La campagne de commercialisation de l’arachide n’a pas été bonne cette année, laissant plusieurs tonnes dans les bras des producteurs. Pour ceux qui sont parvenus à écouler leurs produits, beaucoup n’ont pas encore vu la couleur de l’argent, du fait des difficultés de la Sonacos à sortir l’argent. Toutes choses qui ont fait que la réunion de bilan tenu il y a une dizaine de jours au siège du ministère de l’Agriculture, a tourné au procès en règle de la Compagnie nationale.
Le comité de suivi de la campagne de commercialisation de l’arachide qui s’est réuni le mardi 2 février au ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural sous la présidence du directeur de Cabinet du ministre, a fait un bilan sans concession de la campagne et des ratés qui l’ont émaillée. Ce fut aussi un grand moment pour la plupart des acteurs présents, de faire le procès de la Sonacos, l’industrie huilière nationale. Les participants à la rencontre ont relevé que la Sonacos, qui avait annoncé être en mesure de mettre 35 milliards pour la collecte de graines, n’en aurait même pas dépensé 15 milliards, c’est-à-dire moins de la moitié, selon les calculs du Comité national interprofessionnel de l’arachide (Cnia). De quoi mettre la société dirigée par le président du Conseil départemental de Kébémer sur la sellette.
Les participants à la rencontre, aussi bien les huiliers, producteurs, operateurs, exportateurs que transformateurs, se sont désolés de ce qu’une bonne partie de la production de cette année n’a toujours pas pu être écoulée. Une situation lourde de conséquences, que nombre d’entre eux ont expliqué par le dérèglement du système de collecte par la Sonacos. Les gens ont rappelé qu’aux premières heures de la campagne, la Compagnie nationale avait voulu jouer la surenchère en fixant un prix d’achat dit promotionnel, de 296 francs Cfa le kilo. Un montant sur lequel les autres huiliers n’ont pu s’aligner. Copeol, l’un des plus gros huiliers privés, proposait pour sa part, 277 francs aux paysans. Les autres, notamment Wao et Cci, avaient fini par baisser les bras, laissant la Sonacos seule sur le terrain. Mais à la surprise générale, l’huilier national a très vite perdu de son élan, pour une société publique qui disait détenir un financement d’environ 35 milliards. Elle n’arrivait plus à maintenir le même prix.
La situation est telle que même les acteurs du secteur s’en inquiètent. Ainsi, M. Cheikh Tidiane Cissé, membre du Cnia, et Secrétaire général de la Fédération des agriculteurs du Bassin arachidier a affirmé, au cours de la réunion, que «la Sonacos n’a dépensé que 15 milliards sur les 35 milliards de financement annoncés avant l’ouverture de la campagne». D’où la question pour lui, de savoir ce qu’il est devenu du reste du financement dont se gargarisait l’entreprise dirigée par Modou Diagne Fada. Ce à quoi Mbaye Dièye, Secrétaire général de la Sonacos, a répliqué : «La Sonacos a collecté pour une valeur de 25 milliards, répartis comme suit : 23 milliards pour les opérateurs et 2 milliards pour les contractuels.»
Cette déclaration de M. Dièye a été battue en brèche par Modou Fall, le président de la Fédération nationale des opérateurs privés stockeurs et transporteurs (Fnops/T). Ce dernier a indiqué : «La démarche de la Sonacos pose problème, dans la mesure où les responsables font exprès de la rétention d’informations capitales permettant de bien apprécier l’évolution de la campagne. Pour preuve, les chiffres officiels du Cnia sont totalement différents de ceux donnés par la société nationale. En tout cas, sur 117 000 tonnes collectées, la Sonacos nous doit près de 20 milliards. Je me demande alors où sont passés les 25 milliards annoncés par le Secrétaire général.» M. Fall ajoutera par ailleurs : «La Sonacos ne peut pas être le bras armé de l’Etat dans la campagne de commercialisation et ramer à contre-courant des intérêts des paysans. Au début, la Sonacos achetait au prix de 296.5 francs rendus usine. Par la suite, le prix est descendu à 276.5 Cfa rendus usine. Soit la Sonacos n’a pas l’argent qu’elle prétendait avoir ou bien elle ne se soucie pas de l’intérêt des paysans.»
On se rappelle que du fait de la mauvaise qualité des graines récoltées cette année, les exportateurs, notamment chinois, ne se bousculaient pas au portillon pour acheter l’arachide. Ce qui avait contraint l’Etat à lever la taxe à l’exportation de l’arachide, renonçant ainsi à 90 milliards de francs, pour inciter les exportateurs. Les défaillances de la Sonacos ont fait que, en plus de Ssi qui a pu acquérir 4000 tonnes, certains exportateurs commencent à pointer timidement du nez. Mais pour l’essentiel, le bilan a été fait que soit l’arachide n’est pas écoulée, soit pour ceux qui ont vendu à la Sonacos, beaucoup ont vendu à crédit. D’où le spectre du retour des bons impayés dans le monde rural.
Au point que certains acteurs commencent à se demander s’il fallait à l’Etat, de renationaliser la Sonacos, vu que pour l’essentiel, cette compagnie ne raffine plus l’huile et se contente de réexporter l’arachide qu’elle achète. L’ennui est qu’en voulant se montrer plus compétitive que les petites industries huilères qui, elles, continuent de produire de l’huile, elle perturbe le marché et déstabilise la production nationale de l’arachide. La conséquence, comme l’a noté un des participants : «La Sonacos ne fait plus de production depuis belle lurette, parce que les machines n’arrivent plus à tourner. La seule activité de l’entreprise est d’acheter et de vendre des graines aux étrangers. Cependant, la quantité collectée cette année ne pourra pas être vendue, parce que la production est de mauvaise qualité. Ce sera un surplus à la quantité de graines stockée depuis l’année dernière. Où est donc la rentabilité pour une société qui fonctionne avec l’argent du contribuable.»
Déjà, il faudra trouver le moyen de payer les paysans et les Op qui auront fait confiance à l’industrie nationale.
(LEQUOTIDIEN)