Gilles Yabi, vous revenez sur l’arrivée au pouvoir au Nigeria de Bola Tinubu et sur ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas attendre du nouveau président…
L’investiture d’un nouveau président donne toujours l’espoir pour la population d’un changement significatif de trajectoire. Alors même si l’enthousiasme qui avait marqué la dernière élection présidentielle, de la part des jeunes urbains notamment, a vite tourné à la désillusion lorsque le système de transmission automatique des résultats s’est révélé défaillant, une partie des 220 millions de Nigérians veut sans doute croire à une nouvelle impulsion avec l’arrivée au pouvoir de Bola Tinubu et du vice-président, Kashim Shettima.
Le 29 mai dernier, lors de son investiture, Bola Tinubu a délivré un discours fait des grandes promesses habituelles et d’une annonce forte, ce qui est plutôt rare en une telle occasion.
Il a décrété la fin des subventions des produits pétroliers, une décision que beaucoup de gouvernements n’ont jamais réussi à mettre en œuvre. Tinubu commence son mandat en prenant le risque de se mettre à dos des millions de ses concitoyens qui estiment que le prix bas des produits pétroliers est le seul bénéfice concret qu’ils tirent des immenses ressources pétrolières et gazières du pays.
Cette annonce est-elle en lien avec l’inauguration en grande pompe de la plus grande raffinerie de pétrole du continent le 22 mai dernier dans la banlieue de Lagos, construite par l’entrepreneur le plus fortuné d’Afrique, Aliko Dangote.
Alors oui, si le gouvernement subventionne à coups de millions de dollars l’essence, le diesel, le kérosène, alors que le pays produit et exporte des quantités massives de pétrole brut, c’est parce que ses raffineries sont défaillantes depuis des décennies. Le Nigeria importe plus de 80 % de ses produits pétroliers raffinés. Le plus grand pays exportateur de pétrole brut du continent est aussi son plus grand importateur de produits pétroliers raffinés. Mais on sait que les raffineries ne sont pas dysfonctionnelles par hasard et que les réseaux d’acteurs économiques et politiques empochent des millions de dollars chaque année à la faveur de fraudes systématiques dans l’allocation des subventions.
L’ancienne ministre de l’Économie et des finances du Nigeria, Ngonzi Okonjo lweala, actuelle directrice générale de l’Organisation mondiale du Commerce, a décrit parfaitement ce système dans son livre témoignage au titre explicite : « Fighting corruption is dangerous », « Lutter contre la corruption est dangereux », publié en 2020
. Sa mère avait été kidnappée pour l’obliger à renoncer à ses efforts visant à éliminer les pratiques frauduleuses. Alors, il faut espérer que la méga-raffinerie de Dangote fonctionne dans quelques mois et que l’influence politique de l’entrepreneur permettra la réalisation des objectifs ambitieux annoncés. La production combinée à celle des raffineries existantes devrait permettre de couvrir l’intégralité des besoins du pays.
Faut-il attendre du nouveau président une vraie rupture par rapport aux deux mandats de Muhammadu Buhari ?
Il me semble raisonnable d’attendre un peu plus d’impulsion politique et économique. Mais pas de rupture spectaculaire. Bola Tinubu est issu du même parti que Buhari, et il avait d’ailleurs joué un rôle majeur dans l’élection de Buhari en 2015. Ce qui peut faire la différence avec Buhari, ancien général austère, c’est la personnalité et le parcours de Tinubu. Lorsqu’il a gouverné l’État de Lagos entre 1999 et 2007, Bola Tinubu a incontestablement transformé la mégalopole, notamment sur le plan des infrastructures et de la sécurité.
Il avait su attirer des investissements et s’entourer d’une équipe de cadres compétents. Devenant président de la fédération à 71 ans, il n’est pas sûr qu’il ait la même énergie qu’à l’époque. Faiseur de roi depuis longtemps, accusé d’utiliser sa fortune aux origines elles-mêmes controversées pour s’acheter des clientèles, Tinubu n’arrive pas au pouvoir avec l’image d’un homme politique vertueux.
Sur deux dossiers, la sécurité au Nigeria et la posture du Nigeria en Afrique de l’Ouest, on ne sait pas vraiment ce qu’il faut attendre du nouveau président. Je suis tenté de dire qu’un Tinubu plus jeune aurait pu susciter l’espoir de voir enfin un président nigérian à même de relancer la Cédéao, de peser sur les évolutions politiques et sécuritaires d’une région tourmentée. Il faut y croire un peu, mais surtout y travailler dès maintenant. La région a besoin d’un Nigeria qui prenne enfin conscience des responsabilités qui découlent de sa puissance économique et démographique.
RFI