Contributions

” Les enjeux économiques et géostratégiques de l’ethnicité dans le contexte de la globalisation ” (Amadou Sarr Diop)

Notre point de vue sur le débat concernant l’ethnicité s’inscrit dans une double perspective. À cela s’ajoute le contexte géostratégique sous régional, marqué par la percée du fondamentalisme salafiste, la recrudescence de la guerre des ressources et la montée en puissance des acteurs transnationaux. Le postulat d’analyse de mon propos repose sur deux constats. Le premier est que l’instrumentalisation du référent identitaire, comme « formes de l’énonciation du politique », relève de la logique constructiviste des identités qui remonte à la première alternance avec Wade. Le second est que l’exacerbation des différences identitaires, au regard des enjeux économiques et géostratégiques du contexte sous régional, présage des dérives aux conséquences incalculables.

Les enjeux économiques et géostratégiques de l’ethnicité dans le contexte de la globalisation

Dans un de mes articles, portant sur l’ethnicité en débat en Afrique, j’écrivais que « l’extranéité de l’État post-colonial en Afrique, coupé de ses fondements sociologiques et de son substrat culturel, fragilise sa centralité dans le champ du pouvoir, faisant des velléités ethniques des leviers de la déstabilisation. La configuration de nos États nous rend fragiles, elle est marquée par une rupture entre le traçage des frontières et les territoires sociologiques qui renvoient aux formations sociales plurielles. Ils sont adossés à des communautés artificiellement constituées de différentes peuplades aux traits pas forcément homogènes. De « grandes ethnies sont à ‘‘cheval’’ sur plusieurs États ».  La question ethnique est donc un enjeu, l’ethnicité fait partie des instruments de déstabilisation de nos États combien fragiles. C’est pourquoi les élites politiques sénégalaises devraient s’accorder sur l’évitement de l’instrumentalisation des appartenances identitaires dans le débat politique.

Dans l’unité systémique du monde qui se nomme la globalisation, les conflictualités générées par l’ethnicité ne sont plus réductibles à de simples crises identitaires endogènes. Elles nous situent au cœur de ce qu’Amselle appelle les « différents branchements » culturels transnationaux, avec des enjeux géoéconomiques et géostratégiques. L’ethnicité ne s’est pas dissoute dans la globalisation, elle y puise de nouvelles ressources et de nouvelles formes d’expression qui la revigorent, ce qui peut impacter sur la nature des conflits en Afrique. Cette nouvelle situation résulte d’un double processus afférent à des dynamiques transnationales contrariées par des processus de multi-localisation. Les acteurs transnationaux, hors souveraineté, profitent des rivalités entre différents groupes et des faiblesses de la gouvernance politique de nos pays, pour y installer le chaos dans la durabilité. Les connexions entre le mouvement djihadiste, la rébellion Touareg au Mali et les acteurs hors souveraineté comme les narcotrafiquants, avec la manipulation de l’identitarisme ethnique dans ces espaces de conflit, sont révélatrices de cette transnationalisation des conflits ethniques où l’ethnicité est investie comme variable déstabilisatrice. Des études ont montré que l’intensification de la violence, liée aux conflits de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, en particulier dans les pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Nigeria, provient de la forte instrumentalisation des identités ethniques.

Le Sénégal n’est pas à l’abri d’une potentielle éclosion de ce terrible triangle interactif entre l’extrémisme violent (salafisme), la criminalité organisée (narcotrafiquants) et les conflits de type identitariste, autour des enjeux liés d’une part, aux ressources pétrolières et gazières nouvellement découvertes et d’autre part, à sa façade maritime propice à l’établissement d’un corridor pour le commerce illicite. Voilà les défis à prendre en compte, pour que l’ingénierie des clivages identitaires soit bannie dans le champ politique sénégalais.

Le défi n’est pas de mettre fin aux diversités ethniques, mais une mise à mort de l’ethnicité et de son instrumentalisation dans le débat politique.

Amadou Sarr Diop est Sociologue, directeur du laboratoire Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur l’Education et les Savoirs (GIRES) Université Cheikh Anta Diop

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