Peuplé de 16 millions d’habitants, le Sénégal compte actuellement moins de 400 cas de contamination déclarés. Depuis le début de l’épidémie, quatre personnes sont mortes, dont Pape Diouf, l’ancien PDG de l’OM. Son président Macky Sall a accordé une iinterview au Figaro.
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Le Figaro : Le gros de la vague épidémique est-il déjà arrivé dans votre pays ?
Macky SALL : On ne peut pas l’affirmer d’emblée. Des chercheurs prévoient le pic de l’épidémie au mois de juin en Afrique, mais l’histoire nous a appris que les épidémies n’évoluent pas toujours selon les prévisions. Le mieux que l’on puisse faire actuellement, c’est de nous concentrer sur la riposte effective contre la maladie, au double plan préventif et curatif, par un effort individuel et collectif.
Il y a actuellement peu de cas déclarés de Covid-19 au Sénégal. Comment l’expliquez-vous ?
Plusieurs facteurs sont à considérer pour expliquer le faible nombre de cas : la fermeture des frontières dès les premiers jours de l’apparition de la maladie pour bloquer les cas importés, l’interdiction des grands rassemblements et une riposte sanitaire sur le terrain.
Je rappelle également qu’au Sénégal, l’État supporte entièrement les dépenses liées à la prise en charge des malades et celle des contacts, qui sont logés dans des hôtels et suivis par nos services de santé. Dès qu’un cas est déclaré suspect, il subit un test, ainsi que tous ceux qu’il a pu fréquenter. S’il est positif, c’est la mise en quarantaine.
Ce bilan, loin d’être dramatique si on le compare à de nombreux pays dans le monde, infirme les prévisions catastrophistes sur les ravages possibles du coronavirus en Afrique. Êtes-vous confiant ?
Confiant, oui. Mais cette confiance ne doit pas être béate. On ne peut verser dans l’autosatisfaction pour un combat qui n’est pas encore gagné. L’optimisme va de pair avec une vigilance accrue et un renforcement des mesures en fonction de notre contexte et des avis des experts. Nul ne peut prévoir de façon précise ce qui passera dans les prochains mois.
On sait qu’à Dakar, où est né le Pr Raoult, le choix a été fait de traiter les patients avec l’hydroxychloroquine. Est-ce, d’après vous, l’explication de la faible mortalité par Covid-19 au Sénégal ?
Nous faisons confiance à nos médecins qui ont jugé que, malgré le caractère préliminaire de l’étude du Pr Raoult, ses résultats étaient intéressants et qu’il fallait partir de son protocole pour proposer aux malades atteints du Covid-19 un traitement. Je précise que le Pr Raoult, dont je salue les travaux, continue de collaborer avec ses collègues sénégalais. Pour en revenir au traitement, nos médecins se sont fondés sur les observations suivantes : premièrement, on est dans une situation d’urgence de santé publique qui demande une diligence dans la réaction ; deuxièmement, la tolérance à l’hydroxychloroquine était connue comme bonne avant le Covid-19 ; troisièmement, l’efficacité de cette molécule était probable.
Au vu de toutes ces considérations, nos médecins ont estimé que le rapport bénéfices/risques était en faveur des bénéfices. Bien sûr, l’hydroxychloroquine seule ne peut suffire pour expliquer ces bons résultats, mais elle y a contribué.
La prise de nivaquine contre le paludisme a longtemps été pratiquée dans les écoles sénégalaises. Cela n’est peut-être pas anodin dans les circonstances actuelles ?
Nous avons tous pris de la chloroquine sans aucun suivi et, aujourd’hui, on utilise l’hydroxychloroquine, qui est un dérivé de la chloroquine et qui est mieux toléré. Ce produit est administré chez nos patients sous surveillance médicale stricte. En définitive, je ne vois pas, à l’heure actuelle, de quoi s’alarmer. Bien entendu, toute automédication doit être écartée car tous les médicaments peuvent donner des effets secondaires.
La jeunesse de la population est-elle un atout, sachant que le virus touche davantage les personnes âgées ?
Le virus touche en fait toutes les catégories d’âge au Sénégal. Cela dit, l’expérience dans tous les pays montre que plus on est âgé, plus le risque de développer une forme grave voire de succomber du Covid-19 est élevé. Il est donc évident que, du point de vue du risque de décès, l’âge jeune de notre population est certainement un atout.
Au Sénégal, où l’on vit beaucoup à l’extérieur et où nombre de vos compatriotes s’activent au jour le jour pour se nourrir, le confinement n’est-il pas une mesure difficile à faire respecter ?
Le confinement est une mesure incontournable pour endiguer la propagation de la maladie. Dans notre cas, nous avons totalement confiné les contacts et les malades qui sont naturellement hospitalisés. Sinon, nous avons pris des mesures interdisant les rassemblements et restreignant les conditions de transport.
Il va de soi que si l’évolution de la situation requiert un confinement général, nous le ferons sans hésiter. Évidemment, il y a lieu de tenir compte de la diversité des situations socio-économiques des pays. Il ne s’agit pas de faire du mimétisme, mais de prendre des mesures rigoureuses pour combattre le mal en veillant à ce que nos populations puissent vaquer aux occupations essentielles. J’ajoute que l’État est en train de procéder à la distribution de denrées alimentaires et autres produits de base, sans compter la prise en charge, pour un bimestre, des factures d’eau et d’électricité pour les abonnés de la tranche sociale.
Votre pays est-il en mesure de traverser cette crise sanitaire sans trop de dégâts économiques et sociaux ?
Aucun pays ne sortira indemne de cette crise. Une récession globale est inévitable. Une étude montre qu’en Afrique 20 millions d’emplois pourraient être détruits. Certains économistes vont jusqu’à prédire que la crise économique fera plus de morts que la crise sanitaire. Mon rôle est de protéger les plus vulnérables.
C’est pourquoi j’ai pris des mesures de sauvegarde, comme l’interdiction pure et simple des licenciements pendant la pandémie. Je garde aussi à l’esprit la situation difficile des entreprises. J’ai prévu des mesures spécifiques en faveur du secteur privé dans le cadre du plan de résilience économique et social d’un montant de 2 milliards de dollars, mis en place en guise de riposte au Covid-19 et ses effets.
Ce dispositif de soutien comprend des mesures fiscales, douanières et d’injection d’argent afin de permettre aux entreprises de disposer de trésorerie.
Emmanuel Macron a proposé une « annulation massive » de la dette des pays africains. Est-ce envisageable ?
Dans son message pascal, le pape François est allé dans le même sens. Je salue le message humaniste du Souverain Pontife et l’engagement fort de la France à nos côtés. La décision prise par le G20 d’accorder aux pays pauvres un moratoire d’un an va néanmoins dans la bonne direction. Cela représente 20 milliards de dollars alors que le total de la dette africaine est de 365 milliards.
Ce n’est pas énorme lorsqu’on considère les montants beaucoup plus élevés que des pays développés ont dégagé chacun au niveau national pour faire face aux effets du Covid-19. Ici, nous parlons de tout un continent. Dans une situation exceptionnelle, un effort exceptionnel de solidarité est nécessaire et possible pour aboutir à l’annulation de la dette publique africaine et à un réaménagement de la dette privée selon des modalités à convenir.
D’ailleurs, cette mesure ne devrait pas seulement être perçue sous l’angle de la solidarité. Elle a aussi du sens du point de vue économique : soulager l’Afrique du fardeau de la dette, c’est aussi contribuer à sa résilience d’acteur économique du marché mondial. Il faut se rendre à l’évidence : une Afrique économiquement vulnérable et qui n’arriverait pas à se défaire du Covid-19 restera une menace potentielle pour le monde. Le monde ne guérira entièrement que lorsque le virus disparaîtra de tous les pays.
Cela dit, il faut se départir du préjugé considérant l’Afrique comme dépendante de l’aide extérieure. Cette perception est fausse. Si je prends l’exemple du Sénégal, qu’on peut extrapoler à d’autres pays, les envois de fonds par la diaspora représentent plus de trois fois le montant de l’aide internationale.
Dès lors, quand des secteurs entiers sont mis à mal ou que des millions d’emplois sont détruits dans des pays où s’activent nos compatriotes, ce sont les envois de fonds par la diaspora sénégalaise qui s’en trouvent négativement affectés.
La Chine est très active au côté de l’Afrique dans cette épreuve. Estimez-vous que ce pays cherche ainsi à accroître encore un peu plus son influence, qui est déjà forte ?
En matière de coopération et de partenariat avec l’Afrique, il ne peut plus y avoir d’exclusivité ni d’exclusion. Tous les partenaires, sans distinction, sont les bienvenus pourvu qu’ils acceptent de travailler avec nous sur la base d’avantages mutuellement bénéfiques. La diversification des partenariats est dans la logique de l’histoire des relations internationales.
L’Afrique ne dérogera pas à cette règle.
Une fois cette crise passée, voyez-vous le monde changer dans ses rapports internationaux ?
Je plaide pour un nouvel ordre mondial qui redéfinit l’ordre des priorités, qui investit dans l’économie réelle. La leçon de cette pandémie, nous la connaissons déjà : notre extrême vulnérabilité, économies avancées ou émergentes. Reste à savoir si nous la retiendrons effectivement et si du pire nous saurons tirer le meilleur…
Une solidarité africaine existe-t-elle dans la lutte contre le Covid-19 ?
La solidarité est notre seconde nature en Afrique. Dès l’apparition des premiers cas sur le continent, nous avons mis en synergie nos ressources et nos expertises en matière de recherches et d’analyses médicales à travers nos laboratoires dont l’Institut Pasteur de Dakar et le CDC Afrique, qui fait la coordination sous l’égide de l’Union africaine.
J’ajoute que, le 3 avril, à l’initiative de Cyril Ramaphosa, président en exercice de l’Union africaine, nous avons tenu, en visioconférence, une réunion du bureau de l’Union élargie à l’Éthiopie, au Rwanda et au Sénégal pour dégager une position africaine commune visant à faciliter la collaboration interafricaine dans la riposte globale au Covid-19.
L’Institut Pasteur de Dakar, qui jouit d’une bonne réputation, participe-t-il à la mise au point d’un vaccin ?
Il ne travaille pas sur la découverte du vaccin contre le Covid-19, mais sur sa production une fois le vaccin mis au point, comme il l’a fait, par exemple, avec le vaccin contre la fièvre jaune. C’est une belle expérience que je salue. Cela montre que nos pays sont parfaitement capables de contribuer à relever les défis de notre temps.