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L’absence d’unités de transformation, principal obstacle au développement de l’industrie de la noix de cajou

Introduit en Afrique de l’Ouest au début des années 60, pour lutter contre la désertification et l’érosion des sols, l’anacardier s’est rapidement transformé au fil des décennies en une véritable culture commerciale pour de nombreux pays de la région. Alors que la progression de la récolte africaine est soutenue par une demande mondiale croissante, le chemin reste encore long du côté de la transformation à plus forte valeur ajoutée, malgré les efforts fournis.

Dans une interview accordée à l’Agence Ecofin, Jim Fitzpatrick, expert mondial de la noix de cajou, revient sur les défis liés à la transformation de la matière première sur le continent africain.

Agence Ecofin : Malgré la progression de la récolte africaine, le continent reste encore un petit poucet sur le plan de la transformation, comparativement à des pays asiatiques comme l’Inde ou le Vietnam qui transforment en moyenne plus de 1,5 million de tonnes de noix par an. Comment expliquer un tel retard des pays africains ?

Jim Fitzpatrick : Des progrès ont été enregistrés, ces dernières années, avec la réduction de nombreuses barrières. D’abord, l’introduction de la transformation semi-mécanisée a facilité l’entrée sur le marché d’entreprises capables de lever des fonds et de gérer la transformation, même si le processus a été difficile et que de nombreuses erreurs ont été commises lors de la construction initiale et de l’achat d’équipements à l’étranger.
Plus récemment, la mise en œuvre de politiques incitatives, fiscales ou non, par les gouvernements de certains pays, notamment la Côte d’Ivoire, pour faciliter l’accès au marché pour les transformateurs a eu un réel impact. Cela ne veut cependant pas dire que les politiques dans le secteur de la noix de cajou ne présentent pas de défaut. Il reste un certain nombre de pays dont la politique est contre-productive en matière de transformation des noix de cajou.
« Il reste un certain nombre de pays dont la politique est contre-productive en matière de transformation des noix de cajou ».
Les principaux enjeux pour les nouveaux transformateurs restent la gestion des usines, les bonnes pratiques en matière de salubrité des produits, le fonds de roulement pour acheter la matière première pendant la période de récolte, les capacités d’entreposage tout au long de l’année et la commercialisation.

« Des progrès ont été enregistrés, ces dernières années, avec la réduction de nombreuses barrières ».

Les transformateurs se plaignent souvent du manque d’informations disponibles sur le marché, mais ne réalisent pas que la première étape essentielle est de faire leurs propres recherches pour découvrir les besoins et les exigences des acheteurs. Ils se concentrent souvent sur les mauvais acheteurs, simplement parce qu’ils ne sont pas entrés en contact avec suffisamment de clients potentiels et donc ne comprennent pas les avantages et les inconvénients de ces décisions clés. Il faut bien connaitre son client, s’engager tôt et établir des relations.
« Le manque de confiance des banques commerciales dans l’activité de transformation des noix de cajou est un obstacle redoutable auquel il convient de s’attaquer. »
De bonnes relations clients, la possibilité de faire des ventes à terme et la capacité de vendre tous les grades de qualité des noix de cajou brutes peuvent jouer sur la validation ou le rejet dans l’obtention des lignes de financement du commerce. Dans ce sens, le manque de confiance des banques commerciales dans l’activité de transformation des noix de cajou est un obstacle redoutable auquel il convient de s’attaquer.

AE : Certains analystes estiment que la faible demande en noix de cajou sur le continent limite la progression de la transformation et laisse parfois les acteurs locaux de ce segment à la merci des acheteurs en dehors du continent africain. Etes-vous du même avis ?

Jim Fitzpatrick : Il ne fait aucun doute qu’une forte demande locale est un important levier pour le développement de la transformation. Mais elle est loin d’être essentielle. Lorsqu’on prend le cas du Vietnam, qui représente le plus grand transformateur de noix de cajou au monde, il a une très faible demande intérieure. Toutefois, cela ne l’a pas empêché de transformer près de 2 millions de tonnes de noix de cajou en 2019.
« Lorsqu’on prend le cas du Vietnam, qui représente le plus grand transformateur de noix de cajou au monde, il a une très faible demande intérieure. Toutefois, cela ne l’a pas empêché de transformer près de 2 millions de tonnes de noix de cajou en 2019. »
Il faut souligner que le développement du marché intérieur et par conséquent de la consommation locale est un processus lent. Les noix de cajou sont un produit de luxe d’un prix élevé et ne font pas partie en Afrique des secteurs traditionnels du snacking ou de la confiserie, comme c’est le cas en Inde par exemple. Des mesures ont été prises pour stimuler la demande intérieure au Nigeria et en Côte d’Ivoire. Les pays d’Afrique du Nord sont également des consommateurs de noix de cajou et une croissance de la demande a été constatée au Maroc, en Tanzanie et en Égypte, même si cela part d’une base encore faible. Les pays d’Afrique de l’Ouest sont proches d’importants marchés de consommation en Europe et aux États-Unis, ce qui leur donne un certain avantage par rapport à leurs concurrents asiatiques. Cette proximité géographique peut contrebalancer l’absence de marché intérieur à moyen terme, à condition de prendre en compte d’autres paramètres essentiels comme l’innocuité alimentaire, la qualité des produits et un bon management des installations.

AE : Quels sont les moyens les plus efficaces qui peuvent être déployés par les pays africains pour booster la transformation de leur récolte et générer des recettes publiques supplémentaires tout en créant des emplois ?

Jim Fitzpatrick : Il est essentiel de créer un environnement économique propice à l’investissement dans la transformation agricole. Cela peut éventuellement être stimulé par des stratégies gouvernementales intermédiaires pour l’incubation de nouvelles entreprises. Une réglementation judicieuse, basée sur les besoins du secteur et solidement ancrée dans les réalités du marché, contribuerait grandement à la réalisation de cet objectif.

« Pour ce qui est des noix brutes, la libre circulation du produit va régulariser ce qui se passe déjà illégalement. »

La construction d’une relation de confiance dans la chaîne de valeur de la noix de cajou, en facilitant le dialogue et en établissant des liens avec les fournisseurs de formation et d’intrants, pourrait réduire l’infidélité aux contrats et permettrait aux entrepreneurs de prendre de meilleures décisions. Pour réussir le pari de la transformation, une chaîne de valeur intégrée, caractérisée par le dialogue et la transparence, pourrait être déterminante. Cela peut sonner comme un rêve, mais il est possible de l’atteindre en adoptant la meilleure approche et en faisant preuve de patience.

AE : Le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) laisse entrevoir de nombreuses opportunités commerciales dans divers secteurs de l’économie. Comment cette initiative peut-elle dynamiser l’industrie de la noix de cajou sur le continent ?

Jim Fitzpatrick : A mon avis, la ZLECAf ne pourra pas vraiment impacter le marché des amandes. Pour ce qui est des noix brutes, la libre circulation du produit va régulariser ce qui se passe déjà illégalement.
« A mon avis, la ZLECAf ne pourra pas vraiment impacter le marché des amandes. Pour ce qui est des noix brutes, la libre circulation du produit va régulariser ce qui se passe déjà illégalement. »
Ceci constitue une menace pour les pays qui ont une bonne production, mais un profil de risque médiocre pour les investisseurs, comme en Guinée-Bissau par exemple.

« Des mesures ont été prises pour stimuler la demande intérieure au Nigeria et en Côte d’Ivoire. »

Avec la libre circulation des biens et des personnes, les noix brutes pourront traverser des frontières terrestres pour être ensuite valorisées dans les États voisins.

AE : En 2018/2019, le gouvernement tanzanien a racheté la totalité de la récolte de noix des producteurs parce que les négociants n’ont pas respecté le prix minimum garanti. Cette mesure n’ayant pas été fructueuse, les autorités ont décidé de ne pas intervenir dans le processus, cette saison. Est-ce qu’une telle approche interventionniste des pouvoirs publics est de nature à éloigner les investissements étrangers dans l’industrie de la transformation sur le continent ?

Jim Fitzpatrick : Depuis l’introduction du système de vente aux enchères, il y a plus de dix ans, les négociants ne peuvent plus acheter directement la noix de cajou aux agriculteurs. La différence, l’année dernière, était que le gouvernement, frustré par les faibles offres aux enchères, a payé un prix qui n’était pas susceptible de permettre aux négociants d’atteindre le seuil de rentabilité, encore moins d’enregistrer des bénéfices. Il a ensuite vendu le produit à des prix réduits aux négociants. La dernière vente aux enchères s’est déroulée sans problème, avec plus de 200 000 tonnes vendues et les agriculteurs ont obtenu des prix raisonnables. En 2018/2019, le calendrier officiel de la vente aux enchères pour l’achat direct n’aurait pas pu être pire dans le contexte du marché.
Toutefois, nous devons nous rappeler que les agriculteurs ont obtenu de très bons prix cette année-là et qu’ils sont les membres les plus vulnérables de la chaîne de valeur.
« Toutefois, nous devons nous rappeler que les agriculteurs ont obtenu de très bons prix cette année-là et qu’ils sont les membres les plus vulnérables de la chaîne de valeur. »
Les leçons à tirer sont qu’une intervention directe pour soutenir un marché en baisse ne fonctionne pas et que le succès de l’intervention gouvernementale nécessite une bonne compréhension du marché. En fin de compte, le gouvernement a pris un coup et les agriculteurs se sont bien débrouillés – peut-être pas aussi mal que certains ont pu le croire à l’époque.

AE : Au vu des efforts du Cambodge pour augmenter sa production et exporter plus de noix brutes vers le Vietnam, certains observateurs redoutent que le pays asiatique devienne à terme un concurrent sérieux pour les pays d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire. Partagez-vous de telles prévisions ?

Jim Fitzpatrick : Je ne pense pas que le continent africain doive s’inquiéter du Cambodge. Et je ne connais aucun analyste qui partage ce point de vue. La question du Cambodge est surprenante, car elle semble soutenir une désinformation délibérée. Le Cambodge est déjà un fournisseur viable et prospère pour le Vietnam. Il l’est depuis de nombreuses années. Oui, la production cambodgienne est en hausse. Mais la réalité est que si on la compare à celle des pays africains, en matière de volume disponible, elle ne se situerait qu’au cinquième rang derrière la Côte d’Ivoire, le Nigeria, la Tanzanie et la Guinée-Bissau.

On parle maintenant du Cambodge parce qu’une désinformation irresponsable se répand à propos d’un million de tonnes de noix de cajou qui pourraient provenir du pays, dans un avenir proche. Cela n’est tout simplement pas vrai.
(Ecofin)

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