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Fiscalité internationale : L’OCDE salue un accord historique rejeté par plusieurs pays, dont le Nigéria et le Kenya

 L’accord fiscal global de l’OCDE continue de progresser vers la mise en œuvre d’un taux d’imposition minimum des sociétés à 15%. Une nouvelle étape a été franchie avec 136 pays signataires, mais il reste des bien obstacles à surmonter avant sa finalisation, annoncée pour 2023.

L’OCDE, une entité dont les membres décideurs sont les pays les plus puissants de la planète, a salué la finalisation le 8 octobre 2021 de l’accord fiscal international obtenu sous son leadership, avec la participation de 136 pays. « La réforme majeure du système fiscal international finalisée aujourd’hui à l’OCDE permettra de garantir l’application d’un taux d’imposition minimum de 15 % aux entreprises multinationales (EMN) à compter de 2023 […] » a fait savoir l’institution dans un communiqué.

Cet enthousiasme de l’OCDE masque pourtant certaines réalités, et un contexte de contradiction dans la finalisation de son processus. Déjà en Afrique, des économies majeures comme le Nigéria et le Kenya ont rejeté l’accord. Le Kenya, première économie d’Afrique de l’Est, n’est pas d’accord avec une clause de l’accord qui lui imposerait de supprimer ses impôts déjà en vigueur sur les services digitaux, d’autant qu’avec un impôt minimum des multinationales à 15%, il n’en tirerait pas profit, car l’impôt sur les sociétés y est à 30% du bénéfice avant impôts.

Au Nigéria, première économie africaine par le PIB, les autorités estiment que les bénéfices de l’impôt minimum proposé, présenté par l’OCDE comme de la justice fiscale, seront bien inférieurs à ce qui est prévu pour financer le déficit budgétaire, ce qui se traduira par l’incapacité du pays à lutter contre la pauvreté et le chômage.

Au-delà de ce rejet, la mise en œuvre de cet accord dont le début est prévu pour 2023, n’est pas gagnée. Un des premiers défis de l’accord sera son adoption finale, notamment par des pays comme les Etats-Unis. L’administration Biden va devoir convaincre un Congrès qui, en ces temps d’accalmie retrouvée après les moments difficiles de la crise de Covid 19, est retourné à ses batailles politiciennes. D’autant plus que cet accord intervient alors que le Consortium International des Journalistes d’Investigation, a sorti de nouvelles révélations desquelles il transparait qu’il existe dans le monde, une chaîne de valeur qui permet à des hommes politiques (dont 43 en Afrique), de dissimuler leurs avoirs dans des juridictions opaques, leur permettant ainsi d’échapper à l’impôt et au regard des électeurs.

L’accord de l’OCDE exclu aussi des domaines comme celui des industries extractives et de la finance qui en Afrique joue un rôle majeur. Dans le premier cas, les débats se sont orientés autour du fait qu’une fiscalité minimum pénaliserait les pays fournisseurs de matières premières issues du sous-sol qui tirent des revenus en taxant leur industrie extractive.

Mais cette vision connait des limites. Déjà, la marge avant impôts dans le secteur extractif est résiduelle, au regard de la chaîne des valeurs dans son ensemble, et où on retrouve des sous-traitants, des partenaires au financements et un ensemble d’autres coûts de facteurs, qui sont induits dans le cadre de contrats avec des entreprises, souvent situées en dehors des pays d’exploration ou d’exploitation. Dans certains contrats sur les ressources en Afrique, l’Agence Ecofin a pu confirmer que plus de 60% de la production sert souvent à rembourser ces coûts.

Le FMI a confirmé l’importance de prendre en compte le secteur extractif dans le cadre de la fiscalité internationale. « Une nouvelle étude sur l’ampleur du transfert de bénéfices dans le secteur minier en Afrique subsaharienne indique que les pays africains perdent en moyenne entre 470 et 730 millions $ par an d’impôt sur les sociétés en raison de l’évasion fiscale des multinationales » a conclu l’institution, dans une étude publiée le 21 septembre 2021. D’autres réflexions estiment que ce chiffre est conservateur, car il ne prend pas en compte les pertes fiscales légales, en raison des incitations accordées aux opérateurs miniers et pétroliers, tant dans les phases d’exploration que de production.

Un reproche qui revient parlant de cet accord, c’est le faible niveau de participation de plusieurs pays ayant peu de ressources et qui en sont des signataires. Selon Tovony Randriamanalina, une experte de la fiscalité internationale originaire de Madagascar, les différentes phases de discussions autour de cet accord ont souvent été « comme une table devenue plus grande, mais dont le menu n’a pas changé ».

Cette position est aussi partagée par le réseau européen pour la dette et le développement (EURODAD). « Si quelqu’un avait besoin d’une preuve supplémentaire de la raison pour laquelle les règles fiscales internationales ne devraient pas être établies par des organismes opaques où les pays ne sont pas en mesure de participer sur un pied d’égalité, c’est bien celle-là. L’OCDE a produit un accord qui privilégie fortement les intérêts des pays les plus grands et les plus riches, au détriment des pays les plus pauvres du monde. Dans le même temps, l’accord ne parvient pas à mettre fin à l’évasion fiscale des entreprises et à la concurrence fiscale dommageable entre les pays. L’accord est mauvais pour tout le monde, mais encore plus pour les pays en développement », a fait savoir Tove Maria Ryding, l’experte fiscalité de l’organisation.

Des Organisation non-gouvernementales internationales comme Tax Justice Network continue de faire le plaidoyer pour une fiscalité internationale plus juste et, en février 2021, elles ont été suivies par le rapport du Panel FACTI, une instance mise en place par l’ONU pour proposer des mesures pour une plus grande intégrité financière dans le monde, et un développement plus durable.

Parmi des recommandations constantes de Tax Justice Network, il y a la nécessité d’obtenir un accord fiscal sous l’égide de l’ONU et donc moins sujet à l’influence des pays les plus puissants. L’ONG préconise aussi la mise en place d’un mécanisme inconditionnel et facilement accessible d’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales, la mise en place des lois permettant d’identifier les bénéficiaires effectifs, le reporting pays par pays des performances financières d’entreprises, un registre global des propriétés et une fiscalité qui tient d’avantage compte de l’endroit où est produit la richesse et non où on la commercialise.

(AGENCE ECOFIN)

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