Selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), consultés par Investir au Cameroun, les réserves excédentaires (encore appelées réserves libres) des banques de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac) s’élèvent à près de 2000 milliards de FCFA à fin février 2020.
Il s’agit de la somme d’argent détenue en trop par les banques dans leurs comptes courants à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac).
Pour comprendre, il faut savoir que chaque banque à l’obligation de déposer à la Beac, une fraction des dépôts (actuellement 7% et 4,5% respectivement sur les exigibilités à vue et à terme) qu’elle collecte auprès de sa clientèle.
Cette mesure de précaution vise à faire face aux retraits des déposants ; surtout que dans la sous-région, l’épargne est constituée d’une part importante des dépôts à vue et donc pouvant être retirés à tout moment. Les 2000 milliards représentent donc l’argent que les établissements de crédit déposent en plus à la banque centrale.
Crédits peu profonds
Selon les banquiers, « cet argent sert aux règlements des transactions journalières », comme des prêts sur le marché interbancaire aux banques en besoin de liquidité.
Mais la Beac et le FMI estiment que le volume des excédents est trop important. À fin juillet 2019, les réserves libres représentaient près de 3 fois les réserves obligatoires.
« Les réserves excédentaires se sont accumulées au cours des derniers mois, en partie à cause des possibilités de crédit peu profondes », estime le FMI. Le Fonds qualifie même cette liquidité d’oisive. Sur les conseils de l’institution de Bretton Woods, la banque centrale a même décidé en février 2020 de lancer une opération de réduction de la liquidité dans le système bancaire pour « mieux contenir les risques pesant sur la stabilité monétaire ».
On observe en effet depuis quelques années une diminution du ratio crédit/dépôts. Il est passé de 0,9 en juillet 2018 à 0,8 à juillet 2019. Sur cette période, on a assisté à un repli de 2,2 % des crédits à l’économie, tombés de 7788,7 à 7619,7 milliards de FCFA.
Au-delà des raisons conjoncturelles (consolidation sur l’État équato-guinéen des créances bancaires sur l’économie d’environ 260 milliards sur quelques entreprises de BTP) évoquées par l’institution d’émission de la Cemac, les banques pointent surtout les causes structurelles. Elles indexent par exemple l’accumulation des créances en souffrance. Une situation qui renchérit le coût du crédit et limite par ricochet son octroi. Au Cameroun, le ministère des Finances chiffrait les créances en souffrance à 554 milliards de FCFA en début décembre 2019.
Risques
Quoi qu’il en soit, les experts estiment que ce trésor de guerre devrait être utilisé par les banques pour aider les économies de la sous-région à faire face à la bourrasque économique que va créer la pandémie du Coronavirus.
Dans un communiqué signé le 20 mars, l’Association des professionnels des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam) « invite ses membres à être attentifs aux demandes des commerçants et des entreprises, qui tirent la sonnette d’alarme pour leur trésorerie ; de mettre à la disposition des clients des liquidités pour soutenir leurs entreprises ; d’accorder et de maintenir des crédits bancaires aux agents économiques, en particulier aux PME/PMI qui pourraient rencontrer des difficultés résultant du développement de l’épidémie de Coronavirus… »
De son côté, la Commission bancaire d’Afrique centrale appelle à la prudence.
Le régulateur du secteur estime que les effets du Coronavirus « pourraient dégrader significativement l’adéquation des fonds propres et la liquidité des établissements de crédit ».
Le risque est plus grand pour les banques locales. Car en réalité l’excès de liquidités est « largement détenues par des banques étrangères qui suivent des politiques de crédit très prudentes », peut-on lire dans un récent rapport du FMI.
Au premier trimestre 2019, sur les 20 banques locales que compte la Cemac, seules deux pouvaient être considérées comme en surliquidité avec des réserves libres, chacune, tournant autour de 130 milliards de FCFA.
Une banque avait des réserves excédentaires de près de 30 milliards, huit des excédents de moins de 10 milliards et neuf étaient en déficit. Parmi ces neuf établissements de crédit, deux avaient, chacun, des besoins de liquidité approchant les 120 milliards de FCFA.
Dans la liste des institutions financières en proie à des difficultés de liquidité, on compte même trois banques d’importance systémique (c’est-à-dire dont la faillite peut embrasser tout le système bancaire de la Cemac).
Franc CFA
Consciente de la situation, l’Apeccam demande à la Beac, en contrepartie des mesures qu’elle invite ses membres à prendre pour soutenir l’économie, de « renoncer temporairement à la décision de réduction des liquidités dans le système bancaire », et d’« envisager plutôt de faciliter l’accès des banques au marché monétaire par la baisse de ses taux d’intérêt et l’augmentation des plafonds de refinancement en cas de pression de liquidités ».
Pour l’instant, l’institut d’émission de la Cemac, préoccupé à préserver la parité du franc CFA avec l’euro, se donne le temps de l’observation. Elle a décidé le 24 mars de suspendre pour une semaine (26 au 2 avril), son opération principale sur le marché monétaire de la Cemac.
« Afin de mieux apprécier les effets de la crise sanitaire actuelle liée à la pandémie du Covid-19 sur la liquidité du système bancaire de la Cemac », justifie-t-elle. Concrètement, la Beac veut d’abord voir les effets de la crise sur les 2000 milliards de FCFA de réserves excédentaires, qu’elle souhaite réduire pour éloigner le spectre d’une dévaluation du franc CFA, avant d’aviser.
Ecofin