Malgré une hausse forte hausse des échanges, souvent conjoncturelle, l’Inde ne semble pas avoir de stratégie globale de commerce et d’investissement, sur l’ensemble du continent. À partir de l’Afrique de l’Est et de Maurice, le pays avance ses pions.
Soutien historique des luttes anticoloniales africaines et membre actif du Mouvement des non-alignés, l’Inde s’attelle à nouveau, depuis le début des années 2000, à développer ses relations avec le continent. New Dehli y déploie son influence diplomatique, économique, et de soft power pour sécuriser ses accès aux ressources minières et énergétiques, tout en développant des débouchés pour ses industries, sur fond de rivalité géopolitique avec la Chine. Tel est le constat d’une brève mais complète étude menée par GSA (Global Sovereign Advisory) intitulée « L’Inde en Afrique : des échanges en hausse, mais un partenariat qui reste à écrire ».
En effet, à première vue, les résultats sont au rendez-vous : les échanges entre l’Afrique et l’Inde ont pour la première fois dépassé 100 milliards de dollars en 2022, et l’Inde est devenu le premier fournisseur du continent pour certains produits, tels que les médicaments ou les deux-roues. Toutefois, un examen plus approfondi vient nuancer le constat : la hausse drastique des échanges est en très large part due à l’augmentation conjoncturelle des prix du pétrole brut, des carburants, ou du riz, liés notamment à la guerre en Ukraine.
Le pétrole brut reste, de loin, le premier poste d’importations indiennes en provenance du continent africain. Sans retrouver les sommets de 2010-2014, lorsque le baril s’échangeait à plus de 100 dollars, les achats indiens de brut africains se sont établis à 17,6 milliards $, près de deux fois plus qu’en 2020. Les volumes sont pourtant en baisse : 23,8 millions de tonnes, contre 26,1 millions de tonnes en 2020 et 30,7 millions de tonnes en 2021. « Cette chute devrait s’accentuer en 2023 », considère GSA : n’ayant pas adopté les sanctions occidentales à l’encontre de Moscou, l’Inde importe des volumes records de brut russe, qui a en grande partie remplacé le pétrole d’origine africaine. Lequel ne représentait plus, en février 2023, que 3,6% des importations indiennes de brut.
Dans le sens inverse, la hausse des exportations de produits raffinés d’Inde vers l’Afrique a été encore plus soutenue, passant de 4 milliards $ en 2020 à 17,4 milliards en 2022. Là aussi, la croissance est principalement conjoncturelle, liée aux échanges énergétiques : les ventes de produits raffinés – essence et diesel essentiellement, ont quadruplé par rapport à 2020, et plus que doublé par rapport à 2021.
L’Inde sécurise son marché du riz
Cette évolution traduit des prix en hausse mais aussi des volumes en forte augmentation : l’Inde est devenue un très important raffineur du pétrole russe, exporté vers le monde entier sous forme de produits raffinés. Cette tendance semble devoir s’accentuer : entre avril 2022 et mars 2023 – l’année fiscale indienne –, les exportations de produits raffinés vers l’Afrique ont atteint 19 milliards $, contre 8,62 milliards $ sur l’exercice précédent.
Des acheteurs parfois anecdotiques sont devenus des importateurs majeurs de produits raffinés indiens, comme l’Egypte, le Nigeria, la Tanzanie, etc.
De même, les investissements indiens en direction du continent sont restés très majoritairement fléchés vers une poignée de pays, en particulier le Mozambique, et limités à l’extraction de pétrole, de charbon, et de minerais.
L’augmentation du prix des céréales à partir de 2021 a aussi fortement contribué à la croissance des exports indiens vers l’Afrique. Ce phénomène est, là aussi, largement conjoncturel, après l’appréciation des cours du riz à partir de 2021. Cette fois, la tendance risque de s’inverser : la décision de New Dehli mi-juillet d’interdire les exportations de riz (hors basmati) pour sécuriser son marché intérieur et limiter l’inflation alimentaire, pèsera durablement sur ses partenaires africains, en particulier le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Togo.
Demeure un solide « bastion » : avec 3,7 milliards $ d’exportations vers l’Afrique en 2022, les laboratoires pharmaceutiques indiens sont les premiers fournisseurs du continent, loin devant la France, la Belgique et l’Allemagne. L’accent mis par l’industrie pharmaceutique indienne sur la production de médicaments génériques performants et abordables lui a permis de développer rapidement ses ventes en Afrique. Et ses principaux acteurs (Sun Pharma, Dr Reddy’s, Cipla, Torrent Pharmaceuticals, Zydus, Alkem…) ont développé de très denses réseaux de distribution, et parfois de fabrication locale, sur le continent, souvent à partir de l’Afrique du Sud.
Le laboratoire Bharat Biotech devrait participer à la fabrication et à la distribution en Afrique du premier vaccin contre le paludisme, le RTS,S/AS01, développé par GlaxoSmithKline et dont 18 millions de doses seront inoculées dans neuf pays d’Afrique de l’Ouest et centrale dans les deux prochaines années.
Maurice, une porte d’entrée ou une porte dérobée ?
Plus discrètement, l’Inde s’est aussi érigé, depuis 2021, au rang de second fournisseur de véhicules de l’Afrique, devançant le Japon, l’Allemagne, les Etats-Unis et la France, mais restant encore loin derrière la Chine.
En matière d’investissements, Mines et énergies sont au cœur de la stratégie indienne
En excluant Maurice, les investissements indiens se concentrent principalement vers l’Afrique de l’Est et, de manière plus marginale, vers l’Afrique du Nord.
Ces engagements ont été très largement portés par des groupes privés indiens, sans qu’une véritable stratégie à l’échelle du continent ne se dessine. Quant aux dizaines de milliards $ d’investissements dirigés vers Maurice, « porte d’entrée » du continent, ils ont en réalité longtemps masqué des schémas d’optimisation fiscale pour des capitaux indiens.
Malgré des efforts substantiels, l’Inde reste par ailleurs très loin derrière la Chine en matière d’aides financières accordées aux pays africains, avec environ 11 milliards $ prêtés via l’India EximBank, contre plus de 125 milliards $ déboursés par la Chine. L’étude détaille le rôle actif de la banque indienne de commerce, y compris dans le secteur de la défense.
Pour l’heure, considère GSA, les efforts de l’Inde pour devenir un acteur central des restructurations de dette n’ont pas encore porté leurs fruits. « Sur le plan de la coopération sécuritaire, enfin, tout ou presque reste à construire au-delà de la côte est africaine, où l’Inde est déjà un partenaire majeur de certains Etats, en particulier Maurice. »
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