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Exploitation d’une licence de télécommunications au Sénégal : Free opère-t-il dans l’illégalité totale ?

Arrivé comme un messie dans l’optique de casser les prix dans le domaine des télécommunications, l’opérateur Free exploite sa licence à travers une société qui n’en détient pas les droits.

Il y a un peu plus de deux ans (octobre 2019), le deuxième opérateur mobile du Sénégal avec 25 % de parts de marché, changeait de nom, passant de Tigo à Free Sénégal. Une annonce faite en grande pompe, suscitant un grand engouement de la clientèle sénégalaise qui rêvait déjà d’une répétition de l’histoire, avec l’introduction de Free sur le marché de la téléphonie mobile en France, en 2012, qui avait tiré les prix vers le bas.

Cette évolution avait été amorcée en avril 2018, lorsque l’opérateur luxembourgeois Millicom a cédé Tigo Sénégal à Saga Africa Holdings Limited, un consortium formé par Yérim Sow, Xavier Niel et Hassanein Hiridjee.

Mais depuis l’officialisation de cette cession, d’autres faits graves se passent dans l’inconnue générale. La licence de Tigo Sénégal ayant été vendue à Saga Africa Holdings Limited, c’est une autre société dénommée Saga Africa Holdings Limited SA qui est en train de l’exploiter.

Tigo, au Sénégal, commence en 1998, lorsque la marque est créée sous la forme d’une société anonyme (SA) avec, au départ, un Sénégalais dans l’actionnariat. Elle est immatriculée au Registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) sous le n°SN.DKR.1998.B.1094 au nom de Sentel GSM SA et a son siège social à Dakar, 15 route de Ngor, route des Almadies. Cette création répond à l’impératif légal de préférence pour les entreprises locales, pour porter l’offre du groupe Millicom.

En effet, la licence de télécommunication ne peut être accordée qu’à des entreprises sénégalaises, sauf pour les entreprises étrangères relevant du régime juridique d’un Etat qui a souscrit avec le Sénégal des engagements internationaux comportant une clause de réciprocité applicable au secteur des télécommunications.

Saga Africa Holdings Limited détentrice, Saga Africa Holdings Limited SA exploitante

C’est sur ces bases que les pouvoirs publics ont, par décret n°98-719 du 2 septembre 1998, attribué à Sentel GSM la licence d’agir en qualité d’opérateur de télécommunications, décret qui approuve la convention de concession signée entre l’Etat du Sénégal et Sentel GSM (filiale de Millicom International Cellular).

Par la suite, dans le contexte du conflit qui opposait alors l’Etat du Sénégal à la société-filiale (Sentel GSM SA) et à la société-mère (Millicom International Cellular), les autorités ont, par décret n°2001-23 du 17 janvier 2001, mis fin à la convention de concession signée avec Sentel GSM SA, retirant ainsi la licence de cette société. Les deux parties étant revenus à de meilleurs sentiments à la suite d’un protocole de règlement à l’amiable signé entre l’Etat du Sénégal, Sentel GSM SA et le groupe Millicom International Cellular, les autorités ont, suivant le décret n°2012-2019 du 19 octobre 2012, décidé de retirer le décret du 17 janvier 2001 pour renouveler et étendre à une licence globale la licence de Sentel GSM SA.

Entre-temps, était devenu l’actionnaire unique de Sentel GSM SA.

Mais l’implication de la société Sentel GSM SA dans la signature de cet accord transactionnel montrait une nouvelle fois l’attachement des pouvoirs publics au principe de la préférence pour les entreprises locales : la licence concernée n’a pu être attribuée et n’a été renouvelée qu’au profit une entreprise qui est formellement de droit sénégalais. Cela confirme que la licence a été attribuée à la société de droit sénégalais, Sentel GSM SA, et non à l’actionnaire unique de cette société, Millicom International Cellular.

Saga Africa Holdings Limited, société de droit mauricien

Décidant de cesser ses activités au Sénégal, Millicom International Cellular a cédé, entre 2015-2017, la licence de Sentel GSM SA à Saga Africa Holdings Limited. Il s’agit d’une société de droit mauricien, créée et établie en 2017 en île Maurice C/O Ocorian Corporate Services (Mauritius) Limited, 6TH Floor Towera, 1 Cybercity, Ebene-Mauritius et immatriculée dans ce pays sous le n°149092C1/GBC1. Cette cession a été approuvée par décret n°2018-750 du 16 avril 2018, sur la convention de cession de la licence de Sentel GSM. Son capital est détenu par Sofima LTD (société de droit mauricien), NNJ North Atlantic (société de droit français) et Teyliom Telecom (société de droit mauricien).

Depuis cette cession, deux sociétés commerciales différentes coexistent sous une dénomination sociale identique, Saga Africa Holdings Limited, à savoir : la société Saga Africa Holdings Limited identifiée par le décret comme l’entreprise bénéficiaire de la cession de licence ; de même que la société Saga Africa Holdings Limited SA, qui n’est autre que la nouvelle dénomination de la société Sentel GSM SA (société créée en 1998 et dont la licence a, par l’effet du décret 2018-750, été cédée).

D’ailleurs, c’est aux termes de ses délibérations en date du 30 novembre 2019, que l’Assemblée générale des actionnaires de Sentel SA a décidé de changer la dénomination de leur société ‘’Sentel GSM, SA’’ en ‘’Saga Africa Holdings Limited SA’’. Ces actionnaires sont au nombre de deux : Saga Africa Holdings Limited (société de droit mauricien) et Maya Sénégal NV (société de droit curaçao).

En changeant de nom, Sentel GSM SA peut-elle se permettre d’exploiter la licence à sa société actionnaire ? Actuellement, après l’accomplissement des formalités et des clauses et conditions de l’opération de cession de licence, c’est la société de droit sénégalais, Saga Africa Holdings Limited SA (soit donc Sentel GSM SA)  et non la société de droit mauricien Saga Africa Holdings Limited, détentrice, qui exploite la licence.

Les données personnelles des Sénégalais en danger ?

Pourtant, l’art.16 Acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales et du GIE interdit le fait qu’un  même nom, Saga Africa Holdings Limited, soit porté par deux sociétés qui sont pourtant distinctes. Comme la licence a été cédée à une société de droit mauricien, il convient de se demander s’il existe entre le Sénégal et l’île Maurice des accords internationaux comportant une clause de réciprocité applicable au secteur des télécommunications ? Car le cas échéant, la cession de la licence à la société de droit mauricien, Saga Africa Holdings Limited, est contraire au principe légal de la préférence accordée aux entreprises sénégalaises.

Dans la confusion ainsi créée autour du nom de deux sociétés qui sont distinctes l’une de l’autre, dans ces circonstances inquiétantes d’une licence accordée à une entité établie dans des paradis fiscaux, dans cette situation floue et inquiétante où l’entreprise dont la licence a été cédée continue pourtant d’exploiter cette licence, il est légitime d’obtenir des réponses aux interpellations : l’Etat ne perd-il pas en recettes fiscales sur les fonds des clients recueillis par une société établie dans un paradis fiscal ? Cette société est-elle d’ailleurs en droit de collecter les fonds des clients, si l’on sait que, d’une part, elle est une entreprise de droit étranger qui ne devrait pas être admise à l’obtention d’une licence de télécommunications et, d’autre part, ce n’est pas elle, mais la société de droit sénégalais qui exploite la licence ?

L’intégrité des données à caractère personnel des clients est-elle garantie dans ces circonstances où ni l’entreprise qui a cédé la licence ni celle qui a acquis cette licence ne sont en droit de collecter et de traiter ces données à caractère personnel ?

(ENQUETE)

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