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Springfield, la première compagnie pétrolière africaine à forer en eaux profondes

En annonçant le 18 novembre dernier, la découverte d’un vaste gisement de pétrole de 1,2 milliard de barils dans le bloc offshore Cape Three Points Block 2 (WCTP), la société ghanéenne Springfield E & P venait d’entrer dans l’histoire. Elle est devenue la première compagnie pétrolière africaine à découvrir du pétrole en eaux profondes. C’est d’ailleurs la première à forer dans des profondeurs aussi importantes. Un succès qui montre que les compagnies africaines du secteur, depuis toujours marginalisées, peuvent réussir là où les plus grandes multinationales ont échoué. L’américain Kosmos Energy avait renoncé à ses intérêts dans le même bloc quelques années plus tôt, au terme d’une campagne de forages jugée infructueuse.

Après la découverte en octobre du plus grand gisement de gaz naturel de l’année dans les eaux mauritaniennes, Springfield Exploration & Production est l’une des plus belles réussites pour le secteur pétro-gazier africain en 2019.

Après la découverte en octobre du plus grand gisement de gaz naturel de l’année dans les eaux mauritaniennes, Springfield Exploration & Production est l’une des plus belles réussites pour le secteur pétro-gazier africain en 2019.

Filiale de Springfield Energy, spécialisé dans le négoce de produits pétroliers, avec des capitaux exclusivement ghanéens, la jeune société contrôle ce qui apparaît désormais comme le plus gros gisement d’huile du Ghana. Si les caractéristiques techniques n’ont pas encore été divulguées, on sait que deux puits ont été forés par la société dans un laps de 40 jours pour en arriver à ce résultat. Le principal puits de la campagne Afina 1-X a intercepté de gros volumes d’huile, après que la plateforme de forage Stena Forth eut atteint une profondeur totale de 3323 m dans des profondeurs d’eau de 1000 m.

Springfield qui contrôle 84% de parts dans le bloc WCTP 2, estime que les réserves récupérables de pétrole sur place peuvent atteindre 3,5 milliards de barils et celles de gaz 5 Tcf, soit 1/6e du Zohr, devenu une référence en Afrique.

En fait, avant que le contrôle du bloc ne passe entre les mains de la société basée à Accra, il abritait deux découvertes mineures d’hydrocarbures. L’estimation faite est en effet soutenue par les résultats de récentes campagnes sismiques 2D et 3D. Quoi qu’il en soit, avec cette base, la société a devant elle un boulevard pour devenir le plus grand producteur de pétrole et de gaz du pays devant Tullow et Kosmos.

Quoi qu’il en soit, avec cette base, la société a devant elle un boulevard pour devenir le plus grand producteur de pétrole et de gaz du pays devant Tullow et Kosmos.

A titre de comparaison, le champ SNE au Sénégal abrite 3,5 milliards de barils de pétrole. La première phase de développement s’appuiera sur une réserve de 230 millions de barils pour une production de 100 000 barils par jour. En l’espèce, il existe de fortes probabilités que le volume récupérable soit aussi important, car les travaux de développement se poursuivent. Cela laisse néanmoins la possibilité à Springfield de produire jusqu’à 100 000 barils par jour lors de la phase initiale de production. Or, la production nationale de brut est d’environ 170 000 barils par jour, partagée entre Kosmos Energy et Tullow Oil. Le pays espère faire passer ce volume à 500 000 barils par jour en 2025.

Pour rappel, les 16% de parts restantes de WCTP 2 sont détenues par la société publique ghanéenne du pétrole (GNPC). Le bloc couvre une superficie de 673 km2 dans le bassin de Tano.

L’information cristallise l’attention au sein de l’industrie depuis plusieurs jours et le président ghanéen Nana Akufo-Addo devrait faire une annonce officielle à ce sujet, dans les prochains jours. Mais avant de faire la une de la presse spécialisée aujourd’hui, Springfield a fait du chemin.

Genèse

2006 : alors qu’à 26 ans, il dirigeait Westland Alliance, une petite entreprise dans les télécoms au Ghana, Kevin Okyere s’est associé à la femme d’affaires, Geena Malkani, qui fournissait du pétrole brut et des condensats à la raffinerie pétrolière de Tema, afin de diversifier ses activités. Dans la foulée, le gouvernement fait état du déficit d’installations de stockage pour les produits pétroliers issus de la raffinerie. Okyere et son associée acquièrent un terrain non loin de la raffinerie et démarrent la construction d’une importante installation de stockage qui, jusqu’à ce jour, compte parmi les plus grandes du pays.

Quelques mois après la construction du site, impressionnés par la qualité des infrastructures et celle des services, des responsables du ministère de l’Energie ont suggéré à Okyere de produire une demande de licence d’importation de produits pétroliers. L’objectif était d’encourager une entreprise locale qui excellait particulièrement.

Impressionnés par la qualité des infrastructures et celle des services, des responsables du ministère de l’Energie ont suggéré à Okyere de produire une demande de licence d’importation de produits pétroliers. L’objectif était d’encourager une entreprise locale qui excellait particulièrement.

C’est ainsi qu’est née, en 2018, la société Springfield Energy qui est aujourd’hui le principal négociant et importateur de combustibles tels que l’essence, le kérosène à double usage, le gasoil, le naphta et le carburéacteur, avec un chiffre d’affaires annuel de 1 milliard de dollars, selon African Shapers.

Il faut savoir qu’au Ghana, selon les dispositions du code pétrolier, les importations de produits pétroliers ne doivent être assurées que par des entités locales. S’il s’avère qu’une compagnie étrangère est intéressée par ce domaine, elle doit s’associer à une firme ghanéenne. C’est l’un des mécanismes les plus innovants du Contenu local sur le continent.

Le groupe Springfield qui investit constamment ses profits dans la chaîne de valeur, depuis 10 ans, contrôle par ailleurs des stations-service, plusieurs installations de stockage, une entreprise de services pétroliers en offshore et une société de transport de produits pétroliers.

L’aventure nigériane

Dans le but de diversifier leurs activités, Okyere et Malkani se sont rabattus sur le marché nigérian et ont créé Springfield Ashburton, une société dont les activités sont concentrées dans l’aval. Ce n’est que trois ans après son arrivée sur le marché nigérian en 2014, que la société a obtenu son premier contrat à terme de brut. C’était alors la première maison de commerce ghanéenne à obtenir un deal sur le très important marché nigérian.

D’ailleurs, face à ce succès, des rumeurs faisant état d’une proximité entre les dirigeants de Springfield Ashburton et l’ancienne ministre nigériane du Pétrole Diezani Alison-Madueke ont émergé dans la presse. Selon les journaux locaux, c’est cette proximité qui a valu à la jeune firme l’attribution d’un contrat de ce type, qui généralement est assez lucratif.

L’ancienne ministre est, depuis 2015, accusée d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars dans le secteur, en nouant des accords avec certaines entreprises ou encore en s’attribuant des commissions sur les opérations des firmes présentes dans le pays.

« Je n’étais pas l’associé ou la connaissance de la ministre et nous n’avions aucune sorte de relation. Springfield Ashburton a obtenu le contrat strictement sur la base du mérite, et en raison de sa persistance. Pendant 3 ans depuis 2011, nous avons visité les bureaux de la NNPC chaque semaine, sommes restés en liaison avec les responsables du département de commercialisation du pétrole brut, démontrant ainsi notre capacité. Ils ont vu nos réalisations au Ghana […] Nous avons fait un chiffre d’affaires de plus de 800 millions de dollars en 2012. Tout ce qui se dit a été commandité par nos concurrents », s’était défendu le chef d’entreprise.

« Je n’étais pas l’associé ou la connaissance de la ministre et nous n’avions aucune sorte de relation. Springfield Ashburton a obtenu le contrat strictement sur la base du mérite, et en raison de sa persistance.»

L’affaire s’est soldée par un jugement d’un tribunal local qui a condamné toutes les entreprises de presse ayant colporté cette rumeur. Elles ont même été contraintes à dédommager la société.

Le passage à l’amont

En 2012, alors que Springfield cherche à se diversifier sur le plus gros marché africain du pétrole, elle se porte candidate pour la reprise du bloc WCTP 2 que venait d’abandonner le producteur Kosmos Energy. Ce dernier estimait que le périmètre n’était pas assez prolifique pour l’exploitation.

Par contre, les membres de l’équipe technique de Springfield pensaient que le bloc contenait d’importants gisements de pétrole et de gaz, car étant situé sur le même trend que plusieurs découvertes d’hydrocarbures, dont Jubilee et Sankofa.

Elle se porte candidate pour la reprise du bloc WCTP 2 que venait d’abandonner le producteur Kosmos Energy. Ce dernier estimait que le périmètre n’était pas assez prolifique pour l’exploitation.

Le bloc est retourné dans le giron de l’Etat qui cherche un repreneur doté d’une bonne réputation et de grandes capacités opérationnelles et financières. Mais rien à l’horizon. Au même moment, l’offre de reprise de Springfield était rangée dans les tiroirs. Certaines sources proches du gouvernement confient à la presse que les autorités craignent que la firme quasiment débutante ne soit pas à la hauteur pour mettre en valeur le bloc.

Mais en 2016, lasse d’attendre un hypothétique repreneur, Accra demande à Springfield de monter une branche en charge de l’amont et de provisionner une enveloppe de 100 millions de dollars au moins, pour développer le bloc sur sept ans. Ce n’était qu’à cette condition que la société pouvait obtenir le contrôle du bloc. Ce qui fut fait.

En 2017, les responsables de Springfield louent les services de Bernard Vigneaux, un ancien de chez Total, Perenco, Foxtrot et SCDM Energie qui apportera toute son expérience dans la conception de la campagne exploratoire de Springfield.

De grandes campagnes de relevés sismiques 2D et 3D sont engagées sur une partie du bloc pour favoriser une meilleure compréhension de sa structure géologique. Environ 70 millions supplémentaires de dollars ont été investis dans ces travaux. Outre la découverte Afina 1-X, elles ont, entre autres, permis de conclure que la découverte Banda abrite du pétrole et du gaz de bonne qualité dans les sables du Turonien et de l’Albien.

La découverte Odum contient quant à elle 18° de pétrole API, mais est considérée comme un projet marginal, bien que Springfield y ait identifié une hausse substantielle des réserves. Il est rare dans l’industrie pour une compagnie débutante d’opérer des prouesses aussi intéressantes en seulement trois ans.

« Ce succès a été possible parce que nous n’avons pas abandonné face aux défis. Il s’agit d’une réalisation non seulement pour nous-mêmes en tant que Springfield, mais pour tous nos partenaires, le gouvernement et les peuples du Ghana et de l’Afrique en général ».

Le développement de WCTP 2 a permis d’accoucher d’une importante découverte, mais Springfield ne compte pas s’arrêter là.

Les activités d’exploration se poursuivront pour comprendre le potentiel réel de l’ensemble du bloc. La société devrait publier, dans les prochains jours, les perspectives de développement du périmètre et décliner des plans visant à attirer des investisseurs avec qui elle partagera les frais de développement de WCTP 2.

« Ce succès a été possible parce que nous n’avons pas abandonné face aux défis. Il s’agit d’une réalisation non seulement pour nous-mêmes en tant que Springfield, mais pour tous nos partenaires, le gouvernement et les peuples du Ghana et de l’Afrique en général », a déclaré le patron de la société pétrolière.

(Agence Ecofin)

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