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Didier Orange (Ecohydrologue IRD) ‘’Les eaux usées méritent de s’intégrer dans un circuit économique vert’’

L’endroit est presque imperceptible sur la corniche-Ouest, à côté de la mosquée de la Divinité. Mais une descente sur les lieux permet de découvrir un système innovant et naturel de récupération d’environ 10 m³ des eaux usées de la commune de Ouakam pour des besoins du maraichage situé sur place. Un des promoteurs du filtre planté de végétaux, Didier Orange, l’écohydrologue au sein de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) revient, dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, sur le fonctionnement de ce mécanisme et ses avantages pour la culture des légumes et des plantes.

Vous avez installé sur la corniche, notamment à côté de la mosquée de la Divinité, un site de traitement des eaux usées. Pouvez-vous nous expliquez en détails ce mécanisme ?

Il s’agit d’un filtre planté de végétaux. C’est un trou qu’on fait dans le sol que l’on ferme par du béton et dans lequel on va mettre des graviers de granulométrie connue. C’est deux ou trois couches de graviers qu’on superpose les unes sur les autres. Ce qui fait environ 1,20 m de profondeur et sur ces graviers, on va planter des plantes qui acceptent de vivre dans des milieux subliminaux, comme des typhas, des roseaux. Ici, on a mis des papyrus et des cannas qui font de belles fleurs rouges. Le principe, c’est que les eaux usées qui sont chargées de matières organiques arrivent dans cet espace construit par intermittence pour inonder cet espace.

Elles vont s’infiltrer et avant cela, ces eaux vont être bombardées par les rayons ultraviolets qui viennent du soleil. Ce qui va éliminer le reste pathogène en gros, au moins 95 % des pathogènes. Après l’infiltration des eaux, les plantes, avec le cortège microbien qui est autour de leurs racines, vont minéraliser les matières organiques qui se trouvent dans cet espace de graviers. Les eaux vont ressortir trois à quatre fois après et elles seront épurées. Dans de système, on essaie de bloquer la dénitrification. L’idée, c’est d’obtenir des eaux avec des nitrates. On essaie d’avoir uniquement la nitrification. On veut des nitrates dans l’eau, parce qu’on réutilise cette eau pour irriguer et je n’ai pas dit arroser, mais irriguer des espaces de production verte. La production verte, ce sont des arbres ou un maraichage.

Pourquoi vous insistez sur le mot irriguer une plante à la place d’arroser ? C’est quoi la différence ?

Arroser, c’est apporter de l’eau par le dessus et par ce procédé, l’eau va arriver par les feuilles et les fruits. Alors que quand on irrigue, l’eau arrive par le pied de la plante. Le pied de la plante aussi bien dans le filtre planté que dans la nature ont cette capacité de retenir les polluants. Donc, c’est mieux d’utiliser uniquement le sol, parce qu’on ne sait jamais. Il pourrait y avoir des bactéries dans l’eau. Parce qu’on élimine avec ce système 99,999 % des pathogènes de l’eau. Ce qui veut qu’il reste 0,001 % de probabilité d’avoir un pathogène. Mais cette possibilité, elle existe.

Donc, l’idée, c’est d’irriguer pour que cette possibilité continue à mourir dans le sol et ne se retrouve pas sur la surface par exemple d’une tomate qu’un enfant viendra manger.

Avec ce système, combien de mètres cubes d’eaux usées provenant des quartiers de Ouakam vous récupérez ? 

C’est un système très simple et qui a été construit pour être le bien dépensier possible, on récupère 10 m³ d’eau par jour. C’est 10 000 litres qui sont épurés tous les jours pour venir arroser ce maraichage et ces milliers d’arbres.

Comment se passe cette récupération de manière plus concrète ?

Le système fonctionne par intermittence. On l’a réglé sur une modalité de quatre fois par jour et pas la nuit. Donc, quatre fois par jour, les eaux sont amenées une heure environ dans le filtre.

Ce système est-il rentable ? Peut-il permettre de créer des emplois et de faire des économies pour les maraîchers ?

Le grand avantage du filtre planté de végétaux, c’est qu’il est de construction simple. C’est de la petite maçonnerie, de la petite plomberie et de la petite électricité. Je dis petite parce que ce ne sont pas des choses très complexes. Ce sont des tubes à encastrer les uns des autres et il faut le faire de façon sérieuse. Il y a un schéma à suivre et qui est assez simple, de même que pour la maçonnerie. Il s’agit de faire un trou et de maçonner les bordures du trou. C’est créer une cuve de béton. Et puis, pour l’électricité, c’est du solaire. Il faut savoir un peu manipuler les panneaux solaires, faire quelques calculs de voltage et de puissance. C’est assez simple et cela permettrait de créer un nouveau métier qui est celui de vendeur d’eau assainie. Ce n’est pas de l’eau potable, ni pour prendre sa douche. Elle est destinée uniquement à faire de la production verte. C’est une eau qui est gratuite et qui mérite de s’intégrer dans un circuit économique vert au sein du milieu urbain et périurbain.

A Dakar, il y a le maraichage qui se développe partout et de plus en plus. Aujourd’hui, est-ce que ce n’est pas un système à promouvoir auprès de ces maraichers ?

Dans cette question, il y a deux choses. Il y a la typologie du maraichage. Ici, on a un maraichage très particulier qui est le ‘’Tolou Keur’’. C’est un système agroécologique qui essaie de reconstituer la forêt primaire. Mais le système de filtre planté de végétaux n’est pas là que pour cela. Il est là pour produire de la masse verte, du maraichage. Déjà, un maraichage simple aurait besoin de ce type de technologie au sein des quartiers. Ce serait beaucoup mieux que d’utiliser de l’eau propre qui vient du réseau de distribution. Cela fait des économies de l’eau pour la collectivité et aussi pour le maraicher lui-même. A Dakar, il y a certes beaucoup de maraichers qui se développent un peu partout, mais de façon sauvage et qui récupèrent soit des eaux sales en direct, soit qui récupèrent de l’eau sur le circuit de distribution de façon illicite.

Parlez-nous un peu de la production verte et de la masse verte. C’est quoi ce concept ? 

Il est connu par les scientifiques du monde, les urbanistes et les aménageurs de territoire que les espaces verts sont non seulement des espaces de bien-être pour les humains, mais c’est aussi des éléments purificateurs de l’air et du sol. Donc, créer des espaces verts dans la ville, c’est améliorer la qualité de vie des Dakarois, mais aussi améliorer la qualité de l’air de Dakar. C’est améliorer la capacité des sols à vivre et quand le sol vit, il crée de la biodiversité. C’est améliorer la biodiversité dans la ville et quand on améliore la biodiversité dans un écosystème, on améliore obligatoirement son fonctionnement.

Quels sont les défis pour le déploiement de ce type de projet dans les autres localités du pays ?

Les défis sont encore nombreux. Il y a d’abord l’acceptation. Il faut que les gens acceptent de changer de paradigme, de voir les eaux usées comme un atout, une opportunité de gagner de l’argent. Il faut qu’à la suite de cela, qu’on leur permette d’établir les systèmes dans des endroits de la ville, à savoir des lieux communs. Il faut que les politiques, la législation suivent et permettent à ce type de technologie de s’implanter, qu’il y ait des entreprises qui vont gérer les eaux usées de façon naturelle.

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