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Financement santé, défaut d’infrastructures, gestion pandémie : Ces maux chroniques du système sanitaire sénégalais

Au Sénégal, dans certaines zones rurales, il faut parcourir 100 km pour voir un lieu de prestation de santé avec un personnel qualifié, selon le consultant et expert-comptable Papa Massène Seck, qui présentait hier, une étude qu’il a menée avec l’économiste Chérif Salif Sy, à la demande de l’Ong Cicodev, sur le financement de la santé au Sénégal. Et sur ce point les deux consultants ont relevé des insuffisances, tant du côté de l’Etat que des partenaires étrangers et aussi du Secteur privé national.

Le financement de la santé reste encore un challenge au Sénégal, tant au niveau des infrastructures d’accueil, des plateaux techniques, que de la promotion de l’industrie pharmaceutique qui permettrait de réduire la dépendance du pays, qui importe 95% de ses besoins en médicament. ‘’La mission a été confrontée à beaucoup de difficultés pour rencontrer ou échanger même par zoom avec les principaux responsables du ministère de la Santé et en particulier le Directeur, un cadre chargé de la Prévention. Mais, on a pu avoir des échanges très riches avec d’autres cadres de la santé et avons aussi recueilli des informations à partir d’une revue portant sur la problématique du financement de la santé au Sénégal. Sur le financement de la santé, l’accès aux soins de santé à la population par des indicateurs relevés par une étude selon laquelle un Sénégalais fait en moyenne 6 km pour atteindre un poste de santé ; 4 fois plus, 24 km pour atteindre un centre de santé ; 8 fois plus, 49 km pour un établissement public de santé. Ces données renseignent sur les difficultés à l’accès aux soins de santé pour la majorité des populations et le niveau d’efforts qu’il faudra déployés en terme de financement’’, explique le consultant et expert-comptable Papa Massène Seck qui présentait hier, lors d’un atelier, une étude qu’il a menée avec l’économiste Chérif Salif Sy sur le financement du secteur de la santé, et commanditée par l’organisation de la Société civile Cicodev.

Selon le consultant, les statistiques du ministère de la Santé et de l’Action sociale indiquent également que pour certaines zones rurales, il faut parcourir 100 km pour voir un lieu de prestation de santé avec un personnel qualifié. ‘’En plus de ces données, il ressort de ces statistiques l’absence d’unités de soins pour les malades à pronostic mortel atteints de cancer, entre autres, qui sont autorisés à défaut de radiothérapie, d’aller à l’étranger pour se faire soigner. Nous avons aussi relevé, dans la compilation des budgets annuels alloués au secteur de santé, en période normale, c’est-à-dire en dehors des contraintes induites par la pandémie, qu’au Sénégal, on est dans la moyenne 32 dollars soit 17 000 francs CFA par habitant, alors qu’il faudrait pour ces besoins selon les objectifs fixés par les ODD, au moins 47 dollars, c’est-à-dire 24 000 francs CFA par habitant’’, poursuit M. Seck.

Réfléchir sur une nouvelle alternative de financement du secteur

Ces nombreuses défaillances, regrette l’expert-comptable, ‘’n’ont pas pu être réglées’’ par les différents budgets alloués au département de la Santé dont les montants évoluent pourtant d’une année à une autre pour atteindre plus 165 milliards en 2018 et près 200 milliards en 2020. Ainsi, il estime qu’elles incitent à la réflexion sur une nouvelle alternative de financement du secteur. ‘’Dans cette réflexion, le bureau de l’Oms circonscrit les fonctions de financement de la santé à la mobilisation, la collecte de ressources (l’Etat, le privé, les usagers des services de santé, aide au développement) et à la mise en commun sur une base synergique et par superposition de ces ressources de collecte, des actions de mobilisation de fonds et d’achat pour assurer aux populations les prestations de consultation, médicaments, hospitalisation, évacuation, etc.’’, rapporte-t-il.

Il est aussi relevé dans leur étude que, face à cette situation ‘’d’insuffisance du budget’’ alloué à la santé, ce sont les populations elles-mêmes qui supportent près de 60% des dépenses de santé, alors que la contribution de l’Etat, des collectivités locales et des partenaires techniques au développement, en terme d’appui budgétaire, ne dépasse pas 39%. D’après Papa Massène Seck, des membres du comité scientifique du ministère de la Santé du Sénégal ont confirmé ces répartitions qui existent depuis 2013 et ils ajoutent que 95% des dépenses de santé des populations sont constituées de paiement directe et que la prise en charge les systèmes d’assurance maladie se situe dans une proportion de moins de 5%.

‘’Il ressort de la généralisation de l’initiative de Bamako dans les années 90, que les dépenses de santé des ménages sont devenues la principale source de financement des formations sanitaires publiques. Ainsi, il est également constaté une baisse relative et progressive des comptes nationaux de la santé par rapport à l’évolution de la demande dans la part moindre de l’Etat du Sénégal qui bénéficie pourtant de 21% de contribution d’assistance étrangère dans les dépenses totales de santé dont 59% des fonds proviennent de la coopération bilatérale, 14% de la coopération multilatérale et 26% des Ong’’, dit-il.

Concernant le Secteur privé au Sénégal, M. Seck informe qu’il ‘’n’a jamais dépassé la barre moyenne de 6,5%’’ en contribution dans les dépenses de santé, selon une lecture des comptes nationaux de la santé sur une période de 15 ans. ‘’Cette contribution a connu une baisse drastique pour se situer depuis 2013 entre 5 et 6% dans les dépenses de santé. L’insuffisance des contributions de l’Etat et du Secteur privé national a fait que 20% seulement des Sénégalais ont bénéficié de la Couverture maladie universelle (Cmu). Sur cette problématique du financement de la santé, il faut également signaler l’impact marginal des mutuelles de santé au Sénégal, malgré leur floraison sur l’ensemble du territoire national. On peut y ajouter les initiatives comme Sesame, la Cmu, dont les contributions respectives en dehors de celle de l’Etat, restent faibles par rapport aux besoins. Et pourtant, les Etats africains avaient convenu dans une déclaration commune à Abuja 2001, engageant chacun d’entre eux à consacrer au moins 15% de leur budget total à la santé’’, renseigne le consultant.

Dans le cadre de leur étude, les consultants ont aussi rencontré le président du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal. Cette organisation a échangé avec la mission sur la disponibilité des médicaments au Sénégal. ‘’Selon ce syndicat au Sénégal, les importations de médicaments représentent plus 95% de nos besoins et nous indique le pays ne compte que 6 unités de production pharmaceutique face à un secteur de distribution constituer à 70% d’opérateurs privés, dont 4 sociétés grossistes plus de 950 officines de pharmacie qui approvisionnent une centaine de dépôts installés dans toute l’étendue du territoire national. Il y a dans notre marché 4500 spécialités de médicaments enregistrés par mois’’, indique M. Seck.

Une suspicion ‘’d’absence de transparence et de rationalité’’ des fonds alloués à la Covid

Il convient de relever que cette étude touche aussi les fonds alloués à l’Etat, tant au niveau national qu’international, dans la gestion de la Covid-19. Sur ce point, M. Seck a souligné que la gestion des segments : vaccins, médicaments, moyens logistiques, liés à la lutte contre pandémie, a été ‘’centralisée’’ au niveau du ministère de la santé à travers la Direction de la prévention. ‘’Ce choix est perçu comme difficilement justifiable, compte tenu du spectre très large et des impacts de la pandémie dans toutes les activités nationales. Ce qui induit au niveau de beaucoup de professionnels de santé et de hauts fonctionnaires, une suspicion d’absence de transparence et de rationalité des fonds alloués à la lutte contre la pandémie. Nous avons aussi discuté avec le représentant de la Banque mondiale qui nous ont informés qu’il y a actuellement un plan d’investissement sectoriel dans le secteur de la santé basé sur une évaluation d’ensemble et qui devrait être soumis au financement de la Banque mondiale. Le bureau de cette institution a aussi précisé qu’une revue de leur programme d’intervention dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 était en cours. Il estime que la Société civile devait être mieux impliquée dans le cadre d’une approche participative’’, note-t-il.

A ce propos, il urge de préciser que représentant ministère de la Santé et de l’Action sociale, à cette occasion a soutenu que toutes les parties sont ‘’impliquées’’ dans le processus. ‘’Le travail a été fait et très bien fait au niveau de tous les instances et toutes les parties prenantes ont été conviées. Et nous nous réjouissons aujourd’hui que notre Société civile prenne part à cette sensibilisation, aux besoins de transparence, mais aussi, à rassurer les populations que les moyens qu’elles ont mis à notre disposition ont été bien utilisés. Naturellement, en toute chose nous nous renforçons, nous nous améliorons, dans la façon de faire, mais nous nous inscrivons naturellement dans le bon sens d’une meilleure utilisation de nos ressources, dans le cadre de la prise en charge de nos populations pour la lutte contre cette pandémie. (…) Il n’y a pas de souci, nous sommes très à l’aise par rapport à cette question’’, affirme par ailleurs Ibrahima Baldé, face à la presse.

Le consultant signale aussi que la Banque mondiale a mis à disposition des fonds pour lesquels les pays peuvent soumissionner en fonction de leurs besoins. Mais, elle a précisé que d’emblée, elle n’est pas au cœur du dispositif de financement des pays pour l’accès aux vaccins. ‘’Mais, l’initiative Covax, qui visait à couvrir 20% de la population, la Banque mondiale a mis en place un mécanisme d’aide aux pays pour la couverture en vaccins et en consommable destinés à 35% de la population du Sénégal à partir d’un fonds de 4 millions de dollars. Le bureau de la Bm à Dakar ajoute que l’institution a aussi mis en place un don du PEF, de 1,5 million de dollars destiné aux compagnies d’assurances pour permettre au pays de pouvoir s’assurer en cas de pandémie. Il précise toutefois qu’à la demande de l’Etat du Sénégal, ce fonds a été alloué à l’Oms et à l’Unicef qui l’ont entièrement utilisé dans leur activité’’, poursuit-il.

Une crise économique ‘’très sévère’’ en vue à cause de la Covid

Papa Massène Seck a aussi rappelé que la Banque mondiale a également mis en place un fonds de 54 millions de dollars conçu sous deux formes : 50% en crédit et 50% en don sur une durée allant jusqu’en 2025 pour la disponibilité des vaccins au niveau des producteurs et du pays en fonction de ses capacités d’absorption en terme d’utilisation de ces ressources. ‘’Par rapport aux faiblesses du fonds fiduciaire pour la préparation et riposte aux urgences sanitaires (Herptf), du PEF, sur les communautés des pays récipiendaires, on a relevé l’absence d’implication de la population et de ses représentants notamment la Société civile, de prise en compte d’autres variables sociaux économiques comme la redistribution de revenus dans les dispositifs. Les mesures de prévention, de détection et de réponse aux urgences sanitaires ne peuvent concernées seulement que le ministère chargé de la santé des pays bénéficiaires. Il y a un retard dans la réaction alors que les Etats ont été dégagés dans des dépenses urgentes et importantes pour l’achat de vaccins, dont des quantités énormes non malheureusement été utilisées’’, renchérit l’économiste Chérif Salif Sy.

Aujourd’hui, M. Sy pense qu’il faudrait qu’en matière de bilan que les autorités en disent ‘’un peu plus’’. Notamment sur combien effectivement a été dépensé avant le soutien des partenaires, qu’est-ce qu’il en reste et combien d’argent a été ‘’gaspillé’’. L’économiste trouve qu’il faut la mobilisation des partenaires internationaux pour accompagner la reprise. Car, celle-ci s’accompagne d’une inflation ‘’très forte’’. ‘’Les gouvernements n’ont pas les moyens d’accompagner convenablement cette reprise. Il est important d’interpeller les partenaires sur leurs engagements. Il urge de renforcer le système de santé, de prévention, etc. La diversification de l’économie pour une grande résilience aux chocs internes et externes est importante. La crise va continuer. Elle va se transformer en une crise économique très sévère. S’il n’y a pas d’organisation au niveau interne, nous allons la subir. Pour cela, il faut valoriser les chaines de valeurs régionales et locales ; se tourner vers le marché intérieur et régional. A l’intention des gouvernements, ils doivent renforcer la gouvernance macroéconomique, concevoir une stratégie de mobilisation des ressources internes’’, alerte Chérif Salif Sy.

(ENQUETE)

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