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Dossier : Comment le Ghana veut devenir un leader africain dans la transformation de la bauxite

Mi-août, le chinois Bosai Minerals a jeté un pavé dans la mare au Ghana, en annonçant son retrait de la Ghana Bauxite Company (GBC). Elle veut céder ses 80% d’intérêts, acquis en 2009, dans la seule compagnie produisant de la bauxite dans le pays. S’il se confirme, ce retrait sera certes un coup dur pour l’Etat ghanéen qui cherche à mieux tirer profit de ses réserves de bauxite, mais il ne devrait pas remettre en cause le développement d’un secteur qui a beaucoup à offrir. Explications.

Un coup d’arrêt surmontable

Bosai Minerals justifie son départ par le refus du gouvernement de prolonger son bail minier actuel, qui expire le 9 janvier 2022, alors qu’elle en a fait la demande en janvier 2020, soit il y a plus d’un an et demi. Cette explication pourrait à elle seule suffire à comprendre pourquoi il n’y a pas de sérieuses raisons de s’inquiéter pour le sort de l’exploitation de la bauxite dans l’ex-Gold Coast. Sans solution de rechange, on voit mal, en effet, l’Etat provoquer ainsi la fin d’une collaboration fructueuse, jusque-là.

1 camionNana Akufo-Addo : « Nous devons accélérer notre développement industriel et nos activités de transformation »,

Faut-il le rappeler, Bosai Minerals a hérité, à son arrivée dans le pays, il y plus de 10 ans, d’une entreprise cumulant des pertes de plusieurs millions de dollars chaque année. Elle a redressé la société, faisant notamment passer les exportations de bauxite de 748 232 tonnes en 2007 à 1,16 million de tonnes l’année dernière, selon les données de la Chambre des mines du Ghana. Dans le même temps, les revenus d’exportation ont dépassé 37 millions $ en 2020, contre 13,4 millions $ en 2011.

« Il s’agit d’une société qui enregistrait des pertes d’environ 11 millions $ par an avant que nous ne la reprenions. Nous avons constamment réduit les pertes au fil du temps, et grâce à une gestion prudente, la société a réalisé un bénéfice de 6 millions $ l’année dernière.»

« Il s’agit d’une société [GBC, Ndlr] qui enregistrait des pertes d’environ 11 millions $ par an avant que nous ne la reprenions. Nous avons constamment réduit les pertes au fil du temps, et grâce à une gestion prudente, la société a réalisé un bénéfice de 6 millions $ l’année dernière », indique J. K. Fang, DG de la Ghana Bauxite Company.

2 ghana« Le gouvernement envisage toutes les options pour protéger l’intérêt des travailleurs »

La société emploie 700 travailleurs pour ses opérations à Awaso, soit autant de salariés qui sont sur le point de perdre leur principale source de revenus, en cas d’arrêt effectif des opérations. Ils sont montés au créneau peu après l’annonce de Bosai Minerals, appelant le gouvernement à résoudre la situation ou à s’assurer du versement de leurs indemnités de départ avant le retrait de Bosai Minerals. En visite sur le site, quelques jours plus tard, George Mireku Duker, vice-ministre des Terres et des Ressources naturelles, a tenu à les rassurer, indiquant que leurs intérêts seraient protégés quoi qu’il arrive.

« Le gouvernement envisage toutes les options pour protéger l’intérêt des travailleurs […] Si, en fin de compte, nous estimons qu’il ne sera pas dans l’intérêt du contribuable que le gouvernement gère l’entreprise, nous la confierons à un tiers », a-t-il expliqué, laissant transparaitre la confiance du gouvernement pour l’après-Bosai.

Des milliards $ d’investissements en cours

A Accra, les raisons d’être confiants quant à la mise en valeur des gisements de bauxite du pays ne manquent pas en effet, même si le départ de l’entreprise chinoise se confirme. Plusieurs projets de bauxite sont en effet en cours de développement dans le pays, pilotés par des investisseurs prêts à dépenser des milliards de dollars pour exploiter des réserves nationales estimées à 900 millions de tonnes.

Le plus récent témoignage de cet engouement pour la bauxite ghanéenne est la conclusion d’un contrat de 1,2 milliard $ entre l’Etat et la société ghanéenne Rocksure International. L’accord a été négocié par la Ghana Integrated Aluminium Development Corp (GIADEC), compagnie publique créée justement en 2018 par le gouvernement, dans le but de développer une industrie nationale de l’aluminium, en trouvant des partenaires stratégiques. Elle détient directement les 20% d’intérêts de l’Etat dans la GBC et prendra une participation de 30% dans la coentreprise qui sera formée avec Rocksure International. Notons que l’investissement de cette dernière sera consacré au développement d’une mine de bauxite à Nyinahin-Mpasaaso. Ce projet héberge des réserves estimées à 390 millions de tonnes et la mine qui y sera construite, pour un coût estimé à 200 millions $, devrait produire annuellement 5 millions de tonnes de bauxite. Le milliard de dollars restant servira, apprend-on, au développement d’une raffinerie de bauxite chargée de transformer localement le minerai, un vœu cher au régime de Nana Akufo-Addo.

Le milliard de dollars restant servira, apprend-on, au développement d’une raffinerie de bauxite chargée de transformer localement le minerai, un vœu cher au régime de Nana Akufo-Addo.

« Nous ne pouvons pas, à notre époque moderne, nous permettre d’hésiter à valoriser nos ressources naturelles de bauxite. Nous devons accélérer notre développement industriel et nos activités de transformation », résume le président ghanéen.

C’est d’ailleurs l’une des raisons avancées par la presse ghanéenne pour expliquer le refus opposé à Bosai Minerals, quant au renouvellement de son bail minier. La société n’aurait en effet aucun projet de raffinerie à court ou moyen terme, alors qu’elle s’apprêtait dans le même temps à investir pour exploiter de nouveaux gisements sur le site. En effet, la mine actuelle, connue sous le nom d’Ichiniso, arrivera en fin de vie dans moins de six mois. En cas de départ de Bosai, la GIADEC ou le repreneur du projet devra donc être un investisseur prêt non seulement à exploiter la bauxite, mais aussi à la transformer sur place.

Toujours au niveau des projets en cours dans le pays, le gouvernement a signé en 2018 un accord de 2 milliards $ avec la Chine. Validé par le Parlement, il porte sur l’extraction puis l’exportation de bauxite raffinée vers l’empire du Milieu, en échange d’infrastructures de transport, d’écoles et d’hôpitaux. Malgré l’opposition des écologistes qui craignent que l’exploitation minière n’endommage des écosystèmes vitaux pour les populations locales, notamment la réserve forestière de l’Atewa qui fournit de l’eau à 5 millions de personnes, la mise en œuvre de l’accord se poursuit. Aucune date n’a néanmoins été communiquée pour l’entrée en production des mines. Enfin, la GIADEC doit encore trouver de nouveaux investisseurs pour les gisements de Kyebi et de Nyinahin notamment, puisque sa feuille de route porte sur des projets de mines et de raffineries d’une valeur de 6 milliards $.

Devenir un hub africain de l’aluminium

Comme l’ont récemment démontré les inquiétudes du marché quant à l’offre de bauxite ainsi que l’envolée du cours de l’aluminium après le coup d’Etat du 5 septembre à Conakry, l’approvisionnement mondial en bauxite dépend largement de la Guinée, deuxième producteur mondial et pays qui héberge plus du tiers des réserves connues.

3 valcoL’usine de Valco tourne actuellement à 20% de sa capacité nominale.

Selon la Banque mondiale pourtant, la Guinée ne figure pas dans les 10 premiers producteurs mondiaux d’aluminium, une anomalie que ne veut pas connaitre le Ghana. Détenue entièrement par l’Etat, la Volta Aluminium Company (Valco) est le fer de lance de cette stratégie dénommée « Integrated Aluminium Industry » et visant à construire des raffineries, des fonderies et d’autres industries en aval pour la transformation de la bauxite. Selon les autorités, les revenus attendus sur l’ensemble de cette chaine de valeur pourraient dépasser le milliard de dollars et entrainer la création de plus de 2,3 millions d’emplois.

Selon les autorités, les revenus attendus sur l’ensemble de cette chaine de valeur pourraient dépasser le milliard de dollars et entrainer la création de plus de 2,3 millions d’emplois.

Pour le moment, l’usine de Valco a une production annuelle de seulement 40 000 tonnes d’aluminium primaire, soit 20% de sa capacité nominale de 200 000 tonnes et bien loin des 717 000 tonnes d’aluminium raffiné produites en 2020 par l’Afrique du Sud, premier producteur du continent d’après la Banque mondiale. Il existe néanmoins de sérieux motifs d’optimisme quant à l’atteinte des objectifs du gouvernement ghanéen.

La demande mondiale de bauxite et surtout d’aluminium est en effet en hausse, portée par les besoins de la transition énergétique, notamment dans le secteur des véhicules électriques. Selon un rapport publié en 2018 par le londonien CRU Group, la demande d’aluminium dans les véhicules électriques devrait atteindre 10 millions de tonnes environ d’ici 2030, soit 10 fois la consommation du secteur en 2017. Alors que le boom des véhicules électriques est en cours sous l’impulsion des politiques visant à interdire les moteurs diesel ou essence, cette prédiction pourrait se réaliser plus tôt et la demande, être plus importante. Les investisseurs ne devraient donc pas hésiter à nouer des partenariats avec l’Etat ghanéen, afin de l’aider à devenir un hub africain de l’aluminium dans quelques années.

(AGENCE ECOFIN)

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