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Sommet sur le financement des économies africaines : Quand Macron ‘’se sert de l’Afrique’’ pour battre campagne

Le Sommet sur le financement des économies africaines, tenu mardi à Paris, comme les autres rencontres du genre organisées auparavant, ne permettra pas au continent de trouver la clé de son développement. Pour certains spécialistes des questions économiques, ce dernier rendez-vous est plus ‘’politique’’ pour les intérêts d’un de ses principaux initiateurs, le président français Emmanuel Macron.

Après l’ère des forums organisés pour les puissances occidentales telles que la Chine, le Japon, les Etats-Unis, la Turquie, la France, etc., pour voir comment accroitre leurs investissements en Afrique, le président français, Emmanuel Macron, et ses partenaires ont convoqué, mardi à Paris, un sommet pour trouver les meilleurs mécanismes de financement de l’économie africaine. Ceci, dans un contexte mondial de crise sanitaire qui a mis à terre toutes les économies de la planète.

Mais ce rendez-vous est vu par certains spécialistes des questions économiques comme un moment de campagne pour l’actuel chef d’Etat français. ‘’La pandémie a montré que, de plus en plus, on doit pouvoir compter sur nos propres ressources. Cela doit nous servir de leçon. Le sommet de Paris n’est que politique. Macron est en fin de mandat. Il est en train de préparer sa propre campagne, d’une manière ou d’une autre. Il ne faut pas se leurrer. Ses partenaires sont venus lui prêter main-forte’’, confie à ‘’EnQuête’’ un des consultants sénégalais sous couvert de l’anonymat.

L’économiste affirme qu’on a beau fait des réunions, sommets et tout, mais l’Afrique ne pourra pas arriver à son développement, si elle compte sur la ‘’magnanimité’’ de l’Occident. ‘’Les Occidentaux ne sont pas des philanthropes. Malheureusement, on pensait que cette génération de chefs d’Etat nés après l’indépendance allait prendre en main son indépendance. Parce que c’est des hommes d’affaires bien avertis. Que cela soit Macky Sall, Patrice Talon, etc.’’, renchérit notre source.

Comme beaucoup des théoriciens de la rupture, tels que le professeur Samir Amin qui a théorisé la ‘’déconnexion’’, notre interlocuteur pense que le continent doit s’appuyer sur ses propres forces pour réussir le pari de son développement. A ce propos, l’économiste consultant rappelle que pour le Pr. Amin, ‘’l’aide est un leurre’’. Il renforce les chaines de dépendance. ‘’Cela nous enchaine davantage au lieu de nous libérer. L’aide, c’est pour renforcer davantage les maillons de la chaine de dépendance. Dans les relations franco-africaines, africaines et européennes aussi, c’est toujours la même approche. On fait de grands sommets pour décliner des plans de développement pour l’Afrique. Et les pays africains le voient comme un robinet qui doit être ouvert pour financer le développement économique et social de leurs pays. Donc, on est resté sur le même schéma. Ce qui est dommage’’, regrette-t-il.

Les challenges de l’unité africaine

 Notre source note que 60 ans après les indépendances, les pays comme ceux de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) attendent des moyens, des ressources des pays du Nord pour financer leur développement. Si l’Afrique ne peut pas sortir son propre modèle de développement, le consultant pense que c’est parce que les Africains ‘’ne sont pas unis’’. C’est de petits pays par la taille qui ‘’ne peuvent pas à eux seuls, frayer’’ ce chemin. Car l’unité africaine n’a pas encore créé un Etat fédéral fort pour faire face à l’Occident. Ceci malgré l’existence d’espaces d’intégration économique tels que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). ‘’Malheureusement, c’est la même qu’on retrouve au sein de ces communautés. Ils font des programmes et ils vont voir les bailleurs de fonds. Pour que l’Afrique puisse prendre son propre destin, il faudrait une indépendance politique plus prononcée. C’est l’un des premiers indicateurs de cette indépendance politique, mais aussi monétaire. C’est la monnaie qui permet d’affirmer clairement son indépendance économique. On est tellement habitué à l’assistance des pays du Nord qu’on pense que si jamais on prend notre liberté, cela va être extrêmement difficile. Cette barrière psychologique qui débloque les leaders du continent’’, dit-il.

Cependant, l’économiste alerte par rapport aux opinions de la nouvelle génération montante, celle qui dénonce les liens de dépendance avec la France. ‘’Il faut les écouter et donner du sens à ce qu’ils disent. Parce que tôt ou tard, c’est cette génération qui sera au pouvoir. Rien que par le phénomène de renouvellement des générations, il est illusoire de penser que cette génération n’accéderait pas au pouvoir. La séparation avec la France n’est pas loin. Les jeunes qui sont dans le mouvement France dégage, celui qui pense qu’ils ne seront pas au pouvoir se leurre.  Il y a une génération qui va imposer à la France une coopération plus gagnant-gagnant’’, suggère-t-il.

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3 QUESTIONS À MOUBARACK LO (ÉCONOMISTE)

“De bonnes idées n’ont pas été mises sur la table”

Ce mardi, s’est tenu en France un sommet pour le financement de l’économie africaine. La question qu’on se pose, c’est : pourquoi, après des décennies d’indépendance, l’Afrique ne peut toujours pas tracer sa propre voie pour son développement ?

La situation de développement inachevée, où la quasi-totalité des pays africains sont encore comptés parmi les pays dits en voie de développement, fait que la communauté internationale a fait de l’Afrique son terrain où elle doit se pencher pour appuyer les pays à sortir de l’ornière. Chaque décennie, il y a une nouvelle initiative qui est lancée. Il y a eu des plans d’ajustement structurels. On a connu les plans de lutte contre la pauvreté dans le contexte des Objectifs du millénaire le développement. Et depuis quelques années, on parle maintenant d’Objectifs de développement durable (ODD). Ces ODD sont mis en œuvre en parallèle de plans d’émergence des pays. Au-delà des plans qui sont mis en place, se pose la question du financement de ces plans. Et là, il faut mobiliser beaucoup de ressources. Surtout que les pays essaient maintenant de développer des infrastructures et des ressources humaines, les bases en long terme du développement et appuyer aussi le secteur productif agricole et industriel notamment.

Tout cela demande des ressources, sans oublier le développement des technologies de l’information et de la communication.

Aujourd’hui, les ressources mobilisées au niveau interne ne permettent pas aux pays africains de couvrir leurs besoins en investissement. Ceci, sachant que la totalité des pays arrivent maintenant à prendre en charge leurs dépenses courantes, à travers les recettes fiscales. Maintenant, pour pouvoir financer ces investissements, on a deux possibilités. La première, c’est d’attirer des investissements étrangers dans le cadre du partenariat public-privé. La deuxième solution, c’est de s’adresser à la communauté de bailleurs, à la fois au niveau multilatéral comme bilatéral. C’est un peu dans cette dynamique qu’on a assisté à la conférence de Paris sur le financement de l’économie africaine.

Auparavant, l’Union africaine avait organisé une conférence de ce type, il y a quelques années, à Addis-Abeba. On peut considérer que la problématique demeure. Conférence après conférence, c’est toujours le même besoin de mobiliser des ressources élevées pour le développement de l’Afrique. Certains commencent à parler de plan Marshall, de new deal pour l’Afrique. C’est pour dire que l’idée fait son chemin, qu’il faut des ressources importantes pour réussir le développement et pas de ressources juste limitées. Cela demande une innovation dans la manière de financer le développement.

C’est pourquoi, de manière exceptionnelle, il est demandé au Fonds monétaire international (FMI) de mobiliser de nouvelles ressources à travers les droits de tirage spéciaux (DTS), tout en convainquant les pays les plus développés de ne pas faire usage de leur quota, mais de le réattribuer aux pays en développement. L’idée d’annulation de la dette est aussi sur la table.

Il y a, malheureusement, de bonnes idées qui n’ont pas été mises sur la table et qui sont tout aussi importantes. Il s’agit du financement mixte public-privé, à travers l’aide publique au développement. Elle pourrait servir de levier pour attribuer d’importantes ressources privées sur le continent pour financer les investissements. Il faudrait, dans ce type de conférence, mettre cela en avant en guise d’harmonisation des ressources.

Mais elle se range encore derrière les institutions internationales ou les pays occidentaux pour chercher des solutions à ses problèmes…

Ce n’est pas que l’Afrique continue de s’adresser à la communauté internationale que celle-ci se croit autorisée à proposer des sillons pour l’Afrique. Tandis que si on prend les pays asiatiques qui, très tôt, ont su prendre le chemin du financement innovant faisant appel aux ressources privées. L’Afrique n’a pas encore réussi à prendre cette voie. Pour avoir cette autonomie de réflexion et de choix, de ses politiques, il est important aussi que l’Afrique maitrise son financement. Parce que quand on fait appel au financement privé, on a beaucoup plus de marge de manœuvre que quand on fait appel au financement public.

C’est vrai que de plus en plus, le financement public n’est plus lié, mais il y a toujours des programmes qui sont attachés à ces financements. Mais je dois dire que ce n’est pas ces programmes qui peuvent empêcher aux pays d’avoir des ambitions plus élevées. Les programmes de réforme au niveau global ou sectoriel qui sont encouragés par le FMI et la Banque mondiale, c’est la moitié du chemin. Le reste, c’est le génie national qui doit faire en sorte que l’environnement des affaires des pays soit suffisamment attractif pour que le secteur privé accepte de venir prendre le relais et compléter le financement public et d’être même la source la plus importante de financement de développement.

La balle est totalement dans le camp des pays africains qui, par leurs capacités de bonne gouvernance, de mettre en place une bonne gouvernance et de sérieuses méthodes, peuvent maitriser leur destin. La communauté internationale est juste là pour l’accompagner.

Mais la nature a horreur du vide. Si on n’occupe pas l’espace de définition des politiques, d’autres vont venir proposer des politiques et des réformes. Or, de plus en plus de pays développent les capacités locales leur permettant de s’approprier la définition des politiques et de bonnes politiques d’ailleurs, inspirées de meilleures expériences au niveau international.

Est-ce que l’Afrique peut compter sur elle-même pour s’en sortir, comme l’a fait la Chine ?

C’est vrai que l’Afrique qui avait pris le même train de départ que l’Asie et l’Amérique latine, et même une bonne partie de l’Europe au début des années 60, n’a pas su tirer profit de ses 60 ans d’indépendance pour accélérer son développement. Ces 60 années ont été caractérisées par différentes phases. Au tout début de l’indépendance, les pays avaient tendance à avoir des taux de croissance relativement élevés. Mais avec la crise du double choc pétrolier des années 70, la crise de la dette, beaucoup de pays se sont retrouvés dans des difficultés, à la fin des années 70 et ont dû engager des programmes de stabilisation d’ajustements structurels. Ces programmes n’ont pas permis d’accroître la croissance. Il a fallu, pour les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, la dévaluation du franc CFA de 1994, pour voir le redémarrage de l’économie.

Ensuite, à partir des années 2000, les pays se sont aussi fixé des ambitions de croissance et d’émergence. Ce qui a fait qu’au cours des 25 dernières années, il y a eu un léger mieux par rapport à la période précédente.

Aujourd’hui, beaucoup de pays africains évoluent avec des taux de croissance supérieurs à 5 %, certains arrivant même à faire 10 %. Mais, jusqu’à présent, parmi les 54 pays d’Afrique, peu ont réussi à sortir la tête de l’eau, à rejoindre les rangs de nations émergentes. Après nos analyses au sein du Bureau des perspectives économiques, il n’y a que le Maroc, l’Afrique du Sud et Maurice qui sont comptés parmi les pays dits émergents. L’Egypte n’est pas loin, la Tunisie aussi, qui avait pris un départ assez intéressant dans les années 1990 et 2000, a subi les contrecoups du Printemps arabe et depuis lors, peine à accélérer son développement. Mais il maintient quand même des fondamentaux qui font que c’est toujours un pays qui compte dans le concert économique africain.

(ENQUETE)

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