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[DOSSIER] Politique hydraulique du Sénégal : Quête continue de solutions pour couvrir une demande croissante

Entre solutions structurelles et conjoncturelles, la politique hydraulique du Sénégal, dans cette décennie, a vu l’État consentir d’importants investissements tant en milieu urbain que rural. Reste maintenant à savoir s’il y a eu l’efficacité et l’efficience escomptées. 

La politique hydraulique du Sénégal, ces dix dernières années, a valsé entre solutions structurelles et conjoncturelles pour faire face aux besoins grandissants des populations urbaines et rurales en matière d’eau. Ainsi, du Programme spécial de renforcement de l’alimentation en eau potable de Dakar (Psdak) à la mise en service du Projet Keur Momar Sarr 3 (Kms3), en passant par la construction d’une usine de dessalement de l’eau de mer, l’État a consenti plus de 500 milliards de FCfa pour répondre à la forte demande des centres urbains, surtout de Dakar. Le projet de la troisième usine de Keur Momar Sarr connue sous le vocable de Kms3 est un peu l’épine dorsale de la politique d’hydraulique urbaine de l’État du Sénégal. Il a été lancé en avril 2018. Mis en œuvre par la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones), le projet a consisté à une pose des conduites le long d’un linéaire de 216 kilomètres. Inauguré par le Président Macky Sall le 10 juillet 2021, Kms3 est une station de traitement d’eau potable qui fait 200 000 m3 par jour à partir de Keur Momar Sarr. Elle va desservir les zones traversées et permettre également, par 85 000 branchements sociaux, d’atteindre les populations avec un objectif d’améliorer le service pour 1 à 4 million de personnes.

Société de patrimoine chargée de promouvoir les investissements relatifs aux infrastructures et équipements, la Sones a mené de bout à bout cet investissement structurant de l’État du Sénégal dans le domaine de l’hydraulique urbaine. À charge maintenant à la société Sen’Eau, l’exploitation technique et commerciale du service d’approvisionnement en eau potable, suivant un contrat d’affermage avec l’État du Sénégal, par le biais du Ministère de l’Eau et de l’Assainissement, signé en décembre 2018. Avec la réforme du secteur hydraulique de 1996, il a été ainsi institué la création de trois structures. D’abord la Sones, une autre société délégataire du service public d’eau (la Sde avant et aujourd’hui Sen’Eau) et l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas), chargé du développement et de l’exploitation des infrastructures et équipements du secteur de l’assainissement collectif et autonome des eaux usées et du drainage des eaux pluviales. Toujours dans cette politique d’hydraulique urbaine, la Sones pilote aussi la construction d’une usine de dessalement, dont le coût des travaux est estimé à 137 milliards de FCfa et une production additionnelle de 100 000 m3/jour.

À côté de ces solutions structurelles, l’État du Sénégal avait mis en avant des projets d’urgence pour trouver des solutions aux difficultés d’approvisionnement en eau à Dakar qui étaient devenues fréquentes. C’est le cas du Programme spécial de renforcement de l’alimentation en eau potable de Dakar (Psdak) essentiellement concentré sur la capitale qui, avec le boom démographique, a vu sa demande en eau augmenter de manière exponentielle. Dans le Psdak, figurent, entre autres, les projets de forages de Tassette et Bayakh-Thieudème, Nord Foire, Grand Dakar-Biscuiterie. Ce programme est financé par l’État du Sénégal à hauteur de 13 milliards de FCfa. Pour l’hydraulique rurale, c’est le même schéma qui a été retenu par l’Office des forages ruraux (Ofor), qui a en charge la construction de forages dans les zones rurales. Il revient après à des concessionnaires privés d’en assurer l’exploitation, remplaçant ainsi les associations des usagers des forages (Asufor).

HYDRO-DIPLOMATIE  : Un outil pour la préservation de la paix autour des cours d’eau

Avec le phénomène des changements climatiques, l’accès à l’eau et l’exploitation de certains cours d’eau sont devenus un enjeu géostratégique. Pour éviter que les ressources hydriques ne soient une source de conflit entre les États, l’hydro-diplomatie est préconisée par les spécialistes pour une gestion concertée autour des bassins.

L’eau source de vie peut être aussi source de tension politique et même de conflits entre les États. Dans plusieurs parties du monde, la maîtrise de l’eau est devenue un enjeu géostratégique entraînant des crises diplomatiques entre États. Pour preuve, la construction par l’Éthiopie du barrage de la Renaissance sur le Nil bleu a engendré une vive tension entre ce pays et les États situés en aval du fleuve (Soudan et Égypte). D’ailleurs, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a officiellement lancé, le dimanche 20 février 2022, la production d’électricité de cette mégastructure. Dans la foulée, Khartoum a dénoncé la décision « unilatérale » de l’Éthiopie de lancer le remplissage de son barrage sur le Nil, s’inscrivant sur la même ligne que l’Égypte.

Pour éviter de telles situations, le concept de l’hydro-diplomatie est de plus en plus usité dans le monde. Fadi Comair, Président du Programme hydrologique intergouvernemental (Phi) de l’Unesco, grand théoricien dudit concept, a expliqué dans la Revue politique et parlementaire de janvier 2020, que « l’hydro-diplomatie est une idée et une nouvelle gouvernance qui cherche à asseoir la paix hydrique entre les pays riverains ». Le diplomate de l’Eau à lAmerican Academy of Water et négociateur international est d’avis que l’hydro-diplomatie est un processus qui commence par établir une base de données commune et, sans elle, « les pays riverains qui se partagent un bassin déterminé ne pourraient pas évaluer l’impact du changement climatique qui va sûrement affecter les précipitations, les eaux renouvelables ».

Dans le même ordre d’idées, Docteur Bara Amar, Maître de Conférences assimilée en droit public à la Faculté des Sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Ucad, que nous avons interrogé sur la question, a confirmé qu’au lendemain de la Guerre froide, avec la mondialisation, nombreux ont été les puissances qui ont compris l’enjeu de contrôler les espaces maritimes et de sécuriser les routes maritimes. « Aujourd’hui, l’eau est devenue un enjeu géopolitique majeur. Certains parlent même de « guerre de l’eau ». Alors que la population mondiale augmente, l’écoulement d’eau douce n’arrive pas à suivre », a appuyé le spécialiste en Relations internationales. Docteur Bara Amar ajoute que le début des années 2000 a été l’âge d’or d’une littérature florissante sur la thématique des conflits hydriques présentés comme les nouvelles guerres à venir.

Choix entre l’hydro-diplomatie et la guerre de l’eau 

Fadi Comair est même convaincu que les États ont à faire le choix entre le processus d’hydro-diplomatie qui permettra de nourrir la population et la guerre. Concernant le cas du Nil, il a proposé de réunir l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan grâce à l’hydro-diplomatie pour trouver une solution pacifique. Cela est vital pour l’Égypte qui invoque un « droit historique » sur le fleuve depuis un traité de 1929 et qui dépend du Nil pour environ 97% de ses besoins en eau. D’autres pays ont aussi réussi à entretenir de bonnes relations diplomatiques et sont même allés vers une meilleure intégration grâce à une bonne hydro-diplomatie avec des organismes de gestion de bassins cités en exemple comme l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (Omvs) ou l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (Omvg).

SÉNÉGAL : Des ressources en eau fortement tributaires de la pluviométrie 

Le Sénégal dispose de ressources en eau fortement tributaires des conditions pluviométriques, donc fragiles et très mal réparties dans le temps et l’espace. 

La question de l’eau est un enjeu majeur au Sénégal compte tenu de son impact sur différents secteurs de développement : santé, industrie, environnement, agriculture, tourisme, etc. Le pays dispose d’un potentiel caractérisé par les eaux pluviales, les eaux de surface et les eaux souterraines. D’abord les eaux pluviales. Le Sénégal en enregistrait 176 milliards de mètres cubes au lendemain des indépendances. Entre temps, il y a eu la longue période de sécheresse des années 70 avec son impact sur les apports pluviométriques qui sont actuellement de 132 milliards de mètres cubes par an. Des pluies permettant de recharger les nappes et sont concentrées sur trois à cinq mois avec des disparités régionales : 1 200 mm à Ziguinchor et 250 mm à Saint-Louis.

Ensuite, il y a les eaux de surface avec 72 stations hydrologiques opérationnelles reparties entre les grands systèmes des fleuves Sénégal, Gambie, Casamance et Kayanga. D’autres cours d’eau à écoulement non pérenne (Saloum, de petites rivières côtières, lacs côtiers et mares) complètent ces systèmes. Ces cours d’eau abritent une faune et une flore spécifiques, et leurs aménagements (barrages, bassins de rétention) permettent le développement d’activités socio-économiques diversifiées.

Et il y a enfin les eaux souterraines représentées par les groupes d’aquifères au nombre de quatre : les systèmes aquifères superficiels intermédiaires, le système aquifère profond et les aquifères du socle. Ce sont ces aquifères qui permettent de satisfaire les besoins en eau là où les eaux de surface font défaut. Le suivi de toutes ces eaux (pluviales, souterraines et de surface) est assuré par la Direction de la gestion et de la planification des ressources en eau (Dgpre) qui dispose ainsi d’instruments politiques et juridiques très diversifiés, notamment avec les Lettres de politique sectorielle (hydraulique urbaine, agriculture, élevage etc.) et d’innombrables textes de lois, décrets, arrêtés et circulaires.

Des handicaps sérieux limitent encore la planification des ressources en eau pour satisfaire les usages et protéger la ressource. Le réseau hydrométrique qui compte actuellement 72 stations fonctionnelles (sur 150 créées) ne permet d’effectuer qu’un suivi limité aux principaux cours d’eau du pays. Quant aux campagnes pré-hivernales de remise en état des stations, les crédits disponibles sont insuffisants. Et il est urgent de renforcer la Dgpre en ressources humaines et en matériel pour lui permettre de fonctionner normalement et de jouer pleinement son rôle de suivi, de collecte et de traitement des données. L’enjeu est énorme : 24 milliards de m3 d’eau douce venus du fleuve Sénégal se jettent en mer chaque année. Un volume impressionnant qui aurait pu être récupéré en aval du cours d’eau et redirigé vers les zones arides pour doper l’agriculture au Sénégal.

PROJET ÉNERGIE DE L’OMVG : De l’eau pour faire jaillir la lumière dans les 4 pays membres 

Grâce aux ressources en eau du bassin du fleuve Gambie, l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie met en œuvre le « Projet énergie » qui va permettre à des millions de populations dans les 4 pays membres d’avoir accès à l’électricité. 

Quand El Hadj Lansana Fofana, Haut-commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (Omvg), parle du « Projet énergie », il n’a même pas besoin de lire des notes. Il maîtrise par cœur ce projet qui va permettre à cet organisme qui regroupe le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau et la République de Guinée, de construire une ligne d’interconnexion longue de 1 677 km avec 15 postes répartis dans les différents pays. Trouvé en cette fin de journée du vendredi 18 mars 2022 dans son bureau situé à l’Immeuble Serigne Bassirou Mbacké sur la route de Ouakam qui abrite le siège de l’Omvg, El Hadj Lansana Fofana prépare activement le 9ème Forum mondial de l’eau qui démarre ce lundi 21 mars à Dakar. L’Omvg est dans l’organisation de cette grande rencontre. Elle a accompagné la candidature du Sénégal pour abriter cette grande rencontre internationale. Depuis que Dakar a été choisie comme ville hôte, l’Omvg a participé activement aux travaux préparatoires, a renseigné le Haut-commissaire.

Cette rencontre internationale sera une tribune pour l’Omvg afin de montrer toutes ses réalisations autour de la mise en valeur des ressources en eau qui sont dans le bassin du fleuve Gambie. Même si l’appellation « Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie » est plus connue du grand public, en réalité, explique le Secrétaire général Ababacar Ndao, l’Omvg s’occupe de trois bassins : le fleuve Gambie, le Koliba/Corubal et la Kayanga/Geba. Cependant, l’un des projets phares de l’organisme de bassin, aime à répéter le haut-commissaire, est le « Projet énergie ». Un grand projet financé à hauteur de 722 millions de dollars, soit plus de 400 milliards de FCfa, qui a permis de sortir l’Omvg, créée en 1978 à Kaolack, de sa « petite léthargie ». Le « Projet énergie » a permis de construire 700 km de ligne au Sénégal avec 4 postes, 575 km en République de Guinée et 5 postes, 278 km en Guinée-Bissau avec 4 postes et 183 km avec 2 postes en Gambie. Cette ligne d’interconnexion est la première composante du « Projet énergie » de l’Omvg. En effet, « deux dispatchings » se trouvent sur cette ligne d’interconnexion. Le premier est sur le poste de ligne 100 en République de Guinée. Selon le Haut-commissaire de l’Omvg, la ligne 100 constitue le poste stratégique de ce projet car « il est le croisement de toutes les interconnexions de la sous-région ».

La ligne d’interconnexion Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra-Léone, Guinée est aussi raccordé à cette ligne 100. Quant au deuxième poste qui est Tambacounda au Sénégal, il permet d’interconnecter directement les lignes existantes de l’Omvs à la boucle de l’Omvg. « Le projet énergie de l’Omvg est un véritable instrument d’intégration.

Lutte contre l’insécurité alimentaire 

Par ailleurs, cette ligne va aider les pays membres dans leurs projets d’électrification rurale. Le Haut-commissaire de l’Omvg informe que tout village situé à 100 km des postes de transformation sera raccordé afin de bénéficier de l’énergie. Pour mettre en œuvre ce projet, informe-t-il, la Banque mondiale a dégagé 63 millions de dollars pour le gouvernement gambien et 60 millions de dollars pour la Guinée-Bissau. Concernant le Sénégal et la République de Guinée, dit-il, les deux pays sont en train de finaliser leurs requêtes pour que le travail d’électrification rurale puisse démarrer parallèlement avec la construction du barrage de Sambangalou, une contrée située dans la région de Kédougou à la frontière avec la République de Guinée. Ce projet est la deuxième composante du « Projet énergie » de l’Omvg. Il s’agit d’un aménagement hydroélectrique d’une puissance installée de 128 mégawatts. « Ce barrage a une importance toute particulière. Il permet l’irrigation à l’aval de 90 000 ha pour la lutte contre l’autosuffisance alimentaire. Il y aura 40 000 ha au Sénégal et 50 000 ha en Gambie. C’est un barrage important dans le système de l’espace Omvg et il permettra, en Gambie, au plan environnemental, de repousser la remontée de la langue salée sur 100 km pour récupérer des terres agricoles », explique El Hadj Lansana Fofana. « Le financement du projet d’un coût de 388 millions d’euros est pratiquement obtenu », ajoute M. Fofana. Celui-ci informe que les travaux de l’aménagement hydroélectrique de Sambangalou pour une durée de 4 ans seront lancés dans le deuxième semestre de l’année 2022.

(LESOLEIL)

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