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Dossier : Comment Washington a forcé l’Afrique du Sud à importer la volaille américaine

Début mars 2016. Les premières cargaisons de volaille américaine débarquent sur le sol sud-africain. Pour le gouvernement américain, c’est une grande victoire. L’industrie pourra désormais expédier chaque année 65 000 tonnes de produits vers le premier consommateur de volaille du continent, sans droits de douane. Côté sud-africain en revanche, l’heure est au dépit. Et pour cause, les autorités ont dû accepter cette entente à contrecœur. Retour sur une bataille commerciale qui aura connu de nombreux rebondissements.

Aux origines de la discorde…

Pour comprendre les raisons de la dispute entre les USA et l’Afrique du Sud, il faut remonter une dizaine d’années en arrière. Depuis l’an 2000, en effet, l’exécutif sud-africain appliquait des droits antidumping de 100 % sur la valeur de la volaille non désossée en provenance des États-Unis contre un tarif standard de 37 % sur les autres produits. Pour justifier cette disposition, Pretoria soulignait que le tarif de la volaille américaine était tellement bas qu’il ne laissait aucune marge pour la concurrence sur le marché intérieur.

Du côté américain, on faisait remarquer que cette mesure qui frappait les produits américains n’avait pas empêché la croissance rapide des importations de volaille par l’Afrique et ne masquait que le vrai enjeu : l’industrie sud-africaine est incapable de produire suffisamment pour répondre à la demande locale.

Pour justifier cette disposition, Pretoria soulignait que le tarif de la volaille américaine était tellement bas qu’il ne laissait aucune marge pour la concurrence sur le marché intérieur.

Selon le Département américain de l’agriculture (USDA), alors que la nation arc-en-ciel importait 70 000 tonnes en 2000, elle en est venue à acheter 400 000 tonnes de volaille en 2014 en raison d’une demande galopante du marché interne pour des sources de protéines bon marché. D’autre part, l’industrie américaine ne cessait de vanter l’opportunité que représenteraient ses exportations pour les consommateurs sud-africains.

En d’autres termes, l’ouverture du marché serait plus favorable pour la population de la nation arc-en-ciel qui profiterait de l’accroissement des volumes disponibles sur le marché et des prix plus faibles grâce à la concurrence. Sur un autre plan, les USA pointaient du doigt un traitement « injuste » par rapport aux produits de volaille d’origine brésilienne et européenne qui n’étaient que faiblement imposés.

Conséquence de cette discrimination, selon l’USDA, les importations sud-africaines de volaille en provenance de l’UE et du Brésil culminaient à 300 millions $ en 2013, chiffre largement supérieur à la valeur des importations de produits de volailles en provenance des USA (3 millions $). Bref : que ce soit sur le terrain économique ou juridique, les autorités américaines se sont employées pendant plusieurs années à déconstruire l’argumentaire des autorités sud-africaines. Sans succès.

L’exécutif sud-africain reste impassible et campe sur ses positions. Pour le gouvernement, c’est d’abord une question de survie pour ce sous-secteur stratégique. L’industrie de la volaille est en effet le premier contributeur au PIB agricole (16 %). Cette réalité étant, une entrée massive de volailles américaines fragiliserait un sous-secteur déjà confronté aux importations européennes et brésiliennes ainsi qu’à des coûts de production élevés.

Pour le gouvernement, c’est d’abord une question de survie pour ce sous-secteur stratégique. L’industrie de la volaille est en effet le premier contributeur au PIB agricole (16 %).

Jusqu’au début de l’année 2014, le gouvernement persiste donc dans l’imposition tarifaire des marchandises américaines avec le soutien de l’Association sud-africaine de la volaille (SAPA) qui a toujours martelé que les droits antidumping étaient parfaitement conformes aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

ais, les autorités américaines ne s’avoueront pas vaincues. Loin de se cantonner à un refus frontal de la position sud-africaine, les acteurs de l’industrie américaine vont adopter en effet une stratégie proactive et explorer tous les leviers de persuasion dont ils disposent.

L’AGOA, l’arme fatale

Alors que le gouvernement américain cherche encore à dissuader l’Afrique du Sud, un moyen de pression particulièrement sensible sera mis en avant dans le rang de l’industrie : la Loi sur la croissance et les possibilités économiques aen Afrique (AGOA). L’idée est simple : il s’agit de forcer l’Afrique du Sud à ouvrir son marché à la volaille américaine sous peine de voir une perte de son accès préférentiel aux marchés des USA octroyé dans le cadre de l’AGOA.

L’idée est simple : il s’agit de forcer l’Afrique du Sud à ouvrir son marché à la volaille américaine sous peine de voir une perte de son accès préférentiel aux marchés des USA octroyé dans le cadre de l’AGOA.

L’argument semble imparable. D’une part, parce que pour l’Afrique du Sud, ce programme a une importance stratégique. En effet, il lui a permis de dynamiser ses échanges avec le pays de l’Oncle Sam grâce à des expéditions sans droits de douane de plusieurs milliards de dollars de produits allant des agrumes aux vins en passant par les voitures, depuis 2000.

D’autre part, l’agenda est particulièrement propice, car l’accord entérinant l’AGOA devait arriver à terme en septembre 2015. La contre-offensive est d’abord animée en coulisses par les éleveurs américains qui agitent le spectre d’une suspension du pays de l’AGOA sur quelques mois.

Si du côté des autorités sud-africaines, on insistait toujours sur le fait que les deux nations poursuivaient toujours les négociations, la pression montera d’un cran en décembre 2014 avec l’entrée en scène des sénateurs américains Chris Coons et Johnny Isakson, respectivement représentants des Etats du Delaware et de la Géorgie. D’après les élus, l’accès au marché américain par l’Afrique du Sud va clairement de pair avec la suppression des obstacles « discriminatoires » au commerce avec les États-Unis.

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Avec l’arrivée de la volaille américaine, plusieurs dizaines de petits producteurs ont mis la clef sous la porte.

« Nous vous encourageons fortement à chercher au plus tôt des solutions qui garantiront un accès à votre marché pour les volailles américaines. Nous serons dans l’obligation de reconsidérer l’extension des avantages tarifaires accordés à l’Afrique du Sud dans le cadre de l’AGOA si cette situation n’était pas résolue », avait déclaré les dirigeants dans une lettre ouverte à l’ancien président sud-africain Jacob Zuma.

Le dénouement

Si officiellement les négociations continuent jusqu’en mars 2015, ces pressions par la suspension de l’AGOA finiront par porter leur fruit avec la signature d’un accord entre les deux parties le 8 juin 2015. Tout semble bien parti.

Avec cette entente, l’appartenance du pays à l’AGOA a été renouvelée pour dix années supplémentaires, jusqu’en septembre 2025. En contrepartie, la nation arc-en-ciel devait recevoir 65 000 tonnes de volailles américaines sur son territoire d’ici le 15 octobre. Mais, entretemps, une épidémie de grippe aviaire se déclenche sur le sol américain tuant ainsi près de 50 millions de volailles.

En contrepartie, la nation arc-en-ciel devait recevoir 65 000 tonnes de volailles américaines sur son territoire d’ici le 15 octobre. Mais, entretemps, une épidémie de grippe aviaire se déclenche sur le sol américain tuant ainsi près de 50 millions de volailles.

Cet épisode conduit Pretoria à remettre en cause l’accord pour raisons sanitaires. Côté américain, en revanche, la colère monte. Pour l’industrie, il s’agit d’une nouvelle excuse des autorités sud-africaines pour éviter de respecter leur engagement.

Face à ce qu’ils perçoivent comme une ultime astuce, les USA durcissent leur méthode de persuasion à la faveur du lobbying intense des entreprises américaines. Preuve de la gravité de la question, le président américain Barack Obama prendra lui-même les choses en main. Celui-ci lancera le 5 novembre 2015, un ultimatum courant jusqu’au 15 mars 2016 pour l’application de l’accord. « J’ai la conviction que l’Afrique du Sud ne remplit pas les exigences et que la suspension de l’exemption de franchises de droits sur certaines marchandises serait plus efficace pour promouvoir la mise en conformité du pays », déclarait-il.

Face à cette menace à peine voilée, les autorités sud-africaines feront volte-face avec la suppression des restrictions de longue date imposées aux produits américains. Dès février 2016, l’Association sud-africaine des importateurs et exportateurs de viande (AMIESA) est prête à recevoir les bras ouverts de volaille américaine. Chose faite dès le début du mois de mars avec les premiers chargements de volaille américaine qui entrent sur le territoire, soit quelques jours avant la date-butoir. Du côté des autorités sud-africaines, si on a cédé aux exigences américaines, on se réconforte avec un renouvellement de l’AGOA pour 10 ans supplémentaires même si on y a laissé quelques plumes…

 

La filière volaille sud-africaine à la croisée des chemins

Plus de cinq ans après son entrée, la volaille américaine se porte à merveille sur le marché sud-africain. D’un volume de 46 000 tonnes en 2016/2017, le volume des exportations a progressé à plus de 82 000 tonnes en 2019/2020. Le pays de l’Oncle Sam compte actuellement pour 17 % des importations de la nation arc-en-ciel. Avec l’arrivée de la volaille américaine, plusieurs dizaines de petits producteurs ont mis la clef sous la porte. S’ils ont été bousculés par la vague américaine, les grands producteurs comme RCL Foods, Country Bird Holdings et Astral Foods répondent toujours présents.

De son côté la SAPA continue sa lutte. Elle qui a défendu ardemment pendant toutes ces années des politiques commerciales restrictives, a désormais appris à vivre avec les importations américaines. Même si l’organisation continue son lobbying pour des restrictions tarifaires, ses priorités ont changé. Elle consacre dorénavant l’essentiel de son énergie à la résolution des problèmes structurels de la filière. En témoigne son Plan directeur signé depuis novembre 2019 qui met surtout l’accent sur les investissements dans l’augmentation des capacités de l’industrie pour répondre à une demande croissante des consommateurs. Ce plan prévoit notamment un investissement de 3,2 milliards de rands (227 millions $) et la création de 4600 emplois dans les prochaines années.

Pour sa part, le gouvernement sud-africain essaie de faire de son mieux pour aider le secteur. Il a imposé en mars 2020, des prélèvements de 62 % sur la volaille non désossée en provenance des USA et du Brésil contre 37 % auparavant. L’exécutif s’est aussi engagé vers une diversification des débouchés d’exportation du secteur. Cette stratégie a notamment porté ses fruits avec le feu vert des autorités sanitaires des Emirats arabes unis en novembre dernier pour l’importation de volaille sud-africaine. Un véritable pari quand on sait que ce marché est dominé à 65 % par… les Etats-Unis. Tiens donc… encore eux !

(AGENCE ECOFIN)

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