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Absence de contrat, surexploitation : l’illégalité entretenue en défaveur des femmes de ménage

Manque de prise en charge médicale, maltraitance physique et harcèlement moral ou encore salaire non payé, la liste est loin d’être exhaustive pour parler des conditions de travail des femmes de ménage. Leurs droits méconnus, elles subissent les foudres de leurs patrons au prix de leur subsistance.

Sokhna Diarra Ngom discute gaiement avec ses collègues sous un arbre à Liberté 6. La vingtaine révolue, la jeune femme à la noirceur d’ébène est au chômage depuis quelques mois. Cet endroit de convergence des femmes de ménage et bonnes est son point de chute. Elle a décidé de démissionner de son travail après avoir, d’après elle, vécu l’enfer. « J’étais dans des conditions très difficiles à Nord Foire. Ma patronne ne me donnait pas à manger et me faisait travailler jusqu’à des heures tardives », narre la Fatickoise. La jeune femme a vite décidé de décamper après un mois à vivre dans ces difficultés. « J’ai finalement décidé de partir avec mes 50.000 FCfa. Je ne pouvais plus continuer à travailler dans ces circonstances », dit-elle dépitée.

Diarra Coly a aussi, à quelques détails près, vécu le même calvaire que Sokhna Diarra. Assise un peu plus loin, c’est avec beaucoup de frustration que la quinquagénaire conte ses déboires chez son ancien employeur. « Je proposais mes services en tant que femme de ménage à Rufisque dans un R+3. C’était vraiment dur pour moi car je devais gérer mon transport et ma nourriture », se souvient-elle. La résidente de Grand Yoff a travaillé un an en faisant le ménage toute seule avec une liste de galères. « Je n’avais ni prise en charge médicale ni de quiétude. C’était vraiment éprouvant », dit-elle avec un brin d’amertume. Diarra a eu des promesses d’augmentation salariale qui n’arriveront jamais. « Je gagnais 40.000 FCfa par mois. Ils m’ont promis une augmentation, mais je n’ai jamais rien perçu. J’ai préféré partir pour le bien de ma santé ». La quinquagénaire espère un mieux-être loin des tracasseries.

Mariama Thiam est en retrait loin de ses camarades. Emmitouflée dans une robe en wax, un voile sur la tête, elle traine un lourd fardeau. Accusée de vol à tort, elle porte encore les stigmates de cette injustice. C’est avec la voix teintée par l’émotion qu’elle raconte sa mésaventure avec ses patrons. « Je travaillais aux Maristes entre 2018 et 2019. Tout se passait bien jusqu’au jour où ma patronne m’a accusée du vol de ses 50.000 FCa », raconte-t-elle.

Accusée de vol et contrainte de payer

Mariama a clamé en vain son innocence. « J’ai alors été contrainte aux travaux forcés. Je n’avais plus droit à mon salaire. Ils m’ont privée de ma liberté et me maltraitaient physiquement. Ils ont même confisqué mon portable », se souvient-elle la voix enrouée. La résidente de Fass Mbao a vécu quinze jours dans la tristesse : «Je ne faisais que pleurer. C’était vraiment traumatisant ». La trentenaire a finalement pu prouver son innocence. « La lingère est venue rendre l’argent  quelques temps plus tard. Mes patrons se sont confondus en excuses, mais je n’arrive toujours pas à pardonner cet affront », affirme-t-elle.

Awa Sarr allie boulot et études. Cette étudiante en première année en assistanat de direction dans une école de formation de la place gagne sa vie pour assurer ses dépenses et souvent à ses risques et périls. L’étudiante, âgée de 26 ans, a bossé à Sacré-Cœur 3 .Tout se passe pour le mieux jusqu’au jour où elle tombe malade. « J’étais vraiment mal en point. Je devais continuer malgré tout à charbonner sans prise en charge médicale et avec une patronne qui ne se préoccupait pas de mon état », confie-t-elle. La jeune femme décide alors de réunir ses derniers efforts et ses bagages. « J’ai démissionné au bout de quinze jours. Je voulais récupérer mes 50.000 FCfa mais, même pour obtenir mon salaire, ce fut la croix et la bannière ». Awa Sarr a dû batailler pour récupérer son dû et assurer elle-même sa prise en charge médicale.

AMAR DIOP, INSPECTEUR DU TRAVAIL

« Dès qu’il y a prestation de travail, rémunération et lien de subordination, il y a contrat de travail »

Pour Amar Diop, Inspecteur du travail, si les femmes de ménage sont dans une telle situation, c’est parce qu’elles ignorent leurs droits et leurs employeurs ne font rien pour les aider. Car, explique-t-il, dès qu’il y a la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination, il y a contrat de travail peu importe qu’il soit écrit ou non. « Toute relation de travail non matérialisée par un écrit est qualifiée de contrat de travail à durée indéterminée. Si la femme de ménage exerce une relation de travail et qu’elle se considère lésée dans ses droits, elle peut saisir l’Inspection du travail par une requête en tentative de conciliation », explique-t-il.

AGENCES DE PLACEMENT

Soupçon de formalisation

Dans un garage situé au bas d’un grand immeuble à Hann Maristes, des femmes d’âges différents sont assises sur des bancs. À l’intérieur, Fallou tient un semblant de bureau. À sa droite, des fiches sont rangées. « Ce sont des contrats que nous signons avec les pensionnaires de l’agence », nous explique-t-il. En effet, le travail de Fallou consiste à trouver des femmes de ménage pour ses clients. Et pour avoir une trace de ses « employées », il leur fait signer une fiche. Il en est de même pour celui qui les emploie. Sur l’une d’elle, trois signatures sont prévues. « Nous exigeons que celui qui les recrute s’engage à verser ce qui a été convenu », dit-il. Sauf que ce contrat n’a presque pas de valeur. Fallou le garde avec lui. Après signature, il obtient 5.000 FCfa de celui qui emploie et 5000 FCfa de la femme de ménage, déductible de son premier salaire.

Apparemment plus formelle, Lala tient une agence à Golf-Sud. Ici, on ne trouve pas de clients. « Nous ne les exposons pas. Mais nous avons plusieurs profils à disposition », dit-elle. Ici, les contrats sont bien ficelés. Et cela, dit-elle, se répercute sur le salaire. « Nous ne faisons pas de contrats pour des salaires de 40.000 FCfa, nous n’avons même pas ce profil », dit-elle. Selon elle, la femme de ménage est centrale dans la sécurité d’une maison. Elle peut tout voler si elle le désire, estime-t-elle. « C’est pourquoi nous ne prenons que des personnes que nous connaissons et nous avons une idée claire de leur domicile. Nous sommes sûrs de les suivre en cas d’incidents », dit-elle. Mais si l’on en croit la dame, il est impossible de le faire pour des personnes qui ne paient pas plus de 40.000 FCfa.

(LESOLEIL)

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