En Côte d’Ivoire, plusieurs décennies de politiques d’expansion de la production de cacao sont à la base des prix peu rémunérateurs perçus par les producteurs locaux. C’est ce qu’a confié à l’Agence Ecofin, François Ruf chercheur économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
Entre 1980 et 2017, le responsable estime que la récolte du pays a quintuplé, passant de 400 000 tonnes à 2 millions de tonnes grâce au processus de migration massive, l’arrivée de centaines de milliers de migrants depuis le centre et le nord de la Côte d’Ivoire et surtout depuis le Burkina Faso.
« Le carburant de ce moteur n’est autre que la forêt tropicale dont le défrichement massif permet aux planteurs de bénéficier provisoirement de la fertilité naturelle des terres forestières vierges. Si la Côte d’Ivoire n’avait pas laissé les migrants toucher à ses forêts classées depuis 2000, sa production de cacao serait réduite de moitié. En d’autres termes, on aurait une récolte plus proche de 1 million de tonnes. Il n’y a pas loin de la moitié du cacao ivoirien qui provient des forêts défrichées depuis 20 ans, qu’elles soient classées ou non », confie l’expert.
Plus globalement, M. Ruf estime que la Côte d’Ivoire double sa production en moyenne tous les 10 ans en moyenne pour un gain final très réduit et au détriment de son patrimoine forestier et de la biodiversité.
D’après le chercheur, les multinationales qui sont accusées de ne pas rémunérer de manière décente le travail des planteurs ont aussi des responsabilités, ne serait-ce qu’en acceptant de « façon détournée, mais avec ferveur le cacao venu des forêts classées ».
« À la limite, la Côte d’Ivoire détruit sa forêt cadeau au profit des multinationales. Je ne nie pas qu’il y ait d’autres facteurs comme la libéralisation qui a été suivie d’une concentration dans l’industrie. Mais l’offre reste pléthorique jusqu’en 2022. C’est pour ça que la politique du différentiel de revenu décent a échoué. Envers et contre tout, les multinationales ont obtenu le cacao au prix qu’elles veulent. Tant que la surproduction s’impose, elles n’ont aucune raison de faire une faveur aux planteurs et aux États producteurs. Si elles commencent à céder quelques avantages ici ou là, c’est soit par communication, soit parce qu’elles anticipent une récession cacaoyère à venir, sous l’effet de la disparition des dernières forêts, du changement climatique ou de la maladie du Swollen shoot », estime le chercheur.
« Les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel »
En Côte d’Ivoire, la production de cacao fluctue depuis 3 ans autour des 2 et 2,2 millions de tonnes. Le bilan est rendu compliqué par les mouvements de cacao aux frontières avec le Ghana qui a récemment contribué à la production « ivoirienne » et peut-être aussi du côté du Liberia et de la Guinée.
Si on ne peut pas prédire une chute drastique de la récolte dans les prochaines années, M. Ruf indique néanmoins que la machine de production actuelle pourrait se gripper.
« La [rente forêt] a disparu et le secteur du cacao manque sévèrement de main-d’œuvre, attirée vers l’hévéa et l’orpaillage. Les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel donc il y a un moment, où la production ivoirienne va chuter. C’est écrit dans l’histoire universelle du cacao », souligne l’expert. À la question dans quel intervalle de temps, le retournement de tendance aura lieu, le chercheur reste prudent.
« Je m’étais trompé quand j’avais fait sortir mon livre [Boums et crises du cacao, les vertiges de l’or brun] en 1995. Au moment de finir le bouquin en 1994, la Côte d’Ivoire produisait à peu près 800 000 tonnes. J’avais alors indiqué que le pays atteindrait certainement un million de tonnes, mais ne pourrait pas tenir le rythme. Je pensais que la production ivoirienne allait commencer à baisser. En fait, je vivais alors en Indonésie et n’étais plus sur le terrain pour me rendre compte que les migrants continuaient d’attaquer les forêts classées. Donc, faute de présence sur le terrain à cette période, je me suis complètement trompé. La Côte d’Ivoire a bien atteint le million de tonnes, mais ce n’était pas un sommet à partir duquel elle aurait décliné ! Le sommet est sans doute atteint en 2022 entre deux millions et deux millions et demi et le déclin n’est pas encore visible, mais il y a un moment où cela aura lieu. C’est sûr puisqu’il ne reste quasiment plus de forêts en Côte d’Ivoire tandis que les planteurs continuent de lorgner les alternatives comme l’hévéa. Le déclin du cacao ivoirien a peut-être même commencé en 2023 puisque le cours mondial amorce une remontée en dollars courants », explique-t-il.
Ecofin