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Interview / Cherif Salif Sy : ” Le temps est arrivé, avec cette pandémie, de se pencher sur les propositions de développement alternatives “

“Business News Africa” vous propose cette pertinente interview de l’économiste sénégalais Chérif Salif Sy publiée par le quotidien “L’Observateur”. Il partage son analyse sur la crise sanitaire du coronavirus et ses conséquences économiques. Entretien.

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Dans un de vos « posts » facbook vous avez mis à nu le modèle économique de l’Afrique caractérisé par une course aux importations de biens d’équipement, d’aliments, de médicaments, (…), depuis des décennies. Pourquoi une telle critique ? Pensez-vous qu’aujourd’hui l’Afrique est mal barrée dans ce contexte de crise mondiale ?

Je n’ai pas parlé de course. J’ai voulu montrer que les Etats en Afrique au Sud du Sahara, particulièrement, ont manqué de vigilance sur les problèmes de sécurité et de défense nationale. Entendons-nous, la défense nationale n’est pas que militaire, elle est aussi économique, culturelle et sociale. Ainsi, depuis des siècles, les penseurs et les hommes politique préoccupés par le développement (on ne le disait pas ainsi) de leur pays ont assigné à l’Etat légitime, le devoir et le pourvoir de satisfaire aux besoins fondamentaux de leur peuple : le processus était décliné comme suit : sécurité (se nourrir soi-même et maîtriser les conditions de l’accumulation), assurer l’ordre, garantir le bien-être économique et sociale et garantir la justice équitable. Au fil des décennies, même les grands pays industrialisés qui avaient emprunté cette voie, l’on abandonnée à travers des délocalisations de leurs productions ! Les pays africains, colonisés ont vécu dans un contexte d “Etat importé” avec des économies extraverties. Ils n’avaient pas la souveraineté sur beaucoup de maillons du développement économique et social (production, système bancaire, science et technologie etc.) Au moment des indépendance, ils n’ont pas assez tiré les leçons de tout cela ! La dépendance et la soumission aux grands pays industrialisés ont continué. Mais, admettons que soixante ans, c’est encore jeune mais c’est beaucoup aussi. Changer les choses reste encore à la portée des pays si la volonté politique y est.

Vous dites que les Africains sont malades et ils découvrent seulement maintenant qu’ils s’empoisonnent eux-mêmes depuis si longtemps. Mais, la faute à qui ?

C’est une manière de parler. Lorsque vous laissez le reste du monde nourrir vos populations, vous imposer et financer vos programmes scolaires, vous imposer les médicaments qu’ils fabriquent, vous procurer vos équipements, vos machines et vos outils, si après soixante ans vous n’agissez pas assez vigoureusement pour produire, fabriquer, nourrir et vous équiper vous-mêmes, il y va de votre responsabilité dans cette dépendance, vous êtes responsable d’une telle situation. Il me sembler important, dès lors, que les pays comprennent que la science et la technologie sont aujourd’hui la ressource centrale, facteur de marginalisation ou d’avancée d’un pays. Une autre condition est que le secteur privé national soit consulté sur toutes les options de développement et mieux associé à leur mise en œuvre, car la conjoncture n’autorise plus que « nationalisme et patriotisme économique » consistent seulement à ôter d’entre les mains du capitaliste privé étranger un instrument de production pour en faire un instrument national, c’est-à-dire, en pratique, un instrument de l’État. Loin de moi l’idée d’un secteur privé national assurant seul les transformations économique et sociale nécessaires. Heureusement, beaucoup de gouvernement s’engagent petit à petit dans ces directions.

L’Afrique veut-elle ou peut-elle vraiment sortir de la tombe qu’elle s’est elle-même creusée en refusant de trouver un modèle économique capable de tirer les populations de leurs misères ?

Le temps est arrivé, avec cette pandémie, de se pencher sur les propositions de développement alternatives. Et il n’est pas nécessaire de les repenser, les économistes et hommes politiques africains y ont travaillé depuis plus de 70 ans. Il s’agit de les mettre en œuvre.

La sortie des deux chercheurs français, professeur Jean-paul Mira, chef de service de réanimation de l’hôpital Cochin à Paris, et professeur Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale, proposant de tester en Afrique le vaccin anti-tuberculose BCG, dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus a suscité une polémique. Quel est votre avis là-dessus ?

Les vaccins ont aidé les hommes à éradiquer beaucoup d’épidémies, depuis que le monde a pris conscience de leur utilité, Sans eux le monde ne serait certainement pas ce qu’il est aujourd’hui. Concernant les chercheurs Français dont vous parler, il me semble qu’ils ont admis avoir mal exprimé ce qu’ils souhaitaient pour les pays africains. Il reste à en prendre acte et continuer à travailler avec les africains qui en ce moment même combattent la pandémie avec un succès certain.

Le club des avocats au Maroc a décidé de porter plainte contre ces chercheurs pour diffamation raciale auprès du procureur de la République. Qu’est-ce cela vous dit ?

C’est leur droit.

Quelle doit être aujourd’hui la solution pour tirer l’Afrique de son impasse actuelle ?

Si j’avais LA solution, je la vendrais aux différents gouvernements et je deviendrais riche. Mais il y a beaucoup de pistes exprimées depuis très longtemps par nos sociologues, les économistes, les géographes, les médecins etc. Il faut lorsque le calme sera revenu mettre ça et là des groupes de travail sur toutes les propositions, comme sont entrain de le faire certains pays industrialisés qui souhaitent tirer les leçons les plus utiles possibles de cette crise.

La solution pour une Afrique économiquement puissante doit-elle venir des politiques, des économistes ou des peuples ?

Il n’y a pas « la solution » mais les solutions qui viendront de toutes les partie-prenantes de nos populations, sous la direction des gouvernements démocratiquement élus et responsables.

Qu’est-ce qui bloque réellement le décollage économique des pays comme le Sénégal et qu’il faudrait combattre à tout ?

En 60 ans la plupart des pays du continent ont fait mieux que les anciens colonisateurs. Il faudra qu’ils impliquent d’avantage leurs universitaires, experts et techniciens ainsi que les autres acteurs de la société.

Dans son discours à la Nation du 3 avril, le Président Macky Sall a fait savoir que notre croissance économique soutenue sur plusieurs années est brutalement freinée par le Covid-19 et passera de 6,8% à moins de 3%.

Oui, l’élan est brisé pour la grande majorité des pays du monde dont le Sénégal. Il faut dès maintenant commencer à faire le point sur la situation et envisager des stratégies de sortie de cris. Le choc est brutal, violent et les dégâts seront très importants.

Sur quels leviers le Sénégal devra s’appuyer, après la crise sanitaire causée par la maladie à Coronavirus, pour se relever économiquement le plus rapidement possible ?

Je l’ai dit, une meilleure gouvernance qui s’appuie sur les populations et leurs élus locaux, surtout ; une meilleure éducation et sensibilisation des populations sur l’avenir, étant entendu que d’autres épidémies surviendront encore ; un bon système de prévention sanitaire et de meilleures dotations des services ayant une mission de service public parmi d’autres plus économiques que nous n’avons pas le temps de développer ici, d’autant plus qu’il reste à mieux apprécier les impacts du cov19 sur notre pays.

Comment appréciez-vous les mesures économiques prises par le Président Macky Sall pour faire face au Covid-19 qui a presque paralysé tous les acteurs d’activité au Sénégal ?

Pour moi, les mesures annoncées me paraissent tout à fait acceptables. Il reste à travailler pour leur mise en œuvre dans la transparence et que les premiers cercles chargés de la mise en œuvre soient d’une probité morale et intellectuelle sans reproche.

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