle mondialisation peut faire participer ceux qui ont été marginalisés dans le passé.

Le 26 avril, l’événement “EU Trade Policy Day” 2021 a eu lieu et vous avez eu un échange avec Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, sur les réformes de l’OMC. Pouvez-vous nous donner un aperçu de cet échange ? Et dans quelle mesure l’Union européenne peut-elle peser dans le processus de mise en place, de discussion et au final, de réforme de l’Organisation mondiale du commerce ?

Ce que fait l’Union européenne est d’une importance capitale pour l’OMC et pour le système commercial mondial. Nous avons échangé sur un certain nombre d’idées que l’UE propose concernant la réforme de l’OMC. Je trouve ces idées très utiles, très intéressantes. Il s’agit de savoir comment conclure certaines des négociations en cours dans lesquelles l’OMC est impliquée : par exemple, les subventions à la pêche, les négociations menées en vue de soutenir la durabilité de nos océans. Elles sont en cours depuis 20 ans. Et je sais que l’UE et tous les autres membres sont très désireux de conclure ce cycle de négociations multilatérales. Nous avons donc discuté de la manière d’y parvenir.

Nous avons abordé les questions relatives au système de règlement des différends de l’OMC – qui a été paralysé – et nous avons vu comment le re-dynamiser et le réformer. Nous avons parlé de la manière dont nous pouvons adapter les règles de l’OMC aux problèmes du XXIe siècle, notamment les questions du commerce numérique et du e-commerce. L’UE est très coopérative dans ces domaines. Et puis nous en sommes arrivés à la question du commerce et du climat. Comment pouvons-nous faire en sorte que les règles de l’OMC contribuent à rendre nos économies plus vertes et décarbonées et nous aident à mieux nous remettre de cette pandémie ?

“L’UE a des idées très utiles sur la réforme de l’OMC”
Tous les membres de l’OMC se sont engagés à respecter les Objectifs de développement durable des Nations Unies et bon nombre de ces objectifs ont un lien avec la protection de l’environnement. Dans le cadre du processus d’élaboration du nouveau multilatéralisme et de cette “re-mondialisation”, comment vous assurez-vous que la politique commerciale est adaptée aux défis climatiques et environnementaux ?

Je pense que le commerce peut contribuer de manière substantielle à la réduction des émissions de carbone au niveau mondial, à la décarbonisation de notre monde et à la transition vers un monde plus respectueux de l’environnement. Selon moi, il existe de nombreuses opportunités que nous pouvons explorer. Tout d’abord, en 2016, les membres de l’OMC étaient en train de négocier un accord sur les biens et services environnementaux qui aurait permis d’inciter à utiliser des technologies et des biens plus propres et plus verts. Donc une possibilité existe… Mais ces négociations ont été bloquées. Donc l’une des choses que nous essayons de faire, c’est de voir comment relancer ces négociations et les conclure d’une manière qui serait bénéfique aux membres et à l’échelle de la planète, à l’environnement. Bien sûr, il y a des questions qui sont examinées et débattues sur la façon de s’attaquer aux émissions de carbone dans le cadre du commerce et de divers mécanismes, y compris le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières%20de%20l’UE.&text=L’objectif%20est%20de%20lutter,mondiale%20du%20commerce%20(OMC).) que l’UE envisage. Nous étudions également cette question à l’OMC afin de nous assurer que tout ce qui se passera sera conforme à ses règles. Et c’est ce que nous sommes en train de faire. Mais nous devons examiner les divers instruments qui pourraient être utilisés pour aider à mieux adapter le commerce à l’environnement. C’est un domaine intéressant et exigeant. Et nous avons hâte de travailler davantage avec l’UE et avec d’autres sur cette question de l’environnement.

“Le commerce peut contribuer de manière substantielle à la réduction des émissions de carbone au niveau mondial”
Si l’on se place dans une perspective à court terme – d’un à trois ans, disons -, quels sont les résultats ou objectifs que vous espérez le plus atteindre ?

Dès cette année, je m’attends à un certain nombre de réalisations au niveau de l’OMC et du commerce. Je pense qu’avant tout, nous devons faire de l’OMC, une organisation qui obtient des résultats. Cette image selon laquelle l’OMC n’obtient pas de résultats et ne fonctionne pas correctement doit changer. Et je vois un grand potentiel pour changer cela dès cette année, d’ici à la 12ème Conférence ministérielle en décembre. Et cela peut se faire en se concentrant sur les résultats. Tout d’abord, nous avons la formidable opportunité de conclure les négociations sur les subventions à la pêche qui durent depuis 20 ans. Je répète que s’il s’agit de soutenir la durabilité de nos océans et les moyens de subsistance de nos pêcheurs – femmes et hommes -, nous devons conclure ces négociations. C’est donc une priorité absolue à mes yeux. Cela nous permettra de remporter une victoire.

Le deuxième domaine dans lequel j’aimerais voir des résultats est celui du commerce et de la santé. Nous avons l’occasion unique, en tant qu’OMC, de nous attaquer aux problèmes auxquels nous sommes confrontés avec la pandémie et nous avons déjà montré que le commerce, le système commercial multilatéral a fait partie de la solution. J’aimerais que nous allions plus loin quand nous conclurons ces négociations sur la propriété intellectuelle et le transfert de technologie et de savoir-faire en nous dotant d’un instrument qui puisse contribuer à résoudre les problèmes d’accès aux fournitures et équipements médicaux et aux vaccins. C’est donc une contribution importante que nous pourrions finaliser lors de notre conférence ministérielle.

Je pense que le troisième domaine concerne l’agriculture qui est d’une importance vitale pour tous nos membres pour les pays en développement et développés. Et nous avons des domaines sur lesquels travailler sur les questions de sécurité alimentaire. Vous savez que le système commercial multilatéral a également permis de garantir la stabilité des approvisionnements alimentaires et des échanges dans le monde entier. La sécurité alimentaire est donc une chose importante. Comment pouvons-nous parvenir à des accords qui seraient bénéfiques aux membres dans ce domaine de l’agriculture ?

Nous devons, bien sûr, aborder la question des subventions – qu’il s’agisse des subventions industrielles ou de ce que nous appelons “le soutien interne” qui correspond aux subventions agricoles – qui font craindre aux membres que les règles du jeu ne soient plus les mêmes pour tous en ce qui concerne la concurrence dans le commerce entre pays. Nous devons donc nous pencher sur cette question. C’est un domaine dans lequel j’aimerais faire des progrès.

Et puis, j’aimerais également voir des progrès au niveau du système de règlement des différends qui est essentiel à l’élaboration des règles à l’OMC. Il y a donc de nombreuses opportunités de redorer le blason de l’organisation dans les trois prochaines années.

“Le commerce est un moyen d’atteindre une fin qui est d’améliorer la vie des gens”
Où en est-on des solutions à certains des problèmes importants que vous venez de mentionner ? Faudrait-il être plus orienté vers la société et les personnes pour évidemment, s’attaquer à ces problèmes d’inégalité ?

Le commerce est un moyen d’atteindre une fin. Et cette fin, c’est d’améliorer la vie des gens. Ils sont au centre de tout. Et donc, l’OMC et ses instruments devraient être utilisés pour améliorer la vie des gens, qu’il s’agisse des plus pauvres dans les pays riches ou qu’il s’agisse des pays en développement les plus pauvres, les règles devraient être telles que nous puissions les intégrer dans le système commercial mondial et nous servir de cela pour améliorer leur vie. Et tous les résultats dont je parlais devraient conduire à des améliorations dans la vie des gens, que ce soit dans l’agriculture qui représente le moyen de subsistance de nombreuses personnes dans les pays en développement, dans la pêche qui est importante aussi bien pour les pays pauvres que pour les grands pays ou encore dans le commerce et la santé – notamment pour aider à régler le problème de la pandémie -, voire dans le domaine de l’environnement… Dans tous ces domaines, nous avons l’opportunité d’améliorer la vie des gens.

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(AFRICANEWS)

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