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Crise économique et alimentaire : Les nouveaux habits de Bretton Woods

La Banque mondiale et le Fmi sortent des idées nouvelles pour masquer des pratiques anciennes dans les pays en développement. Le but reste le même : combattre la crise économique et alimentaire sans ébranler l’architecture financière des pays concernés, ni surtout réduire leurs capacités à payer leurs dettes.

 La situation de crise économique et alimentaire provoquée par le Covid-19 en 2020 et accentuée par la guerre en Ukraine, a ceci d’intéressant qu’elle a permis de voir comment les institutions internationales reviennent de plus en plus ouvertement sur leur paradigme de la stabilité financière au détriment des politiques sociales. On essaie de prendre en compte le souci de préserver la stabilité politique des régimes. Mais cela ne doit pas entraîner des dérapages budgétaires de nature à menacer la crédibilité financière des organismes préteurs. Néanmoins, cela ne doit pas rappeler de mauvais souvenirs aux dirigeants et aux populations des pays concernés. Même si la situation est aussi difficile que dans les décennies 1970-80.
Il faut dire que le constat est sévère. Selon les données de la Fao, organisation des Nations unies pour l’alimentation, du fait de la crise ukrainienne, l’index des prix des céréales a connu une hausse de 17,1% en un mois, entre mars et février 2022, du fait de la guerre. Tout le monde sait que les deux pays en guerre comptabilisent entre 20 et 30% des exportations de blé et de maïs depuis environ trois ans.
Cette situation, ajoutée aux conditions exécrables des récoltes de blé aux Etats-Unis, a conduit à une hausse de plus de 19% pour le blé comme pour le maïs. L’huile quant à elle, a augmenté de 23,2% sur l’index des prix de la Fao, tandis que le prix du sucre a cru de 6,7%, balayant la dernière tendance à la baisse de ce produit. Bref, sur le plan des produits alimentaires, tous les prix du marché mondial sont à la hausse. Néanmoins, ces hausses ne sont pas le fait de déficits de production, comme on pourrait le croire. Pour beaucoup, c’est la conséquence de la hausse des prix des hydrocarbures, hausse entraînée également par la guerre dans la mer Noire.
Déjà, le Covid-19 avait provoqué une forte rupture dans la chaîne logistique, au détriment des pays pauvres. Les pays riches, dans un souci de s’assurer suffisamment des médicaments comme des produits de consommation courante, avaient entrepris de détourner vers leurs ports, la majorité de navires transportant des vaccins anti-Covid en un premier temps, et en un second temps, les produits alimentaires. Les pays pauvres, dont ceux d’Afrique, qui n’ont pas assez d’argent ou ne peuvent disposer de flottes maritimes pouvant desservir leurs ports, ont dû se contenter de la portion congrue. Cette situation provoquée par la pandémie du Covid-19 était en train de se résorber lentement. Malheureusement, tous les efforts des pays pauvres viennent d’être remis en cause par la guerre des pays slaves.
Macky Sall l’a résumé avant-hier de manière lapidaire, en demandant que l’on prie tous pour la paix en Ukraine. Car, tant que la paix ne sera pas revenue dans ces contrées, nos pays ne pourront pas garantir à leurs populations une certaine stabilité alimentaire. Il faut dire que la situation au Sénégal n’est pas des plus reluisantes. Toutes les prévisions optimistes du début de l’année sont remises en cause. Déjà, tous les produits alimentaires ont connu une hausse vertigineuse, qui laisse peu de marge de manœuvre aux pouvoirs pu­blics.
Il faut se rappeler que depuis la fin de l’année dernière, il n’y a quasiment plus de taxe sur les prix du blé ou de farine. L’Etat avait également voulu favoriser les importations de sucre, en supprimant la Taxe conjoncturelle à l’importation (Tci) sur ce produit, ce qui avait provoqué un certain débat entre l’industriel et le ministre du Commerce. La part de la Tva sur le riz et sur le lait importé est également des plus faibles depuis la crise sanitaire mondiale. C’est dire que les pouvoirs publics n’ont plus tellement de marge de manœuvre financière pour changer le cours des choses et éviter des cas de famine, ou pire, une crise alimentaire doublée d’émeutes de la faim, dans certaines situations.
C’est en ce moment que les «pundits» de la Banque mondiale et du Fmi sortent des «solutions miracles» de leurs besaces. Ils ont imaginé des transferts directs d’argent pour les ménages les plus vulnérables. Et Macky Sall les a suivis. Bientôt, plus de 542 mille ménages devraient recevoir un montant global de 43 milliards de Cfa en transferts directs. Certains ont calculé que les foyers recevront environ 80 mille francs Cfa, tandis que le ou les opérateurs se partageraient, en frais, plus de 200 millions de Cfa. C’est dire que tout le monde ne vit pas la crise de la même manière.
Quoi qu’il en soit, l’idée de nos experts est que ces transferts ciblés devraient permettre aux ménages concernés de pouvoir s’adapter aux brutales fluctuations des prix des produits alimentaires occasionnées par les circonstances exogènes. Ils ont estimé que la stratégie qui avait été mise en œuvre dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, avec la distribution de produits alimentaires à plus d’un million de personnes environ, n’avait pas été bien pensée. Ce qui, de manière pratique, n’a pas non plus été prouvé.
Ce qui est admirable dans les réponses à la crise pensées par les organismes internationales, c’est que l’on voit toujours qu’elles ont été conçues dans les bureaux du Secrétariat américain au Trésor. Tant que les Américains n’auront pas donné leur aval à une politique d’effacement de la dette des pays pauvres, celle-ci ne sera pas approuvée par le Fmi, malgré l’ampleur de la crise. Les institutions de Bretton Woods savent pertinemment que les solutions qu’elles proposent, comme le cash transfert, qui ont déjà été testées par ailleurs, comme en Côte d’Ivoire, n’ont pas connu de franc succès. Mais pour elles et leurs maîtres à penser, il n’est pas concevable de donner la possibilité à certains pays pauvres, d’aller s’endetter encore plus auprès de bailleurs peu regardants sur des questions politiques, comme la Chine, par exemple. Donc, il faut pour cela, continuer à les corseter dans une forte discipline budgétaire, et dans le besoin de limiter le taux d’inflation, quitte pour cela, à appliquer la vérité des prix sur certains produits, comme l’énergie, entre autres.
En fait, les programmes d’ajustement structurel de triste mémoire ne sont pas morts. Ils ont juste changé de forme.

(LEQUOTIDIEN)

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