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ITV du Dr Pape Mamadou Touré, Docteur en régulation pétrolière internationale et expert maritime agréé : ‘’La stratégie des banques internationales s’oriente davantage vers l’équilibre des portefeuilles’’

Un lobbying intense est mené actuellement pour rompre avec les énergies fossiles, ce qui serait une très mauvaise nouvelle pour le Sénégal qui compte sur leur exploitation pour se mettre résolument et définitivement sur les rampes du développement. Dans cette contribution sous forme d’entretien, l’expert Pape Amadou Touré, Docteur en régulation pétrolière internationale et expert maritime agréé, analyse les conséquences d’un éventuel arrêt des financements d’énergie fossile et se prononce sur la réclame du Président Macky Sall de faire du gaz une énergie de transition, entre autres.

 L’annonce par certaines grandes puissances de l’arrêt des financements d’énergies fossiles peut-il avoir des conséquences sur les projets pétroliers et gaziers du Sénégal ? 

La question est complexe et globale. Elle s’apprécie à l’aune   de divers paramètres de rationalisation de l’organisation   industrielle, du constat de l’atteinte du pic de la production de combustibles fossiles dont celui du pétrole conventionnel en 2008, ne permettant plus de retrouver un approvisionnement pétrolier structurellement croissant pour les transports et usines dans le monde. A cela s’ajoute une explosion démographique mondiale portant en 2021, la population mondiale à 7,8 milliards d’êtres humains qu’il faut nourrir, loger, faire travailler et dont le niveau de vie des populations de l’hémisphère sud, est appelé à poursuivre sa croissance, tout en maintenant le standard de vie élevé des citoyens des pays du nord.

Le challenge est complexe et difficile à atteindre tant le pétrole est l’énergie fétiche de la société industrielle, devenue une véritable addiction, engendrant la peur du déclassement social en Occident, ce qui conduit à des révoltes sociales et à la montée du repli national identitaire.

Entre les  annonces « politiquement  correctes » des grand-messes des COP (Conference  of  the  Parties), conférences internationales sur le climat, réunissant chaque année, les pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) et les visions économiquement réalistes des stratégies  industrielles  et  financières mondiales, de la  division internationale  du travail, de la compétition mondiale, se distribuent des  intérêts  nationaux, internationaux, publics  et  privés, à la fois différenciés  et  combinés, à la  recherche  d’un  laborieux  compromis  économique.

L’économie mondiale est ainsi confrontée à une nouvelle réalité complexe de marketing financier liée au phénomène de « l’éco-blanchissement » du financement de l’activité industrielle, dénommé Finance Green Washing. On parle aussi de Finance verte, de Grening Finance, pour les projets d’énergie renouvelable, de conservation forestière pour le développement de puits naturel de captation de carbone ou de CO2 (forêts, océans, sols).

Il s’agit ainsi d’introduire une dimension environnementale et climatique, voire éthique dans les critères de classement de la performance globale des projets industriels à côté des critères traditionnels de performance financière que prennent en compte les organismes financeurs. L’objectif des grandes banques internationales est de faire la   démonstration opérationnelle de leurs engagements aux côtés de la communauté internationale pour assurer une lutte contre le changement climatique. Le  dernier  rapport  du GIEC[1]du 9 Aout 2021 faisant un constat alarmant, parle de conséquences “irréversibles pour des siècles ou des millénaires“.

L’objectif commun est de contribuer à une stabilisation de l’augmentation des températures à la surface du globe à moins de 2 degrés d’ici 2100, voire d’aller vers l’objectif de 1,5 degrés par rapport à l’ère préindustrielle, grâce à la réduction dans l’atmosphère, des stocks de dioxine de carbone (CO2) et de méthane.  Ceux-ci sont à l’origine du phénomène des gaz à effet de serre, source du réchauffement climatique, entrainant des évènements météorologiques extrêmes tels que des tempêtes, des incendies et des inondations de plus en plus dévastateurs.

 Ce volontarisme se traduit au plan politique par certaine annonce publique à propos de la fin des soutiens publics aux énergies fossiles. On peut citer à ce sujet :

–      La décision du 14/11/2019 de la Banque européenne d’investissement (BEI) de cesser dès 2022, le financement de nouveaux projets liés aux énergies fossiles dont le gaz.

–      Le rapport du 12 octobre 2020 du Gouvernement français au Parlement, sur la   programmation du désengagement du soutien public des énergies fossiles :

o   En 2022, pour les pétroles extra-lourds, sables et schistes bitumineux,

o  En 2025, pour les activités d’exploration et d’exploitation de nouveaux gisements pétroliers,

o  Dans quinze ans, pour les activités des nouveaux gisements gaziers.

–      L’annonce du 11/12/2020, du Premier Ministre Britannique, Boris Johnson de faire cesser « dès que possible », le soutien financier des projets à l’étranger d’énergies fossiles, émettrices de CO2.

–      Le lancement en 2016, en Suède du plan Energy Agreement, dont l’objectif est de faire de ce pays, la première économie « dé-carbonnée », « économie à zéro émission nette de carbone » à l’horizon 2045, qui s’appuierait sur les énergies   nucléaire, biomasse et   géothermie. Ce plan est dans la continuité de la politique énergétique suédoise des années 1970, ayant permis à ce pays d’être au premier rang international, au regard de son faible taux d’énergies fossiles dans la consommation d’énergie primaire (près de 27% en 2017), ce qui représente le taux le plus bas, parmi les pays membres de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie).

Si ces  initiatives publiques  sont  volontaristes, elles  restent  néanmoins marginales au plan mondial et n’engagent pas les autres grandes puissances industrielles de l’OCDE[2] (notamment les pays  à fort  potentiel miniers et/ou industrialisés que  sont  les Etats  Unis, l’Allemagne, le  Japon, le Canada, l’Australie) et encore  moins les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique  du Sud) qui n’entendent  pas  sacrifier  leur  développement  industriel.

Par ailleurs, l’impact financier de ces mesures publiques est limité car d’une part, elles visent principalement les subventions des hydrocarbures, plus précisément la fin des aides à l’exportation pour les projets d’exploration et de production d’énergies fossiles et d’autre part, le financement privé bancaire reste le mode principal d’allocation de ressources financières aux projets de développement et d’exploitation des activités extractives terrestre et maritime.

En effet  le  rapport « Banking  on climate  change » de 2020 établit  que  sur  la  période  2016 à 2019, la  banques  internationales ont  accordé  aux  énergies  fossiles, 2700 MILLIARDS[3]  de  Dollars.  Quant à l’agence Bloomberg[4]elle  indique  que depuis  l’Accord  de  Paris  sur  le  climat de  2015, près  de  4000 Milliards  de  Dollars  ont  été  investis  dans  le  secteur de l’industrie des  combustibles fossiles[5].

Cependant dans le même temps, les banques internationales, financent de plus en plus des Green Projects et cela fait écho à la nomination en 2018 de Michael Bloomberg par le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, pour lancer une initiative de mobilisation mondiale de capitaux privés, pour l’atteinte d’un objectif annuel de collecte de 100 Milliards de Dollars, afin de faire face aux défis du changement climatique.

On peut donc considérer que la stratégie des banques internationales s’oriente davantage vers l’équilibre des portefeuilles des  industries des énergies fossiles et des green portfolios, car il est peu réaliste de voir ces banques, cesser dans les pays de production extractive, les financements des industries du pétrole, du gaz et du charbon. On peut ainsi à titre d’illustration, citer l’objectif de la grande banque américaine J P Morgan de parvenir avant la fin de la décennie 2020, à une réduction de 35% de l’intensité carbone opérationnelle de son portefeuille de pétrole et de gaz, c’est-à-dire une simple réduction et non une suppression de l’empreinte environnementale des projets d’énergie fossile qu’elle finance. Cependant, peut-on indiquer que le développement aux Etats Unis des pétrole et gaz de schiste ont paradoxalement entrainé une réduction du volume des émissions CO2 du fait de la réduction de la part du charbon dans la production d’électricité américaine.

Cependant d’une façon générale, cette stratégie de poursuite du financement des industries extractives et utilisatrices de combustibles fossiles, a d’autant plus de mal à être inversée, que le charbon est aux Etats Unis, en Chine, en Allemagne, un combustible stratégique pour le secteur manufacturier. La neutralité carbone en 2050 découlant de l’équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption de celui de l’atmosphère par les puits de carbone, est ainsi loin d’être un objectif opérationnellement aligné dans tous les pays.

Au-delà de ce volontarisme financier sur les green projects, le problème fondamental découle de ce que l’énergie pétrolière ainsi que les innombrables applications de la pétrochimie sont   irremplaçables à l’échelle mondiale, pour les trente à cinquante   prochaines années. L’énergie fossile est en effet une énergie fondamentale pour les transports, et les secteurs miniers, manufacturiers. Les technologies  des  énergies  renouvelables  liées aux  éoliennes, aux installations photovoltaïques, ne  peuvent pas encore remplacer  les centrales  thermiques  à combustibles fossiles,  en raison de  leurs  faiblesses physiques en tant que système  de  régulation de l’énergie renouvelable,  qui par sa nature, est une  énergie diffuse, nécessitant  une  infrastructure  de  stockage, couteuse  en matériaux miniers, indispensables pour créer un système  énergétique  complet et  pilotable, c’est-à-dire un système  assurant  l’instantanéité  de  la disponibilité  électrique, indépendamment de la  vitesse  des  vents  et  de  l’ensoleillement.

Quant à l’accès universel à l’énergie nucléaire, cette stratégie énergétique n’est tout simplement pas envisageable.  Cette énergie issue de la fission nucléaire reste limitée à quelques grands pays industriels, quand bien même que cette source d’énergie ne contribue pas à l’émission de CO2.  Les réticences et appréhensions des opinions publiques nationales du fait de leur perception catastrophiste du risque atomique, en tant que risque systémique, entravent et limitent l’utilisation massive du combustible nucléaire. Celui-ci nécessite un financement à forte intensité capitalistique, des technologies hautement sophistiquées ainsi que des normes de sécurité drastiques et draconienne, que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) aurait du mal à   surveiller et à faire respecter partout dans le monde, nonobstant le principe universel de transfert de technologies nucléaires à des fins pacifiques, dans le cadre de la production d’électricité. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la stratégie des multinationales dans le domaine de l’offshore pétrolier mondial et dans la conduite des programmes pétroliers et gaziers exécutés en général Afrique, et en particulier au Sénégal. Le financement desdits projet est déjà mobilisé par les opérateurs pétroliers   et les contrats d’ingénierie pétrolière sont en cours d’exécution.  Nous pouvons en citer quelques-uns :

–      Les investissements actuels de 4, 8 milliards de Dollars de la phase 1 du projet sénégalo-mauritanien de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), vont donner lieu à une production annuelle de 2, 5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) dont la phase de commercialisation est projetée en 2023.

–      En avril 2021, le taux de réalisation du complexe gazier d’après le communiqué officiel des parties était de 58%.  La projection en décembre 2021 de réalisation de travaux de la phase 1 est fixée à 80%.

–      Les phases 2 et 3 permettront d’atteindre le cap d’une production annuelle de 10 millions de tonnes de GNL.

       – Les investissements de cette phase 1, concernent 4 des 12 puits d’extraction de gaz installés à   2700 m sous le niveau de la mer. Ils se rapportent aux contrats d’ingénierie, d’approvisionnement, de construction et d’installation (EPCI-Engineering, Procurement, Construction and Installation) et concernent notamment les installations suivantes :

–      21 caissons maritimes géants d’une longueur de 1200 mètres, sous forme d’un brise-lames en haute mer devant protéger l’usine de liquéfaction, des phénomènes de houles pour une commande de 350 millions US$ au consortium Eiffage – Saipen ;

–      Une ingénierie sous-marine d’extraction de gaz pour un contrat d’équipement passé au consortium McDermott – Baker Hughes (filiale de Général Electric) pour 750 millions de dollars ;

–      Une unité flottante de production, stockage et déchargement de pétrole brut (navire FPSO : Floating Production Storage Offloading Unit) pour un contrat d’environ 1 milliard de dollars passé avec TechnipFMC ;

–      Une usine flottante de liquéfaction du gaz (une plateforme maritime de gaz naturel désignée « navire FLNG : Floating Liquefied Natural Gas Unit, FLNG » d’un coût de 1,3 milliard de dollars, exploitée dans le cadre d’un contrat de location de 20 ans auprès de Golar LNG, opérant à travers sa filiale à 100%, GIMI Corporation

Les aléas des programmes de production pétrolier, ne donnent cependant pas une parfaite certitude du respect des délais d’ingénierie car les retards de livraison et de démarrage de production ont souvent jalonné l’histoire des grands projets industriels au plan international. La saga[6]  du réacteur  nucléaire à eau pressurisée  de  troisième  génération,  l’EPR  de  Flamanville  en France, ( Réacteur Européen, en Eau Pressurisée) en est une  bonne  illustration.

Ainsi pour le Sénégal, un ajustement technique des plannings de production usine et des essais des mises en eau profonde de l’infrastructure sous-marine, ne serait donc pas un fait inhabituel dans les processus industriels de pointe.

– Quant à l’ingénierie contractuelle et opérationnelle du développement du champ de Sangomar (ex champ de Yaakaar-Téranga), à 100 kms, au large de Dakar, elle est en plein déploiement depuis juin 2021 dans le cadre du programme de développement de forage de 23 puits et d’une mise en production commerciale, programmée en 2023.

En conclusion, les plannings contractuels et opératoires des projets lancés sont sous le contrôle vigilant à la fois des autorités publiques et compagnies pétrolières nationales ainsi que des compagnies pétrolières multinationales. Les différentes étapes des processus industriels et logistiques ne manqueront certainement pas d’être auditées par les parties prenantes.

Ces projets lancés ne sont donc pas affectés par les mesures publiques   prise par certaines puissances européennes et leur institutions communautaire, de supprimer le soutien public au financement de projets industriels à combustibles fossiles.

Si les projets pétroliers et gaziers du Sénégal sont en bonne voie, la situation économique de la centrale électrique au charbon de Seydou de 125 MW, dont le propriétaire est la société Nykomb Synergetics Development AB (Suède), dirigée par l’homme d’affaire Norland SUZOR est plus délicate.  En effet cette centrale inaugurée tout juste en 2019, après plusieurs péripéties liées aux critiques environnementales de collectifs citoyens, est placée en redressement judiciaire. Pourtant son modèle de financement du capital d’un montant de 196 millions d’Euros avait été bien réussi avec le tour de table suivant :

–   Banque Africaine de Développement (BAD), arrangeur (« Mandated lead Arranger ») : prêt de 55 millions d’Euros, approuvé en 2010, pour une maturité de 14 ans ;

– autres Co-financiers : BOAD (Banque Ouest Africaine de Developement), CBAO (Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale), FMO (La Société financière de développement néerlandaise) et ICF ;

Il est cependant heureux de voir de meilleures perspectives se dessiner car il a été annoncé par le Ministre du pétrole, sa conversion au gaz naturel. Cette éclaircie, est la preuve de la capacité d’adaptation des processus industriels privés aux exigences économiques et environnementale du Sénégal. Cette unité vient donc utilement renforcer le parc des producteurs privés d’électricité (IPP : Independant Power Producers) opérant dans le cadre de la formule « Build, Own, Operate » (BOO), composés principalement des sociétés suivantes :

– IPP de la firme britannique Lekela Power exploitant le parc éolien (180 m de hauteur) des éoliennes de Taïba Ndiaye d’une capacité de 158,7 MW assurée par 46 turbines ;

– les autres IPP libanais (Matelec), américain (ContourGlobal)

La preuve par les faits est donc établie. Elle ne fait que conforter et accompagner le déploiement du Plan Sénégal Emergent dont la composante énergétique est l’épine dorsale.

Quid des découvertes à venir ?

La suppression du financement par la Banque européenne d’investissement (BEI) 2022 du financement de nouveaux projets liés aux énergies fossiles dont le gaz, de même que les décisions françaises et anglaises de subvention de la prospection offshore, peuvent avoir une incidence sur la facilité traditionnelle des sociétés junior pétrolières européennes de mobilisation des capitaux publics. Ceci peut être une contrainte passagère ou une variable d’ajustement financier provisoire. Cependant il faut toujours avoir présent à l’esprit que les banques privées ainsi que les apports des actionnaires des juniors comme des multinationales constituent la base du financement des opérations pétrolières offshore. Les compagnies américaines de même que les multinationales ont des budgets d’investissements offshore qu’elles financent sans difficultés particulière d’accès aux liquidités des marchés financiers internationaux   représentés par les grandes banques internationales dont Goldman Sachs est un leader mondial de la banque d’investissement.

Le Sénégal est à  présent  reconnu sur  la  carte  mondiale  des  activités offshore et  suscite  un certain intérêt d’autant  que  Pétrosen E&P(Exploration & Production) dispose  d’une  importante banque  des données géophysiques[7]   constituées  à  partir  des campagnes de sismique marine, pendant près  de  40 ans. C’est ainsi que l’appel d’offre international (licensing round) de cette compagnie pétrolière locale, lancé en Novembre 2019   mais infructueux du fait de la baisse des cours à 25 US$ a été réactualisé en Avril 2021, pour 12 nouveaux blocs offshore. Cet appel d’offre est toujours ouvert en raison de la situation économique liée à la pandémie Covid 19. Néanmoins la reprise des cours pétroliers permet d’espérer une reprise de l’exploitation des portefeuilles d’exploration offshore par les compagnies pétrolières internationales. La question est moins un problème de mobilisation de trésorerie qu’une affaire d’analyse de la tendance à moyen terme, de rentabilité des opérations offshore. Ces dernières, en raison du boom de l’exploitation des gaz et pétrole de schiste issue du processus de fracturation des roches- mères avaient été quelque peu pénalisées par une pression baissière de cours pétroliers du fait de la relative abondance de l’offre globale de combustibles fossiles, les Etats Unis, étant redevenu un exportateur de produits pétroliers non conventionnels.

Quelles sont les sources de financement alternatives ?

Nous  avons  ci-dessous écarté  le  risque  de tarissement  des  sources  de  financement  des  projets  de  combustibles  fossiles, car  outre  le système  privé de  financement  de projet  de combustibles fossiles dont de  grandes découvertes de pétrole  et  gaz  offshore et onshore se  font  Afrique, il est  à souligner  la  participation dynamique  du système public  financier international comme  la  Banque  Africaine  de  Développement, la  Banque  Mondiale  via  la Société  Financière  Internationale dans  le  financement  d’infrastructures notamment  énergétiques.

Si par  extraordinaire, pour  toute  raison particulière, les  contrats de recherches  et de partage de  production avec  les  pétroliers  traditionnels  connaissaient des  difficultés d’attractivité en raison de  contraintes d’orientations stratégiques liées à  la  nature  fossile de  leurs combustibles, les  Etats  africains  pourraient  néanmoins maintenir le cap du  développement  de leur  secteur  pétrolier  et gazier  en faisant leur  propre  montage  de  financement  à travers leurs  compagnies nationales pétrolières qui pourraient solliciter  d’une part de grands cabinets  privés mondiaux d’ingénierie financière, collaborant avec  les  grandes  banques  internationales d’affaires et en commettant de grands opérateurs techniques pour l’ingénierie industrielle et  la gestion de production. Ce serait des formes aménagées de PPP (Partenariats Publics Privés) assurant un partage plus équilibrés des risques financiers et juridiques.

Il s’agit pour l’instant d’une simple hypothèse de prospective car les green projects liés au développement d’une énergie renouvelable (éolien, solaire, hydroélectricité), qui sont des constituants intéressants de la stratégie de mix énergétique, ne remettent pas pour autant en cause, la supériorité concurrentielle du pétrole et du gaz comme source énergétique pilotables. Ces green project sont promus par des mécanismes financiers spéciaux faiblement utilisés par de nombreux pays africains au titre de la finance verte.

Leur financement en Afrique est toujours assuré par les mécanismes financiers traditionnels.

Il faut cependant reconnaitre l’important effort de diversification énergétique au Sénégal d’un mixte énergétique. La part de l’énergie renouvelable au niveau industriel est évaluée à   30 % de la capacité de production de SENELEC. Nous pouvons citer aussi le rôle accru de la BAD assurant la gestion du Fond de Gestion de l’énergie durable en Afrique (SEFA), créé en 2011 et supporté par les contributions des gouvernements du Danemark, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Italie, de la Norvège, de l’Espagne, de la Suède, du Nordica Development Fund, et de l’Allemagne. Ce fond propose des alternatives aux combustibles fossiles.

La transition énergétique semble être plus une priorité des pays riches et principaux pollueurs alors que l’Afrique est plus préoccupée par la question de l’accès à l’électricité. Comment concilier ces deux approches ?

Le nœud gordien réside précisément dans la mise en œuvre d’une stratégie équilibrée de mixte énergétique entre énergies renouvelables et   combustibles fossiles. La transition énergétique est bien une stratégie mondiale qui constate trois choses :

–      Les sources fossiles de combustibles sont en déclin d’abord parce qu’on a atteint un pic de production qui crée une inadéquation stratégique entre le développement exponentiel de la demande de l’offre et le développement arithmétique de l’offre de production. On découvre moins vite et plus difficilement de nouveaux gisements pétroliers de classe mondiale. Le monde occidental vit depuis des décennies sur un crédit énergétique de moins en moins tenable. L’éminent spécialiste français  des questions  énergétiques, le  Pr Jean Marc Jancovici  parle  de  décrue  subie.[8]  Il considère  qu’au vu de  l’indispensable et immanquable   sortie prochaine de  la  civilisation du pétrole, les pays  occidentaux  doivent se préparer à une  lourde cure de leur  addiction au pétrole, à un pétrole  peu cher et  se  préparer  à une  diminution annuelle  d’au moins  4% de  leur  consommation annuelle  de  pétrole en raison de la  réduction des capacités  actuelles  de  production.

–      L’énergie renouvelable    n’a pas encore le potentiel quantitatif de remplacement de l’énergie fossile qui technologiquement a supplanté depuis des siècles, les moulins à vents, la marine à voile, énergie connue depuis des millénaires ;

–      Le réchauffement climatique lié à l’accumulation des dioxines de carbone et méthane dans l’atmosphère crée un risque systémique d’effondrement massif des espèces et de   la vie sur terre.

Il faut donc mieux répartir les charges des sacrifices à partager. La transition énergétique implique pour l’occident une montée en puissance graduelle de nouvelles sources énergétiques qui vont remplacer à terme le pétrole dans une transition d’une trentaine à cinquantaine d’années. Cela donne un temps de développement et d’exploitation optimale des ressources pétrolières et gazières du continent. Dans le même temps des investissements massifs dans     solaire et l’éolien doivent être développés à la faveur de la rente pétrolière qui au-delà de son usage pour le développement des infrastructures, du pouvoir d’achat et du niveau de vie des Sénégal, va probablement accompagner le développement audacieux de nouvelles stratégies énergétiques. Le développement de l’atome au Sénégal aurait-il une chance ? Un pari hautement ambitieux mais problématique, assurément !    Une question à se poser en conclusion, servira-t-il encore à quelque chose d’avoir en abondance du pétrole quand plus personne n’en voudrait ? Entre-temps le gaz est bien une énergie transition.

Le gaz peut-il être considéré comme une énergie de transition comme le réclame le Président Macky SALL ?    

Le gaz est certes un combustible fossile et il participe activement aux émissions de CO2, nul ne le discute.  Cependant entre avoir des centrales électriques fonctionnant au fioul ou au charbon et avoir des centrales fonctionnant au GNL (gaz naturel liquéfié), le choix industriel est vite opéré. C’est du reste ce qui explique que la nouvelle centrale de charbon de Sendou, sera prochainement reconvertie au GNL. Notons qu’une centrale à gaz émet entre 350 et 400 grammes de CO2 par kWh, là où les centrales à charbon les plus modernes en émettent environs 800. C’est au regard de cette analyse du bilan carbone, et de la prochaine disponibilité d’une nouvelle source énergétique de proximité, qu’il faut se préparer à de lourds investissements de modernisation des centrales thermiques de SENELEC de sorte à les doter en équipements fonctionnant à la fois au fuel et au gaz naturel. Ceci bien sûr ne peut pas se faire du jour au lendemain et une transition est inévitable. On note toutefois que  la  part  du fioul dans les centrales  thermiques  de SENELEC est  passée de 83 % en 2017 à 67%  en 2020.[9]

On a cette même approche pragmatique dans les stratégies internationales de transition énergétique.  On s’interroge de façon concrète : quelle est la source fossile ayant la plus grande efficacité énergétique et le plus faible taux d’émission de carbone.  On procède ensuite par élimination, d’abord le charbon ensuite le fioul. Ceci est cependant une analyse théorique qui n’intègre pas le degré de dotation en ressources naturelles car on voit bien que le charbon est fortement utilisé aux Etats Unis, en Allemagne, en Chine, en Afrique du Sud, pour ne citer que ces pays. Au plan mondial, la reconversion des usines au gaz attenue   la problématique des taux d’émission de carbone par rapport fioul traditionnel et cela ouvre une perspective stratégique pour des pays riches en ressources gazières. D’ailleurs c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la vive compétition entre le pétrole et gaz de schiste américain et le gaz   russe européen dont la point de crispation s’établit sur l’installation du gazoduc Nord Stream 2, indispensable à la stratégie de transition énergétique de l’Allemagne.  Ce gazoduc russe met en branle des conflits géopolitique et économiques dont les principaux acteurs sont la Russie, l’Allemagne, les Etats Unis, l’Ukraine. Long de 1230 km, d’une capacité annuelle de 55 milliards de m3 et passant sous la mer Baltique, ce gazoduc va doubler les capacités d’exportation de la Russie vers l’Allemagne en contournant l’Ukraine. Ce projet de 10 milliards d’Euro a été financé de façon paritaire par le russe Gazprom   et un consortium de pétroliers européens (OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper et Shell).

 C’est un exemple intéressant de partenariat industriel et financier global pouvant être étudié comme case study par les milieux énergétiques africains. En conséquence, l’appel du Président Macky SALL pour faire du gaz une source énergétique de transition est intéressant en ce qu’il donne un avantage compétitif au Sénégal dans le cadre de ses nouvelles découvertes gazières mais également il permet d’engager une décrue progressive de la part du pétrole dans le panier des combustibles fossiles des centrales électriques, tout en permettant une réduction des CO2. A ce titre, il faudrait également   des négociations pour faire bénéficier à l’activité gazière, des lignes de financement de la Green Finance quand bien qu’il s’agirait d’un combustible fossile. On serait dans une stratégie de « verdisation » du gaz dont le Sénégal a tout à gagner à l’instar du Brésil qui par son immense production d’éthanol peut en faire une stratégie gagnante de transition énergétique. On parle d’agro-carburant. Certains économistes le contestent car il est au détriment de l’agriculture vivrière. Le débat reste ouvert….

Ce qui est sûr, c’est qu’une fenêtre d’opportunité stratégique et historique est ouverte pour le gaz qui est un compromis acceptable et il a une bonne image. Au Sénégal d’en profiter !

(ENQUETE)

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