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Financement économies africaines : Les niches pour mobiliser plus de ressources

La réforme de la fiscalité, celle du système bancaire et financier, la lutte contre les multiples évasions fiscales et la fuite des capitaux, l’utilisation productive des envois de fonds des diasporas… Ce sont, entre autres, des moyens qui peuvent permettre aux pays africains de mobiliser assez de ressources pour financer leur développement, à côté de l’appui extérieur. C’est ce qu’ont indiqué les économistes sénégalais ce week-end, lors de l’édition du mois des ‘’Samedis de l’économie’’ qui portait sur la question.

Pour parvenir à financer efficacement leurs économies, notamment dans un contexte de crise sanitaire et entrainant la rareté des ressources financières, il urge, pour les pays africains, de changer ‘’profondément les politiques monétaires et fiscales’’. Ceci en vue de taxer ‘’plus lourdement’’ les entreprises étrangères, limiter la fuite des capitaux et maximiser ainsi la mobilisation des ressources internes.

‘’Dans le contexte actuel, j’avais une préférence claire pour les droits de tirage spéciaux (DTS), une fois l’effort certifié de mobilisation importante des ressources internes. Ceci par la taxation et le secteur privé, c’est-à-dire le privé local, international ou étranger, mais également en agissant sur l’autre levier qui est la fiscalité. Le problème de notre pays, c’est la fiscalité, mobiliser des ressources internes par la fiscalité. La moyenne sur le continent, c’est 5 %, alors qu’à travers le monde, c’est entre 40 et 50 %. Il y a donc des efforts à faire pour arrêter ces saignées, ces fuites dans nos environnements’’, souligne l’économiste Chérif Salif Sy, lors de l’édition des ‘’Samedis de l’économie’’ de ce mois.

Pour le directeur du Forum du Tiers-monde, il est ainsi nécessaire de retravailler sur la fiscalité et la troisième chose, c’est un régime fiscal qui ne soit pas trop pénalisant pour les partenaires privés. ‘’À court terme, l’assiette doit être élargie, en réduisant les privilèges fiscaux et en négociant une fiscalité plus équitable avec les multinationales. Les pertes sont estimées entre 300 à 500 milliards de francs CFA, comme l’avait établi une étude du Conseil économique et social’’.

‘’En effet, les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert indirect de bénéfices des entreprises multinationales font perdre aux États entre 100 et 240 milliards de dollars de recettes fiscales, soit l’équivalent de 4 à 10 % du montant des recettes tirées de l’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale’’, estime le professeur Moustapha Kassé dans sa contribution transmise à cette occasion.

Les pays africains doivent, selon le Doyen honoraire de la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg), ‘’mieux faire’’ en réformant leur système fiscal, en renforçant leur administration fiscale, en incitant leurs opérateurs du secteur informel à se formaliser. Mais, aussi, en élargissant leur assiette fiscale par sa numérisation et la mise en œuvre de mesures issues du projet BEPS (Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices, lancé par l’OCDE, cadre inclusif sur le BEPS). Une stratégie qui vise à faire en sorte que les règles de fiscalité internationale ne facilitent pas le transfert des bénéfices d’entreprises hors du pays où les activités économiques réelles se déroulent et où a lieu la création de valeur.

Créer un marché financier actif et ouvert

Donc, sur le financement endogène de l’économie nationale, pour le doyen Kassé, par ailleurs membre des Académies de sciences et technique, la question centrale demeure : comment irradier l’économie par mobilisation de flux financiers qui permettent aux acteurs d’entreprendre ? Cela fait appel d’après lui, à quatre volets. Il s’agit de la réforme de la systémie bancaire et financière avec une meilleure mobilisation et utilisation de l’épargne ; la réforme profonde du système fiscal et la lutte contre les multiples évasions ; la lutte contre les capitaux enfuis et une utilisation productive des envois de fonds des diasporas.

Il convient de relever qu’à propos des envois de la diaspora, le président de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade) a signalé qu’au Sénégal, ils représentent entre 10 et 12 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. ‘’Malheureusement, la plupart de ces envois servent à la consommation finale des populations. Il n’y a pas encore d’investissements productifs qui puissent contribuer à faire accroître le potentiel du pays. Si les pays africains osent mettre en œuvre des politiques en rompant avec la logique d’impasse néolibérale, on pourrait vivre mieux, dépendre moins de l’extérieur’’, dit Demba Moussa Dembélé.

Sur ce premier volet, le Pr. Kassé note qu’il faut créer un marché financier actif et ouvert à tous les cadres et à tous les petits épargnants. ‘’Ceci pour que tous les entreprenants du pays se sentent partie prenante à la croissance économique qui doit être généralisée et non plus réservée à une oligarchie politique ou parentale, ethnique ou de copinage. Ce n’est qu’à ce prix que l’économie nationale fera des bonds en avant et contribuera à la solution du chômage et de la pauvreté’’, soutient-il. Le second volet concerne, d’après lui, la mobilisation de l’épargne intérieure publique et privée. ‘’Deux sources internes de financement doivent permettre de sortir de ces préjugés. Il s’agit, d’une part, de la mobilisation  de l’épargne des individus et des sociétés privées intérieures qui sont des ressources que le secteur financier transforme en investissement productif et,  d’autre part, de la mobilisation de l’épargne publique pouvant provenir de trois sources l’excédent des recettes sur les dépenses publiques, l’emprunt à travers l’émission de bons du Trésor et le don à travers l’altruisme’’, ajoute le Doyen Kassé.

Avoir un autre cadre pour l’UEMOA

Et au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et pour les pays africains de manière générale, l’économiste à la fondation Rosa Luxembourg pense qu’il faut un autre cadre. Cela commence, d’après Ndongo Samba Sylla, par une ‘’coopération renforcée’’ entre les trésors publics et les banques centrales. ‘’Les trésors publics devraient pouvoir dépenser dans leur propre monnaie sans de grandes contraintes en termes de volume de liquidités et pouvoir contrôler les taux d’intérêt auxquels ils s’endettent. C’est essentiel, si on peut mobiliser les ressources domestiques. Quand on parle de ressources domestiques, ce n’est pas uniquement le public, mais il y a aussi le privé. Il faut des crédits aux entreprises, ménages, etc. Il faut un système bancaire et financier qui soit propice à la mobilisation des ressources par les acteurs du privé. Malheureusement, dans beaucoup de nos pays, les banques sont dominées par des structures étrangères et celles-ci fonctionnent pour les entreprises étrangères, les grandes entreprises de manière générale. Du coup, on ne peut pas avoir un financement satisfaisant de son économie et aussi un financement qui aille vers les secteurs prioritaires’’, renchérit-il.

Ndongo Samba Sylla a relevé, en fait, que les pays de la Zone franc en Afrique de l’Ouest, ne peuvent fonctionner de ‘’manière normale’’ que si les Etats s’endettent lourdement, en monnaie étrangère. ‘’La première chose, c’est que ces pays ne sont pas compétitifs et une partie de leur compétitivité est plombée par le taux de change avec l’euro. Ce qui explique que tous les pays d’Afrique de l’Ouest qui utilisent le CFA, à part la Côte d’Ivoire, ont un déficit commercial chronique. Pour défendre la parité fixe avec l’euro, d’une certaine manière, il faut restreindre les crédits à l’économie. On gère également la parité fixe, en réduisant la capacité des Etats à mobiliser des ressources qui sont efficaces’’, explique-t-il.

Quand il y a beaucoup de ressources créées sur place, M. Sylla renseigne qu’il faut un financement monétaire. ‘’Mais quand on crée ce financement monétaire, il faut s’assurer qu’on a une certaine contrepartie qui permettra la conversion de ces liquidités. Et ceci, tant qu’on reste dans ce cadre-là, ce sera très difficile. C’est pourquoi la seule manière pour l’UEMOA de fonctionner, c’est à travers un endettement croissant en monnaie étrangère’’, précise-t-il.

En plus du soutien extérieur, son ainé Chérif Salif Sy a, par ailleurs, estimé que les pays africains peuvent ‘’s’organiser’’ et aller à la conquête de certaines ou toutes les souverainetés nécessaires au développement de leurs économies, sans qu’il soit question de rompre avec le reste du monde. ‘’Le monde, quoi qu’on fasse, ira ensemble. C’est une certitude ; le monde sera ainsi. Il appartient à chaque ensemble, chaque pays de s’organiser pour s’en sortir. Immédiatement, la première réponse sur le continent, c’est de faire des documents de stratégies réelles de mobilisation de ressources internes pour le financement du développement. Depuis les indépendances ou l’ajustement structurel, c’est toujours le financement extérieur qui était privilégié’’, préconise-t-il.

Il est certes d’accord avec la mobilisation du financement privé comme alternative aux ‘’éléphants blancs’’ comme le suggère M. Sy. Mais Ndongo Samba Sylla trouve qu’il faut aussi ‘’éviter les éléphants rouges’’. Il s’agit de tous ces projets de partenariat public-privé qui reviennent de fait à privatiser les services publics, les écoles, les autoroutes, les hôpitaux et à les rendre beaucoup plus coûteux pour les usagers. ‘’C’est de plus en plus la tendance. On discrédite les Etats en leur disant qu’ils ne sont pas des prestataires de service public corrects, efficients, qu’ils n’ont pas les moyens. Donc, il faut se retourner vers les partenaires publics-privés. Quand on fait l’inventaire, on s’aperçoit généralement que quand les Etats s’endettent pour réaliser ces infrastructures, c’est beaucoup plus rentable pour eux et cela permet de corriger les inégalités sociales. Ce n’est pas toujours le cas des partenariats publics-privés’’, déplore l’économiste.

Le mythe de l’inflation

Définie comme la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix, l’inflation est un phénomène persistant qui fait monter l’ensemble des prix et auquel se superposent des variations sectorielles des prix. Au sein de l’UEMOA le seuil de l’inflation est fixé à 3 % du PIB. Un taux qui, selon l’économiste Chérif Salif Sy, a été ‘’inventé’’.

‘’Sur l’inflation, la première étude sérieuse a été faite en 1959 par le Fonds monétaire international. L’inflation est un instrument de politique économique. Qu’on arrête de nous raconter n’importe quoi. L’histoire des 3 % est inventée par un conseiller politique de François Mitterrand, à la veille de la réunion en Espagne pour la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela n’a rien à avoir avec l’économie et cela n’existe ni en Asie, ni en Europe, ni ailleurs. Donc, l’étude du FMI nous montrait que l’inflation ne rend pas service dans deux situations. Un taux d’inflation extrêmement bas et un autre au-delà de 7 % et que l’inflation peut être un véritable facteur de développement entre 3,4 et 5 %. Il faut qu’on en tire les leçons. Malheureusement, le handicap que nous avons, c’est que nous ne pouvons pas agir sur le levier monétaire’’, affirme-t-il.

De son côté, Ndongo Samba Sylla fait savoir que la capacité de pouvoir taxer davantage l’économie, est aussi un moyen de pouvoir lutter éventuellement contre l’inflation. ‘’Quand on nous dit qu’on ne peut pas dépasser 3 % d’inflation, parce que cela nuit à l’économie, mais cela ne tient même pas des faits. Il faut certes limiter l’inflation, mais ce qu’on a dans la Zone franc et la nouvelle tendance des banques centrales, c’est tout simplement suicidaire pour les petits pays qui doivent se développer’’, alerte-t-il.

(ENQUETE)

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