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Jeu vidéo en Afrique : du « divertissement de voyous » à une industrie d’avenir

 En Afrique où la connectivité à haut débit se développe rapidement et où la pénétration du smartphone progresse, l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile (GSMA) a toujours entrevu de nombreuses opportunités de développement pour les populations. Administration, santé, éducation, commerce, paiement sont autant de secteurs qui ont déjà gagné en valeur sur le continent grâce à la combinaison de ces deux facteurs. De nouveaux secteurs éclosent rapidement et parmi eux celui du jeu vidéo.

 

Dans la petite ville côtière de Kribi où j’ai grandi, dans la région Sud du Cameroun, les quelques salles de jeux vidéo dans lesquelles j’ai eu à traîner avec des copains de fin du primaire étaient généralement sombre et mal ventilées. S’y enfilaient en série deux, trois, voire quatre bornes d’arcade autour desquels s’agglutinaient des groupes de jeunes de divers âges, dans une atmosphère de chaleur étouffante et poisseuse. Ne parlons pas des odeurs de sueur. Street Fighters, The King of Fighters ou encore Contra étaient les jeux plus prisés. Donkey Kong, Pac-Man ou Space Invaders étaient moins sollicités. Il faut croire que la majorité des joueurs était visiblement adepte de baston.

1 JEU« Mon père qualifiait les jeux vidéo de divertissement de voyous ».

Mon intérêt pour les jeux-vidéos avait été piqué en classe, par des camarades plus âgés dont j’avais suivi la conversation par inadvertance. Leur gestuelle passionnée sur diverses méthodes pour activer des coups spéciaux, les noms étranges de personnages tels que « général Bison » avait titillé mon imagination pour ce monde complètement différent du dessin animé, où l’on pouvait incarner un personnage fort et combattre. Mais, fréquenter ce genre d’endroit était généralement très mal perçu par les adultes. Mon père, qui considérait l’école comme la seule voie sûre de réussite professionnelle et sociale, qualifiait les jeux vidéo de divertissement de « voyous ».

Mais, fréquenter ce genre d’endroit était généralement très mal perçu par les adultes. Mon père, qui considérait l’école comme la seule voie sûre de réussite professionnelle et sociale, qualifiait les jeux vidéo de divertissement de « voyous ».

Il faut lui accorder que le grand nombre de jeunes qui se retrouvaient dans ces salles d’arcade, parfois aux heures de cours, ne lui donnait pas vraiment tort.

2 JOLe Comité international olympique envisage d’intégrer l’e-sport lors des JO de Los Angeles en 2028.

Je me rappelle d’ailleurs d’une fessée reçue par lui après avoir été surpris juste devant les affiches d’une salle d’arcade, après la sortie des classes en compagnie de trois camarades. Sur ses sévères remontrances, je n’y ai plus jamais mis les pieds. Une trentaine d’années plus tard, expliquez à mon père que ce divertissement qu’il considérait comme une activité de « mauvais garçons », a muté et représente aujourd’hui une industrie multi-segments florissante qui pèse plusieurs millions de dollars USD chaque année en Afrique.

Mobile

Selon divers rapports de cabinets d’intelligence économique tels que « Outlook on Africa’s Gaming Industry 2020-2025 » publié en juillet 2020 par le cabinet Research and Markets, l’industrie du jeu-vidéo représentera plusieurs milliards USD d’ici les quatre prochaines années. Les bornes d’arcade ont disparu depuis pour laisser la place aux consoles et aux PC. Mais ces segments ne connaîtront pas un dynamisme particulier sur le continent du fait de la modicité des moyens financiers de la majeure partie des gamers africains pour s’équiper (télévision, console, ordinateur).

Celui du mobile par contre explose. La grande diversité des Smartphones à petit prix l’y aide. Quelques pays à l’instar de l’Afrique du Sud, de l’Egypte, du Nigeria, du Kenya, du Maroc ou encore de l’Algérie, représentent aujourd’hui des marchés où le segment du jeu-vidéo mobile se développe rapidement et affiche fort un potentiel d’emploi et de richesses.

Quelques pays à l’instar de l’Afrique du Sud, de l’Egypte, du Nigeria, du Kenya, du Maroc ou encore de l’Algérie, représentent aujourd’hui des marchés où le segment du jeu-vidéo mobile se développe rapidement et affiche fort un potentiel d’emploi et de richesses.

Selon le cabinet d’analyse et d’étude de marché sur les jeux Newzoo, les 20,3 millions de joueurs sud-africains ont dépensé 120 millions USD en jeux vidéo en 2019, en hausse de 9,4% en glissement annuel par rapport à 2018, et principalement pour les jeux mobiles. Plus de 70% de jeunes sud-africains, âgés de 18 à 26 ans, ont déjà dépensé de l’argent pour des jeux selon le cabinet Statista qui estime que le marché sud-africain du jeu vidéo devrait atteindre 292 millions USD en 2023 avec le mobile comme principal interface d’accès. En 2018, Newzoo considérait l’Égypte comme l’un des plus grands marchés de jeux vidéo d’Afrique, ayant accumulé 293 millions USD de revenus. Dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, le pays revendiquait une proportion de joueurs représentant 68% de sa population dont 14% jouaient sur des consoles tandis que 58% utilisaient un smartphone ou une tablette.

De nombreux investisseurs, convaincus de la valeur croissante de ce nouveau marché, multiplient leurs investissements en conséquence. Divers studios de jeu vidéo fleurissent à travers le continent souvent portés par de jeunes entrepreneurs soucieux de faire découvrir la grande richesse méconnue de la culture africaine. Une mine d’emplois pour divers professionnels du monde numérique tels que les développeurs, graphistes, programmeurs, animateur 2D/3D, etc. Des métiers jusqu’ici méconnus à l’instar des game designer sortent également de l’ombre.

Quelques opérateurs télécoms ont rapidement pris conscience du potentiel économique encore latent du marché du jeu vidéo mobile en Afrique. En Afrique du Sud, le groupe télécom s’est associé en juillet 2020 au spécialiste du jeu vidéo Gameloft pour lancer MTN Arcade, sa plateforme de jeux vidéo pour mobiles par abonnement. Deux mois plus tard, le géant africain du commerce électronique Jumia investissait aussi dans le segment du jeu vidéo. Le 7 octobre 2020, la société dévoilait son association avec Mondia, une société de technologie mobile pour lancer Jumia Games sur l’application JumiaPay. Dans sa première phase, le portail de jeu, entièrement aux couleurs de la marque, devait être disponible dans cinq pays africains, à savoir l’Egypte, le Nigeria, le Maroc, le Kenya et le Ghana. Il devrait ensuite s’étendre aux clients de Jumia en Tunisie et en Côte d’Ivoire au cours des prochains mois, donnant aux clients de JumiaPay un accès complet à des milliers de jeux.

Connectivité

Si le taux de pénétration croissant du mobile en Afrique a fait décoller le segment du jeu vidéo, le développement de la connectivité lui ouvre de nouveaux horizons : gagner de l’argent en jouant à des jeux vidéo. En Afrique du Sud, en Égypte, au Nigéria, au Kenya ou encore au Maroc qui abritent des concentrations de centres de données plus importantes que dans les autres pays du continent, selon l’Association africaine des data center (ADCA) et Xalam Analytics dans leur rapport « White Paper: Growing Africa’s Data Center Ecosystem: An Assessment of Utility Requirements » publié en février dernier, l’eSport est déjà une réalité.

Au Maroc, l’opérateur de téléphonie mobile Inwi a créé l’eSport-Acadamy dont l’objectif est d’encourager la culture Gaming et rechercher des talents pour construire l’industrie. La société a également crée la Inwi e-league, une compétition nationale d’eSport qui en est rendue à sa cinquième édition cette année. Le vainqueur remporte la somme de 100 000 dirhams (11 000 USD).

3 Abidjan
Abidjan Game Week.

Le groupe télécoms Orange est également très impliqué dans l’eSport sur le continent. La société a plusieurs fois parrainé des évènements autour de cette thématique qui a su s’organiser en Afrique avec le temps.

En mai 2020, la Fédération africaine de l’eSport (ESFA) a vu le jour. Elle a pour mission la collaboration, la coordination, l’association, la construction et le soutien de la croissance de l’eSport sur le continent. Composé de membres de 40 pays africains, l’ESFA est formée par une communauté d’entités privées d’eSports et de fédérations nationales, tout en étant affiliée à la World Esports Consortium (WESCO), l’organisation internationale qui régit les normes et le réseau de l’eSport.


Son président, Emmanuel Oyelakin, déclarait l’année dernière que l’appétit pour l’eSport augmente rapidement « et même, nous sommes un peu surpris ». Il expliquait que « les jeunes poursuivent leurs rêves sans les stigmates sociaux habituels. Nous voyons certaines des plus grandes marques et organisations du Nigeria s’investir dans l’eSport au Nigéria […] Une bonne indication des choses à venir. D’autres pays africains sont également en tête, comme le Ghana, le Sénégal, la Tunisie et le Maroc. L’Afrique du Sud est bien sûr en tête du continent depuis un certain temps déjà, mais l’écart se réduit ».

« D’autres pays africains sont également en tête, comme le Ghana, le Sénégal, la Tunisie et le Maroc. L’Afrique du Sud est bien sûr en tête du continent depuis un certain temps déjà, mais l’écart se réduit ».

Avec la 5G qui rapidement s’éveille sur le continent, il est certain que le nombre de joueurs professionnels grandira encore avec des débouchés inimaginables il y a trois ans. En effet, il n’est pas exclu de voir l’Afrique représentée dans des disciplines eSport que le Comité international olympique envisage d’intégrer lors des prochains Jeux olympiques de Los Angeles, qui auront lieu en 2028.

(AGENCE ECOFIN)

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