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Moustapha Kamal Guèye, Programme Oit sur les emplois verts : «Il faut prendre en compte les enjeux socio-économiques de la transition écologique»

L’Organisation internationale du travail (Oit) a lancé, le 22 avril 2021, à l’occasion de la Journée de la Terre, l’initiative « Action climatique pour l’emploi » en faveur de certains pays africains. Le Sénégalais, Dr Moustapha Kamal Guèye, est le Coordinateur mondial du Programme pour les emplois verts à l’Oit à Genève. Il revient, dans cet entretien, sur la pertinence de cette initiative, les emplois verts, les opportunités qu’ils offrent et les défis qu’ils posent. 

L’Organisation international du travail (Oit) a lancé, le 22 avril dernier, à l’occasion de la Journée de la Terre, l’initiative pour les Emplois verts en Afrique. En quoi consiste-t-elle ? Quelles réalités recouvre-t-elle ? 

L’initiative « Action climatique pour l’emploi » résulte du sommet sur le climat de 2019 convié par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, António Guterres. Lors de ce sommet, 46 pays, dont le Sénégal, se sont engagés à soutenir une transition écologique juste en plaçant les emplois et les moyens de subsistance au cœur de l’ambition pour un avenir plus vert. L’Oit a été chargée de piloter cette initiative. Elle est conçue pour, d’abord, permettre une action climatique ambitieuse qui crée des emplois décents et fait progresser la justice sociale, pour, ensuite, soutenir les pays sur des solutions ambitieuses en vue d’une transition vers un avenir durable qui soit juste et bénéficie d’un large soutien et, enfin, pour faciliter une reprise inclusive et durable après la crise de la Covid-19.

De façon concrète, comment comptez-vous participer à la promotion d’emplois verts dans un contexte de raréfaction d’emploi et de prédominance du secteur informel ? 

D’abord, le Bit travaille avec le Sénégal dans la définition de stratégies claires pour la promotion des emplois verts. Le Sénégal s’est engagé dans ce domaine depuis plusieurs années, notamment avec la formulation d’une Stratégie nationale pour la promotion des emplois verts, sous l’égide du Ministère de l’Environnement et du Développement durable, en concertation avec le ministère de l’Emploi et avec la collaboration des agences des Nations unies. Cette collaboration se déroule dans le cadre du Partenariat pour la promotion de l’économie verte (Page), un programme conjoint menée par cinq agences des Nations unies (Oit, Pnud, Pnue, Onudi et Unitar). La Stratégie nationale du Sénégal a été sélectionnée parmi 67 politiques menées dans 36 pays et a été lauréate du Prix Vision en matière de politique d’avenir octroyée par le Conseil pour l’avenir du monde en 2019 en partenariat avec les agences des Nations unies et l’Union interparlementaire (Uip). Aujourd’hui, des pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana ont pris la même voie et ont formulé des stratégies de promotion des emplois verts en partenariat avec l’Oit. Sur la base de sa stratégie nationale, le Sénégal a mis en œuvre un Programme pour la promotion d’opportunités de création d’emplois verts avec des résultats encourageants. Ensuite, compte tenu de l’importance de l’économie informelle dans le tissu économique, le Bureau international du Travail et ses partenaires travaillent dans l’encadrement vers la formalisation. Par exemple, un programme en cours concerne près de 2000 travailleurs qui ont été recensés par une étude du Bit comme opérateurs dans la collecte et le recyclage des déchets dans la décharge de Mbeubeuss, en vue d’aider à s’organiser en coopératives.

Les emplois verts, l’écologisation des entreprises…, ces concepts chers à l’Oit ne sont-ils pas un luxe pour les Africains d’autant plus que ces derniers ne peuvent être considérés, pour une large part, comme responsables de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques ?  

Les emplois verts sont une opportunité importante dans la promotion de l’emploi décent. Beaucoup de pays y voient une opportunité d’allier la transition écologique avec la création d’emplois et de richesses, indépendamment de la négociation politique sur les responsabilités communes mais différenciées des États par rapport aux problèmes environnementaux. C’est une question de pragmatisme économique. L’Oit a estimé que plus de 60 millions d’emplois peuvent être générés à travers le développement des énergies renouvelables, l’agriculture durable, la construction bioécologique et le recyclage. Le Sénégal possède un potentiel important, largement inexploité. Par exemple, le programme Page a appuyé le développement d’une filière de production locale d’équipements solaires en équipant l’unité de montage de Mékhé, principalement avec des groupements de femmes. Beaucoup de jeunes entrepreneurs sont actifs dans diverses filières, y compris dans le développement de start-up commercialisant des données sur la qualité de l’air en temps réel pour les personnes particulièrement vulnérables à la pollution. Ce travail de formation en entrepreneuriat se fait à travers un réseau national de formateurs et maitre-formateurs certifiés par le Bit, présents sur l’étendue du territoire et capables de coacher des entrepreneurs dans les langues locales du pays.

Quelles peuvent être les retombées de cette initiative pour le Sénégal ? 

L’Initiative vise à accompagner le Sénégal dans la mise en place de politiques pour une transition écologique prenant en compte pleinement la dimension sociale et l’emploi décent. Les trois axes principaux sont la promotion du dialogue social autour du lien changement climatique et emploi, l’appui au nivellement des compétences pour les métiers verts et la conception de mécanismes de protection sociale dans le cadre de l’action climatique. Avec Page, le Bit a déjà commencé à travailler avec le Sénégal pour promouvoir un dialogue social autour de la transition écologique et ses incidences sociales et sur l’emploi. Par exemple, en partenariat avec le Haut Conseil du dialogue social, une étude a examiné l’expérience internationale dans l’utilisation des ressources financières issues de l’exploitation du pétrole et du gaz pour investir dans le développement durable et fait l’objet d’une assemblée plénière du Hcds en juillet 2019. Les recommandations issues de cette assemblée pourraient être promues en actions concrètes dans le cadre de l’initiative. Il s’agit, par exemple, de travailler dans le développement des compétences pour accompagner la transition écologique du Sénégal, d’aider à mettre en place de mécanismes de protection sociale pour les travailleurs qui pourraient être impactés de façon négative.

Sur quels leviers devraient s’appuyer les pays africains pour favoriser ces emplois verts, mais surtout, en amont, œuvrer à la préservation des emplois et de l’environnement des entreprises ? 

Il faut d’abord envisager des cadres stratégiques qui prennent bien en compte les enjeux économiques et sociaux de la transition écologique. Le Sénégal a déjà, par le biais du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et en partenariat avec le programme Page, formulé une Document d’orientation stratégique sur l’économie verte au Sénégal, qui a fait l’objet d’un avis du Cese en 2016. C’est une base politique importante pour orienter les actions. Et il faudrait dire que ce document d’orientation a été élaboré en tirant profit d’un Rapport exploratoire sur l’économie au Sénégal qui a identifié des secteurs d’activité économique et des filières prometteuses comme les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la gestion des écosystèmes, l’agriculture durable et le recyclage. Un élément important concerne l’environnement des entreprisses et notamment la fiscalité verte qui est pratiquée dans certains pays, par exemple en allégeant la charge fiscale pour des entreprises qui produisent des biens et services environnementaux. Il y a enfin les marchés publics qui peuvent jouer un rôle dans l’émergence de nouvelles filières locales en réservant une part des achats publics à des entreprises locales dans ces domaines.

(LESOLEIL)

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