L’un des dégâts collatéraux des manifestations suite au verdict du procès du leader de Pastef, Ousmane Sonko, est l’inflation de certaines denrées au niveau du marché. Dans ces lieux de commerce, le prix des légumes a doublé. Un véritable casse-tête pour les ménagères. Reportage de L’Obs
Sa démarche lente et fébrile, sa mine fatiguée et abattue, en disent long sur son état de santé. Le pas lent presque traînant, Rama arpente la ruelle du marché Castor. Emmitouflée dans une robe bleue, le foulard négligemment posé sur la tête, elle se dirige vers l’étal de son vendeur habituel comme chaque lundi pour effectuer ses courses de la semaine.
Une routine hebdomadaire chez Rama. Mais aujourd’hui, son humeur est au plus bas. Devant elle, l’étal posé à même le sol, seuls quelques légumes pas frais sont visibles. Des carottes, des piments, des maniocs, des aubergines, choux sont négligemment rangés. Pourtant, le prix de ces denrées dépasse l’entendement. Une situation qui la met hors d’elle.
«Le kg de carotte est à 2000francs, de même que celui du manioc, le kg des choux est à 750kg».Furieuse, Rama lâche : « Je savais que les prix allaient connaître une hausse. Mais, pas autant. Les commerçants sénégalais n’ont jamais eu pitié des ménagères. Ils profitent tout le temps de la situation et c’est malheureux.»
Dépitée, la dame de 30ans retourne sur ses pas. D’un geste rapide, elle jette un regard autour d’elle, effectue des va-et-vient entre les étals qui épousent les ruelles étroites du lieu de commerce, histoire de bénéficier d’un rabais de la part des autres vendeurs. Mais, comme s’ils s’étaient passé le mot, ils s’alignent aux mêmes prix. 30 minutes après, elle finit par se résigner.
«Aujourd’hui, je n’ai pas le choix. Je suis obligée d’acheter les légumes à leurs prix, sinon, je risque de rentrer bredouille, car dans tous les marchés, ce sont les mêmes prix. C’est dommage», confesse, le débit haut, la mèrede famille. Rama abdique. Elle rentrera chez elle, le sachet rempli de condiments achetés à des prix exorbitants.
Cette situation déplorable, les ménagères la vivent depuis les manifestations survenues mercredi dernier, jour du verdict du procès opposant Ousmane Sonko à la masseuse Adji Sarr. Des heurts caractérisés par de vives tensions etdes violences inouïes. Depuis, ces événements malheureux, le prix de certaines denrées a connu une hausse exorbitante.
«Le kg de carotte est passé de 500 à 2000 FCfa, tout comme celui du manioc»
Au marché Tilène de la populeuse commune de Médina, tout a presque doublé. Dans ce lieu de commerce bondé, point de convergence de plusieurs personnes, les usagers affluent de partout. Le lieu est noir de monde. Ici, vendeurs comme clients déambulent. Dans les boutiques, comme sur les étals posés à même le bitume, les denrées de première nécessité sont disposées. Poisson, viande, épices… On y retrouve du tout sauf des légumes. Ils manquent à l’appel. Tout comme le marché Castor, Tilène n’est pas très bien approvisionné. Dans ce lieu de commerce, les prix des denrées connaissent aussi une hausse.
Une situation qui irrite au plus point Aïssatou. D’une beauté discrète, dissimulée dans sa tunique verte avec de grosses lunettes noires sur le visage, cette mère de famille explique son angoisse.
« Ils ont décidé d’augmenter les prix des légumes sans préavis. Ils profitenttoujoursde la situation. C’est déplorable»,indique la dame de 31 ans. Furax, elle poursuit: « Le kg de carotte coûtait mercredi 500 francs Cfa, aujourd’hui, il est à 2000 francs Cfa, tout comme celui du manioc. Le Kg de Choux est passé de 450 francs CFA à 800 francs. Le kg d’oignons de 450 francs CFA à 600 francs CFA. C’est vraiment trop cher».
Trouvé derrière son comptoir, Ismaila est vendeur au marché Tilène depuis plus de cinq ans. Spécialisé dans la commercialisation de légumes et d’oignons, ce marchand a les yeux rivés sur son téléphone. Autour de lui, des sacs remplis d’oignons et de pommes de terre sont visibles. Habillé d’un habit traditionnel blanc, il tente de donner une explication à cette spéculation. « Les légumes ne sont pas récoltés dans la capitale sénégalaise, mais plutôt dans la zone des Niayes. Ainsi, les légumes passent par la route pour venir à Dakar. Avec les manifestations, aucun véhicule ne s’est déplacé. Donc, les légumes se sont raréfiés », indique le vendeur.
D’après lui, cette hausse est tout à fait justifiée. « A Dakar, il n’y a pas de légumes. Les voitures ne viennent plus. Donc, il est tout à fait normal que les vendeurs qui en ce moment écoulent leurs réserves augmentent les prix», confie-t-il.
La voix difficilement perceptible à cause de la musique distillée via son poste radio, il embraie : « Cependant, la situation peut revenir très vite à la normale puisqu’avec cette accalmie notée, les voitures sont en route pour approvisionner les marchés locaux. Donc, Patience»
«Avec la fermeture des boutiques Auchan, les commerçants ne se gênent pas pour augmenter les prix»
Du côté du marché de la «Gueule Tapée », la situation est presque la même. C’est un endroit en construction et s’étend sur plusieurs rues. Tout comme Tilène, ce marché est l’un des plus fréquentés de la commune. Il constitue un espace cosmopolite où plusieurs vendeurs et clients se donnent rendez-vous quotidiennement. Du Lundi au Dimanche, de 8 heures à 20 heures.
En cette matinée du lundi, les ruelles étroites et sablonneuses du lieu de commerce accueillent une grande affluence. Le marché est tellement étroit que les passants sont obligés de jouer des coudes pour se frayer un chemin tout le long de la chaussée. Les vendeurs quant à eux exposent leur trop plein de marchandise sur la chaussée. Ceci rendant la circulation dans ce lieu de commerce particulièrement compliquée.
Tout comme les autres lieux de commerces visités, au marché « GueuleTapée », certains légumes comme la carotte etle manioc manquent à l’appel. Leurs prix connaissent une hausse exorbitante. Sur les étals, les denrées trônent fièrement. Ici, les explications vont bon train.
Pour Adama, une cliente du marché, les vendeurs dictent la loi du plus fort. «Avec la fermeture des boutiques Auchan, les commerçants savent qu’ils sont notre dernier recours. Ils ne se gênent pas pour augmenter le prix des denrées » indique-t-elle.
Dans ce lieu de commerce, pas d’agent de régulation, donc les spéculations vont train. Si ça continue de la sorte, enchaîne la dame, « on risque de ne pas pouvoir assurer les trois repas de la journée. Personne n’en aura les moyens», lâche la dame de 40 ans avant de se fondre dans la foule cosmopolite du marché «Gueule tapée».
Fatima Gueye, vendeusede légumes essaye de se dédouaner. Drapée d’une robe blanche, avec un foulard posé sur la tête, elle explique : «Il faut qu’on arrête de tout mettre sur le dos des vendeurs. Les voitures qui transportent les légumes ne viennent vers nous. Nous parvenons à nous en procurer très difficilement. Donc, je pense que ces efforts méritent d’être récompensés»
Quotidien L’Obs