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Chine-Afrique, les contours d’un sommet asymétrique : L’entretien avec l’économiste Pape Demba Thiam

Dakar accueille, du 28 au 30 novembre prochain, le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) sous le thème du développement durable. Il s’agira pour les 54 pays africains de chercher à négocier une participation équitable au moyen d’une approche plus stratégique et d’une coordination plus travaillée. Rien qu’un vœu pour l’expert en développement, Papa Demba Thiam qui expose ici les linéaments d’un Sommet asymétrique.

Ce fin novembre, se tiendra le 8e Forum sur la coopération sino-africaine. Commentant l’évènement, le ministre des Affaires étrangères dit que sa réussite va apporter la prospérité aux peuples africains et chinois. Cet optimisme est-il partagé les économistes ?
Quand on dit qu’une coopération peut être un succès, on ne peut contredire un tel vœu. La question est de savoir est-ce qu’on a posé les jalons pertinents, cohérents et intégrés qui permettent d’atteindre cet objectif ? Ensuite, comment on définit la prospérité partagée ? Que ça soit du côté chinois ou du côté africain, tout en sachant qu’il y a des Afriques. Enfin, avant de la partager, la prospérité est déjà à créer. Comment on la crée dans nos pays ? A mon avis, la seule manière raisonnable de créer de la prospérité partagée, c’est de développer des chaînes de valeur industrielles dans tous nos secteurs. Pour qu’on puisse croire à cette projection, encore faudrait-il qu’on nous donne les linéaments d’une construction stratégique qui permettent de dire que cette coopération va être basée sur une planification d’investissements, d’opérations, de formations… qui permettent la participation du plus grand nombre aux activités économiques et sociales. Ce sont des principes de base.

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Justement, lors du sommet de 2018, il avait été mis en place un plan d’actions qui tourne, entre autres, autour de la promotion industrielle, de l’interconnexion des infrastructures, de la facilitation du commerce…
Les plans ne sont pas à confondre avec la stratégie. Le plan va dire la stratégie qui définit ses objectifs, les moyens de les atteindre dans tous ses comportements les plus granulaires. La stratégie de la mise en œuvre opérationnelle est une autre chose. Un plan d’actions ne peut pas se résumer à des réunions, des déclarations, des rencontres… Un des points du plan, la planification agricole, a-t-il interpellé des opérations précises dans des pays précis, coordonné par un Secrétariat d’exécution, un système de suivi et d’évaluation ? Si tel est le cas, le bilan qui se fera lors de cette édition le dira. Évaluer le plan d’actions est un bon objectif. L’Afrique est une somme de pays, comment le plan d’actions a été décliné pour chacun des 54 pays ?

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Est-il alors encore trop précoce pour parler de gagnant-gagnant pour le Sénégal ?
On peut le dire si on n’est capable d’établir la fonction de transformation entre les variables qui ont été utilisés et le résultat obtenu. Même s’il y a eu une augmentation du trafic commercial entre la Chine et l’Afrique, il faut être sûr de l’attribuer aux variables d’actions utilisés. Je crois que le gros problème qu’on a, c’est la faiblesse de nos Administrations, la faiblesse du conseil en matière stratégique. Souvent, nous venons dans ces sommets sans rien préparer. Les Chinois savent ce qu’ils veulent faire en Afrique, ils ont des variations paradigmatiques très claires. Quand ils viennent devant leurs interlocuteurs africains, ils savent sur quel dossier insister pour chaque pays. S’ils ont en face des gens qui n’ont pas préparé leurs dossiers, les conclusions du Sommet seront à sens unique : les mieux préparés feront passer leur agenda.

Vous ne semblez pas croire, en tant qu’économiste, à cette coopération sino-africaine ?
Je ne suis pas qu’économiste, je suis aussi entrepreneur et financier. Mon côté économique me permet d’avoir une vision globale de là où on veut emmener le pays, mon côté entrepreneur me permet de penser aux actions qu’il faut aligner pour y arriver. Je ne peux pas avoir d’a priori, je réponds à tous les rendez-vous parce qu’il est un succès en fonction de ce qu’on y discute. La dernière fois, avec le Sommet pompeux sur la relance des économies africaines, aucun discours n’était actionnable et pourtant, on a mobilisé une cohorte de chefs d’État sans que cela n’ait rien donné. On a parlé des quatre envoyés de l’Union africaine pour régler le financement des économies africaines post-Covid-19, on en entend plus parler, il y a eu beaucoup de buzz, mais le résultat après un an et demi, c’est zéro. Et pourtant, cela aurait pu être prévu s’ils avaient montré depuis le début les linéaments. Aujourd’hui, il faut qu’on ne se fasse pas leurrer par des catalogues d’intention.

Lors du dernier Sommet, le Sénégal tablait sur un financement de 500 milliards de FCfa pour investir principalement dans les infrastructures. Ce sont aussi des emprunts qui pèsent sur les finances publiques…
Si on a la capacité de transformer des ressources financières en richesse, rien n’empêche de continuer à s’endetter parce qu’il y aura, à ce moment-là, une relation de cause à effet entre l’endettement et l’augmentation de la richesse. Ce ne serait pas un mauvais endettement, contrairement à celui autiste qui, parce qu’on a des difficultés budgétaires, on doit de suite trouver des financements par n’importe quel moyen, et n’importe quel taux. C’est cette stratégie de survie qui anime les réactions de beaucoup d’États africains à tel point qu’ils ne regardent pas ce qui est dans leur angle mort. L’endettement est un piège à servitude.

(L’OBSERVATEUR)

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